Projets pour le Palais de Justice de Lille |
À
Lille, OMA vient de remporter le concours pour le nouveau palais de Justice. Une
proposition atypique et une occasion de s’interroger sur l’évolution et la
place de cet équipement dans la ville. |
Contrairement
à ce que l’on pourrait penser, l’institution judiciaire a su prendre, au cours
du temps, de multiples formes, comme un organisme vivant en perpétuelle
mutation. L’histoire des lieux de justice à Lille en est un bon exemple. Ainsi,
sous l’ancien régime, le tribunal n’occupait-il qu’une salle du palais Rihour, construit
au XVe siècle pour Philippe le Bon, tandis que les exécutions
capitales se mettaient en scène sur la Grand-Place. Un dispositif qui s’est
modifié au XIXe siècle avec l’édification le long du canal de
la Basse-Deûle d’une sévère construction néoclassique enchâssée entre deux
prisons, celle des hommes et celle les femmes. Un dispositif architectural qui
semblait prendre le relais des châtiments spectaculaires pour mieux inciter la
population à ne pas enfreindre les lois régissant la communauté en développant
une esthétique de la dissuasion.
La cité judiciaire construite
par Jean Willerval en 1968 sur le même emplacement marquera un autre changement
radical d’orientation. Cette fois, ce ne seront plus les peines de prison qui seront
mises en exergue mais plutôt la procédure, le traitement des dossiers. Ainsi du
long socle horizontal contenant les salles d’audience surgira une tour de
bureaux où les affaires seront instruites avant d’être jugées. Une verticale
qui transformera la silhouette de la ville et entrera en concurrence avec les clochers
et les beffrois qui en composent le skyline.
Mais voici qu’à son tour
cette construction atteint sa limite de péremption et risque, comme l’ancien
palais de justice de Nantes, d’être condamnée à la transformation en hôtel de
luxe. Et ce pour plusieurs raisons. D’abord, parce que l’instruction réclame des
magistrats de recevoir prévenus et témoins pour les besoins de leurs enquêtes alors
que les salles de cet édifice des années 1960 sont trop grandes et les bureaux
trop petits pour cette étape désormais cruciale. Ensuite, parce que ces
auditions demandent pour fonctionner correctement une séparation drastique des
flux : victimes, accusés, témoins, magistrats. Enfin, parce que la
révolution numérique rend inutile l’entassement des archives et permet une
organisation du travail beaucoup plus fluide.
Flux séparés et communauté retrouvée
Aussi un nouveau concours
a-t-il été lancé pour mettre le justiciable au cœur du dispositif et rendre
compte de la nouvelle nature d’une institution qui cherche à se présenter non
comme un organe de coercition et de répression mais comme un service auquel
tout individu peut faire appel s’il se sent lésé.
Le futur tribunal de grande instance s’éloignera du
centre-ville. Il se positionnera à l’emplacement d’un terrain de sport dans la
ceinture verte où subsistent çà et là des vertiges des fortifications de Vauban.
Pour marquer une entrée de ville mais surtout pour pousser le périphérique à se
transformer en boulevard urbain opérant une couture entre la vieille ville et
ses faubourgs. Tout en reliant, comme un nouveau ring viennois, les autres grands équipements dont la ville s’est
dotée ces dernières années, notamment la gare TGV et le palais des congrès.
Quant aux réponses,
elles sont toutes porteuses d’une image très différente de la justice. Ainsi le
projet de Rem Koolhaas s’organise-t-il, avec un certain cynisme, sur le modèle du
moteur à piston rotatif de Wankel. Une machine dans laquelle on viendrait
successivement injecter les combustibles nécessaires au bon déroulement de la
justice : du public, des accusées, des magistrats, des témoins… Une vision
orwellienne d’un monde décomposé en flux séparés à laquelle répond la communauté
retrouvée de Sou Fujimoto. Un village bucolique délicatement dessiné autour de
sa place publique où les bureaux des juges sont placés sous les espaces de
réception du public et non au-dessus comme dans les autres propositions. Entre
les deux : des réponses plus convenues. Celle de Dominique Perrault qui semble
reprendre l’organisation de sa Cour de Justice européenne de Luxembourg. Enfin,
celle de Neutelings & Riedijk, qui prônent un retour à une
monumentalité aussi paroxystique que décalée.
MOTEUR
OMA,
Rem Koolhaas & Ellen van Loon / Saison Menu Architectes Urbanistes
(Lauréats)
Comme dans bon nombre de ses projets
récents, Rem Koolhaas sépare sa proposition en deux : un socle et un
élément emblématique. Les salles d’audience vont ainsi s’enfoncer dans un sol
remodelé et se déployer en pétales autour d’une salle des pas perdus montant en
légère pente depuis le parvis donnant sur le prolongement de la rue des
Bateliers. Au-dessus de ce socle paysager, un bloc polygonal aux facettes
vitrées et colorées entrera en lévitation pour dialoguer avec le parc, la ville
et le périphérique.
Ce bloc, qui cherche aveuglément des filiations
avec la géométrie des bastions détruits de l’ancienne fortification, abritera
les bureaux. Mais il formera surtout une gangue protectrice autour d’un
troisième élément considéré comme le cœur battant du dispositif judiciaire. Une
tour triangulaire où sur plusieurs niveaux seront concentrés les cabinets
d’audience. Des espaces en contact avec la zone sécurisée placée en sous-sol,
l’accueil du public et les bureaux des juges. Les flux qui viendront les
alimenter seront rigoureusement étanches : la circulation des magistrats
se faisant par des coursives périphériques tandis que celle des auditionnés
autour d’un vide central cylindrique qui laissera tomber une lumière zénithale
jusqu’au rez-de-chaussée. Ce vide vertigineux rappelle les atriums des grands
hôtels comme celui de SOM pour le Hyatt de la tour Jin Mao à Shanghai.
Comme si cette machine célibataire anticipait déjà son obsolescence et sa
future reconversion…
VILLAGE
Sou
Fujimoto Architects / Coldefy & Associés Architectes Urbanistes
De prime abord,
le projet de Sou Fujimoto et de ses très internationaux associés lillois
s’affirme comme une vaste toiture fédératrice et protectrice. Une toiture qui
se déploie ensuite comme un ciel protégeant les salles ouvertes au public perchées
sur la pente et le sommet d’une colline de bureaux comme autant de maisons d’un
village.
Cette
surenchère d’images rassurantes – le toit, le village, la colline –
cherche à requalifier en profondeur le lieu où se rend la justice afin de le
présenter moins comme une machine à punir ceux qui ont enfreint les règles de
la société que comme un service social à l’échelle humaine venant en aide aux
individus qui s’estiment lésés d’une quelconque manière.
Pas de
façade, ni de volumes donc, mais ce toit ajouré qui vient chercher le public et
l’amène vers une salle des pas perdus pensée comme une place autour de laquelle
se pressent les grandes salles d’audience. Escaliers et escalators partent
d’ici à l’assaut de la colline de bureaux qui se hérisse de cabinets
d’audience.
TABLE
Dominique
Perrault Architecture
Le projet
de Dominique Perrault se caractérise d’emblée par la finesse de son analyse de la
topographie. Il semble découler du plissement du sol qui ferme le site à l’est,
un reliquat du dispositif fortifié de Vauban. Ce merlon est ainsi prolongé au
nord et à l’ouest de manière à former un U, ensuite renforcé par un double
alignement d’arbres. Dans cette première détermination de l‘espace qui s’ouvre
sur une vaste esplanade dégagée le long de la rue des Bateliers viennent s’immiscer
les différentes strates fonctionnelles du nouvel équipement. D’abord, enfouie,
la zone sécurisée ; puis, protégé par les talus, un socle entièrement
vitré de 6 mètres de hauteur où, autour d’une salle des pas perdus
longiligne et éclairée zénithalement, se distribuent les salles d’audience. Des
salles dans lesquelles la lumière filtrée par les frondaisons de la ceinture
d’arbres pénètre par une vaste baie placée au-dessus de la tribune des juges.
Sur ce
socle transparent flotte un long monolithe de cuivre finement perforé, qui
contient les cabinets d’audience et s’affirme comme une toiture protectrice. Deux
barres s’y dressent comme les pieds d’une table renversée pour accueillir les
bureaux des juges et les autres services administratifs. Ces barres sont
revêtues d’écailles de verre et de cascades végétales à leurs extrémités. Une
proposition claire et précise, mais qui ne possède pas le charisme des deux
précédentes.
MONUMENT
Neutelings
Riedijk Architects
Neutelings
& Riedijk semblent les seuls à proposer de réaménager le site de fond en
comble. Seules les voies du périphérique extérieur sont conservées et
transformées en boulevard avec terre-plein central. Ce qui permet d’agrandir
les abords du futur tribunal et de dessiner une vaste coulée verte rigoureusement
maintenue par de hauts alignements d’immeubles. Au milieu de ce parc urbain
complètement remodelé, le nouveau bâtiment émerge d’une pièce d’eau qui en
garantit les accès. Il est desservi par une esplanade déployée dans l’ample
courbe du prolongement de la rue des Bateliers qui rejoint le quartier de la
Madeleine.
La Grèce, la Mésopotamie et l’Égypte
semblent s’être penchées sur le berceau de ce nouveau-né. Ainsi le plan de
l’étage principal – celui de la salle des pas perdus –
s’organise-t-il sur le mode du temple périptère : des colonnades qui
entourent une cella. Tandis que, surprise, derrière les rideaux de colonnes, la
coupe transversale révèle une ziggourat. Elle se compose les salles d’audience
de formats différents – les grandes en bas, les petites en haut – qui
montent de part et d’autre en gradins accessibles au public autour d’un atrium
central réservé aux magistrats. Enfin l’élévation fait apparaître, devant les
vitrages, une structure métallique pare-soleil dessinant des colonnes de
personnages dont les silhouettes rappellent les peintures murales égyptiennes. Une
modernité plus proche d’Albert Speer que de Mies van der Rohe.
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