Le moteur & le village Concours pour le tribunal de grande instance de Lille

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 22/06/2018

Projets pour le Palais de Justice de Lille

Article paru dans d'A n°264

À Lille, OMA vient de remporter le concours pour le nouveau palais de Justice. Une proposition atypique et une occasion de s’interroger sur l’évolution et la place de cet équipement dans la ville.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’institution judiciaire a su prendre, au cours du temps, de multiples formes, comme un organisme vivant en perpétuelle mutation. L’histoire des lieux de justice à Lille en est un bon exemple. Ainsi, sous l’ancien régime, le tribunal n’occupait-il qu’une salle du palais Rihour, construit au XVe siècle pour Philippe le Bon, tandis que les exécutions capitales se mettaient en scène sur la Grand-Place. Un dispositif qui s’est modifié au XIXe siècle avec l’édification le long du canal de la Basse-Deûle d’une sévère construction néoclassique enchâssée entre deux prisons, celle des hommes et celle les femmes. Un dispositif architectural qui semblait prendre le relais des châtiments spectaculaires pour mieux inciter la population à ne pas enfreindre les lois régissant la communauté en développant une esthétique de la dissuasion.

La cité judiciaire construite par Jean Willerval en 1968 sur le même emplacement marquera un autre changement radical d’orientation. Cette fois, ce ne seront plus les peines de prison qui seront mises en exergue mais plutôt la procédure, le traitement des dossiers. Ainsi du long socle horizontal contenant les salles d’audience surgira une tour de bureaux où les affaires seront instruites avant d’être jugées. Une verticale qui transformera la silhouette de la ville et entrera en concurrence avec les clochers et les beffrois qui en composent le skyline.

Mais voici qu’à son tour cette construction atteint sa limite de péremption et risque, comme l’ancien palais de justice de Nantes, d’être condamnée à la transformation en hôtel de luxe. Et ce pour plusieurs raisons. D’abord, parce que l’instruction réclame des magistrats de recevoir prévenus et témoins pour les besoins de leurs enquêtes alors que les salles de cet édifice des années 1960 sont trop grandes et les bureaux trop petits pour cette étape désormais cruciale. Ensuite, parce que ces auditions demandent pour fonctionner correctement une séparation drastique des flux : victimes, accusés, témoins, magistrats. Enfin, parce que la révolution numérique rend inutile l’entassement des archives et permet une organisation du travail beaucoup plus fluide.

 

Flux séparés et communauté retrouvée

Aussi un nouveau concours a-t-il été lancé pour mettre le justiciable au cœur du dispositif et rendre compte de la nouvelle nature d’une institution qui cherche à se présenter non comme un organe de coercition et de répression mais comme un service auquel tout individu peut faire appel s’il se sent lésé.

Le futur tribunal de grande instance s’éloignera du centre-ville. Il se positionnera à l’emplacement d’un terrain de sport dans la ceinture verte où subsistent çà et là des vertiges des fortifications de Vauban. Pour marquer une entrée de ville mais surtout pour pousser le périphérique à se transformer en boulevard urbain opérant une couture entre la vieille ville et ses faubourgs. Tout en reliant, comme un nouveau ring viennois, les autres grands équipements dont la ville s’est dotée ces dernières années, notamment la gare TGV et le palais des congrès.

Quant aux réponses, elles sont toutes porteuses d’une image très différente de la justice. Ainsi le projet de Rem Koolhaas s’organise-t-il, avec un certain cynisme, sur le modèle du moteur à piston rotatif de Wankel. Une machine dans laquelle on viendrait successivement injecter les combustibles nécessaires au bon déroulement de la justice : du public, des accusées, des magistrats, des témoins… Une vision orwellienne d’un monde décomposé en flux séparés à laquelle répond la communauté retrouvée de Sou Fujimoto. Un village bucolique délicatement dessiné autour de sa place publique où les bureaux des juges sont placés sous les espaces de réception du public et non au-dessus comme dans les autres propositions. Entre les deux : des réponses plus convenues. Celle de Dominique Perrault qui semble reprendre l’organisation de sa Cour de Justice européenne de Luxembourg. Enfin, celle de Neutelings & Riedijk, qui prônent un retour à une monumentalité aussi paroxystique que décalée.

 

MOTEUR

OMA, Rem Koolhaas & Ellen van Loon / Saison Menu Architectes Urbanistes (Lauréats)

Comme dans bon nombre de ses projets récents, Rem Koolhaas sépare sa proposition en deux : un socle et un élément emblématique. Les salles d’audience vont ainsi s’enfoncer dans un sol remodelé et se déployer en pétales autour d’une salle des pas perdus montant en légère pente depuis le parvis donnant sur le prolongement de la rue des Bateliers. Au-dessus de ce socle paysager, un bloc polygonal aux facettes vitrées et colorées entrera en lévitation pour dialoguer avec le parc, la ville et le périphérique.

Ce bloc, qui cherche aveuglément des filiations avec la géométrie des bastions détruits de l’ancienne fortification, abritera les bureaux. Mais il formera surtout une gangue protectrice autour d’un troisième élément considéré comme le cÅ“ur battant du dispositif judiciaire. Une tour triangulaire où sur plusieurs niveaux seront concentrés les cabinets d’audience. Des espaces en contact avec la zone sécurisée placée en sous-sol, l’accueil du public et les bureaux des juges. Les flux qui viendront les alimenter seront rigoureusement étanches : la circulation des magistrats se faisant par des coursives périphériques tandis que celle des auditionnés autour d’un vide central cylindrique qui laissera tomber une lumière zénithale jusqu’au rez-de-chaussée. Ce vide vertigineux rappelle les atriums des grands hôtels comme celui de SOM pour le Hyatt de la tour Jin Mao à Shanghai. Comme si cette machine célibataire anticipait déjà son obsolescence et sa future reconversion…

 

VILLAGE

Sou Fujimoto Architects / Coldefy & Associés Architectes Urbanistes

De prime abord, le projet de Sou Fujimoto et de ses très internationaux associés lillois s’affirme comme une vaste toiture fédératrice et protectrice. Une toiture qui se déploie ensuite comme un ciel protégeant les salles ouvertes au public perchées sur la pente et le sommet d’une colline de bureaux comme autant de maisons d’un village.

Cette surenchère d’images rassurantes – le toit, le village, la colline â€“ cherche à requalifier en profondeur le lieu où se rend la justice afin de le présenter moins comme une machine à punir ceux qui ont enfreint les règles de la société que comme un service social à l’échelle humaine venant en aide aux individus qui s’estiment lésés d’une quelconque manière.

Pas de façade, ni de volumes donc, mais ce toit ajouré qui vient chercher le public et l’amène vers une salle des pas perdus pensée comme une place autour de laquelle se pressent les grandes salles d’audience. Escaliers et escalators partent d’ici à l’assaut de la colline de bureaux qui se hérisse de cabinets d’audience.

 

TABLE

Dominique Perrault Architecture

Le projet de Dominique Perrault se caractérise d’emblée par la finesse de son analyse de la topographie. Il semble découler du plissement du sol qui ferme le site à l’est, un reliquat du dispositif fortifié de Vauban. Ce merlon est ainsi prolongé au nord et à l’ouest de manière à former un U, ensuite renforcé par un double alignement d’arbres. Dans cette première détermination de l‘espace qui s’ouvre sur une vaste esplanade dégagée le long de la rue des Bateliers viennent s’immiscer les différentes strates fonctionnelles du nouvel équipement. D’abord, enfouie, la zone sécurisée ; puis, protégé par les talus, un socle entièrement vitré de 6 mètres de hauteur où, autour d’une salle des pas perdus longiligne et éclairée zénithalement, se distribuent les salles d’audience. Des salles dans lesquelles la lumière filtrée par les frondaisons de la ceinture d’arbres pénètre par une vaste baie placée au-dessus de la tribune des juges.

Sur ce socle transparent flotte un long monolithe de cuivre finement perforé, qui contient les cabinets d’audience et s’affirme comme une toiture protectrice. Deux barres s’y dressent comme les pieds d’une table renversée pour accueillir les bureaux des juges et les autres services administratifs. Ces barres sont revêtues d’écailles de verre et de cascades végétales à leurs extrémités. Une proposition claire et précise, mais qui ne possède pas le charisme des deux précédentes.

 

MONUMENT

Neutelings Riedijk Architects

Neutelings & Riedijk semblent les seuls à proposer de réaménager le site de fond en comble. Seules les voies du périphérique extérieur sont conservées et transformées en boulevard avec terre-plein central. Ce qui permet d’agrandir les abords du futur tribunal et de dessiner une vaste coulée verte rigoureusement maintenue par de hauts alignements d’immeubles. Au milieu de ce parc urbain complètement remodelé, le nouveau bâtiment émerge d’une pièce d’eau qui en garantit les accès. Il est desservi par une esplanade déployée dans l’ample courbe du prolongement de la rue des Bateliers qui rejoint le quartier de la Madeleine.

La Grèce, la Mésopotamie et l’Égypte semblent s’être penchées sur le berceau de ce nouveau-né. Ainsi le plan de l’étage principal – celui de la salle des pas perdus â€“ s’organise-t-il sur le mode du temple périptère : des colonnades qui entourent une cella. Tandis que, surprise, derrière les rideaux de colonnes, la coupe transversale révèle une ziggourat. Elle se compose les salles d’audience de formats différents – les grandes en bas, les petites en haut – qui montent de part et d’autre en gradins accessibles au public autour d’un atrium central réservé aux magistrats. Enfin l’élévation fait apparaître, devant les vitrages, une structure métallique pare-soleil dessinant des colonnes de personnages dont les silhouettes rappellent les peintures murales égyptiennes. Une modernité plus proche d’Albert Speer que de Mies van der Rohe.

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