SANAA, perspective extérieure |
La construction d'une antenne du
Louvre à Lens est sensée rédimer, par la culture et le tourisme,
une ville minière et sa région dévastées par l'abandon
industriel. Elle prétend aussi marquer la sollicitude de l'État
central à leur endroit, avec le cadeau d'un gros équipement qu'il
ne finance pas, mais qui ne serait pas possible sans lui. Grâce aux
largesses du Louvre, établissement public pour sa part sommé
d'accroître ses propres ressources et contraint par là aux vertus
du marketing.
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Au moment même où le maître d'ouvrage désignait un lauréat à la compétition architecturale, deux nouvelles sont arrivées, qui interrogent l'unanimisme entourant l'opération. La première est la démission forcée de Thomas Krens, qui dirigeait depuis dix-sept ans le Guggenheim-New York et qui a été le créateur de ses antennes, dont celle de Bilbao. L'homme, qui avait fait du musée et de ses collections des instruments de marketing, de l'architecture un de ses vecteurs, s'est vu reprocher par les administrateurs d'oublier quelque peu ce à quoi un musée est destiné. La seconde nouvelle vient du ministère des Finances, qui a gelé les crédits affectés à la rénovation des corons. Anticipant de deux ans la fin d'engagements pris voici plus de trente ans, il laisse aux collectivités décentralisées une question loin d'être résolue. S'ils n'auront toujours pas de chauffage, d'eau chaude, de sanitaires ni de tout-à -l'égout, les locataires se consoleront avec les fastes de la culture et de l'architecture, comme ils seront sensibles à la munificence de leurs élus. Les raisons des choix qu'ont pris ces derniers étaient toutes politiques. En définitive, c'est le conseil régional qui s'est prononcé, et plus exactement son président, contraint, du fait de l'absence de majorité absolue, d'user de sa voix prépondérante. Mais plus politique encore sera ce musée, issu de volontés troubles auxquelles l'architecture est chargée de donner visage ou de fournir masque.
Tout le monde semble y trouver son compte, à l'exception des laissés-pour-compte.
Genèse
• En 2003, Henri Loyrette, président-directeur de l'établissement public du Grand Louvre, parle d'un « Louvre bis » dans le Pas de Calais. Un document est rédigé : il fixe les grandes lignes du programme (expositions permanentes de 500 à 600 œuvres, expositions temporaires, activités pédagogiques) et appelle à un « acte architectural fort », tenant compte de la durabilité, et à un rayonnement régional et international. Ce projet est appuyé par le ministre de la Culture d'alors, Jean-Jacques Aillagon, qui caresse l'idée d'un « Centre Pompidou bis » à Lens, avant de se décider pour Metz, où il espère un avenir politique. Daniel Percheron, président du conseil régional Nord-Pas de Calais, soutient.
• En avril 2004, un cahier des charges donné par le ministère de la Culture appelle les villes à candidature. Sept postulent : Amiens, Arras, Béthune, Boulogne, Lens, Valenciennes, et Calais.
• Le choix, annoncé pour le printemps, est différé à plusieurs reprises par Renaud Donnedieu de Vabres, nouveau ministre de la Culture. Les concurrences politiques, les interférences institutionnelles, les discussions budgétaires expliquent ces retards.
• Donnedieu de Vabres visite le site de Lens en juillet 2004.
• L'annonce du choix du site de Lens est proclamée fin novembre sur place par Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre.
Protocole
En mai 2005, un protocole d'accord confirme les engagements pris par les différents partenaires. Il fixe l'engagement financier des collectivités locales et de l'Europe : un montant minimum de dépenses d'investissement de 117 millions d'euros (60% région, 10% département, 10% commune et communauté d'agglomérations, 20% fonds européens de développement régional), 12 millions d'euros de dépenses de fonctionnement annuels (région, département, commune et communauté dans les mêmes proportions, les 20% restants étant provisionnés par les ressources propres). Il faut remarquer que la part de l'État est nulle.
Le Louvre s'engage sur la définition du projet scientifique et culturel, l'apport d'une sélection d'œuvres (« mêlant chefs-d'œuvre reconnus et découvertes »), de son savoir-faire, de sa capacité d'organisations d'expositions internationales et de ses compétences en matière de politique des publics. Le protocole désigne comme maître d'ouvrage du projet la région Nord-Pas de Calais, « en relation étroite de partenariat avec le musée du Louvre ».
Suivi
Un comité de pilotage est mis en place et se réunit une première fois en mars 2005, co-présidé par Henri Loyrette et Jack Lang, député de Boulogne-sur-Mer et vice-président du conseil régional Nord-Pas de Calais. Il rassemble une quarantaine de personnes - élus, représentants des collectivités territoriales concernées, membres du Louvre, techniciens – et se prolonge avec un comité de suivi. Le Louvre pilote la définition du projet scientifique et artistique. De son côté, la région a installé fin 2004, après le choix de Lens, un comité technique.
Lens et son site
Lens – à mi-chemin entre Arras et Lille, 36000 habitants, 15% de chômeurs - a fait valoir sa situation et le bassin de population qui l'entoure : 7 millions de personnes dans un rayon de 100 km, 27 millions dans un rayon de 200 km. Si les TGV nord ne s'y arrêtent pas, elle est à 1h05 de Paris, 1h50 de Bruxelles, 3h de Londres. Deux bretelles la raccordent à l'autoroute du Nord. Les amateurs connaissent son club de foot, le RC Lens, et son stade Bollaert, qui peut partager ses parkings avec le musée. Mais c'est la portée symbolique d'un ancien site minier qui a été retenu. L'ancien carreau de fosse est entouré de corons, sous la masse proche des terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle. La fosse 9/9bis a été fermée en 1960. Le terrain, en friche depuis, appartient à Charbonnages de France. Il s'agit d'un remblai haut de plusieurs mètres, formé de déchets de la mine aux pieds de chevalements disparus. Isolé comme une île, il était jadis desservi par des cavaliers (voies ferrées des mines), dont les traces subsistent, et est depuis colonisé par une végétation adventice.
Programme
La volonté d'un « acte architectural fort » était assortie d'une mise en garde contre le risque d'un objet célibataire : l'intégration était demandée, de même que la haute qualité expérimentale et la durabilité. Pour le Louvre, il ne s'agit plus d'un « Louvre bis », comme fut présenté le projet à ses débuts, mais d'une antenne du musée autorisant des expériences – sur le renouvellement des accrochages, sur des expositions thématiques, sur la médiation, sur l'exposition des réserves, sur la pédagogie–, que le palais parisien ne permet guère.
Le programme donné aux concurrents distinguait :
- les espaces destinés au public : 3 500 m2 de présentations renouvelées autour d'un cheminement dans le temps (autour de plusieurs centaines d'œuvres), 1000 m2 à répartir d'espaces d'accueil et de médiation ; 1500 m2 d'expositions temporaires ; une scène ; des espaces culturels ateliers d'initiation, médiathèque, conférences et formation (1200 m2) ; des espaces d'accueil (1550 m2) ; des services en concession (1000m2) ;
- les espaces logistiques, sur des dessertes distinctes, et administratifs pour 16 000 m2, dont 2000 m2 de réserves visitables ;
- des espaces extérieurs et des jardins et, en option, un pôle de restauration, des réserves pour le Louvre et un panorama pour les très grands formats.
Le tout (hors options et espaces extérieurs) demandait 16 000 m2 minimum de surface utile.
La question reste ouverte de savoir qui gérera le nouvel ensemble (un syndicat mixte ou un établissement public de coopération culturelle ? ou encore l'établissement public du Louvre ?).
De nombreux emplois sont attendus : 120 salariés (on parlait de 250 au printemps), auxquels s'ajoutent les emplois induits. La fréquentation espérée table sur 500 000 visiteurs par an (avec des pics de 800 000).
Chronologie du concours
• Le programme est à l'étude début 2005. En février, le tribunal administratif de Lille, saisi par une programmiste évincée, au nom de ses confrères locaux du syndicat, annule la procédure de passation du marché de programmation. Le comité technique fera sans. L'architecte Patrick Bouchain, ancien conseiller de Jack Lang, sera appelé à travailler sur le sujet.
• Un appel pour le marché de maîtrise d'œuvre est lancé. Remise des candidatures : mars 2007. 120 équipes, de 12 nationalités différentes, postulent (« la nomenklatura architecturale pour notre bassin minier », selon le maire de Lens, Guy Delcourt). Le 29 avril, le jury retient 6 équipes : Jérôme de Alzua (Lillois et lauréat des nouveaux albums des jeunes architectes), Zaha Hadid, Steven Holl, Rudy Ricciotti, Sanaa (Kazuyo Sejima & Ryue Nishizawa), Jean-Philippe Vassal & Anne Lacaton).
• fin juillet : remise des projets, et remise des maquettes début août.
• 13 septembre : une commission technique présente les projets au jury qui se réunit pour élaborer un avis motivé et un classement. Trois projets – Hadid, Ricciotti, Sanaa - sont retenus pour être présentés à la commission permanente de la région par le président Daniel Percheron. Celui-ci les reçoit pour négocier.
• La commission se réunit le 26 septembre et décide d'attribuer le marché d'études (d'un montant de près de 14 millions d'euros hors taxes) à l'équipe Sanaa.
Jury du concours
Il réunissait 18 membres répartis en trois groupes. Du côté des élus, le président Daniel Percheron et cinq conseillers régionaux. Un collège de personnalités qualifiées, représentant les différents partenaires et incluant d'autres élus : Henri Loyrette, Jack Lang, vice-président du conseil régional, Dominique Dupilet, président (PS) du conseil général du Pas de Calais, Michel Vancaille, président (PS) de la communauté d'agglomération de Lens-Liévin, et Guy Delcourt, maire (PS) de Lens. Enfin un groupe de jurés « ayant la même qualification ou même expérience que celle attendue » : six architectes - Catherine Clarisse, Lucien Kroll, John Miller, Jean Nouvel, Jean-Marc Zuretti, Xavier Bouffart -, un « architecte et écrivain », Patrice Goulet » et un paysagiste « Bernard Lassus ».
Indiscrétions
Dès le lendemain de la réunion du jury, les noms des équipes retenues sont publiées par Le Monde, tandis que le quotidien La Voix du Nord fait état de « discussions mouvementées » et de l'avis du maire de Lens qui se répand contre le projet Ricciotti, « véritable offense au pays minier ». Ce même quotidien fait son lit des bruits et rumeurs qui circulent : « Ce qui se murmure à Lille et dans les environs, c'est que cette divulgation hâtive vient d'un milieu d'architectes pressés d'appuyer leur(s) choix » (édition du 15 septembre). Il rapporte des tensions au sein du jury entre les élus « agacés par le comportement de certains architectes » et ces derniers qui « ont mal supporté que des élus, en tir groupé, soutiennent le même projet, venu de Londres (sur lequel d'éminents spécialistes sont extrêmement réservés) » (21 septembre). La même édition donne le classement du jury : premier Ricciotti, deuxième Sanaa, troisième Hadid. Les autres projets ont été distancés. Le 27 septembre (après la décision finale), La Voix du Nord confirme ce classement, en révélant que Ricciotti a obtenu 7715 points devant le cabinet Sanaa (7645) et Zaha Hadid (6890).
Commission permanente du conseil régional
C'est cette commission qui après vote a choisi en définitive le lauréat. Elle comprend 44 membres : le président de région (Daniel Percheron, groupe socialiste, citoyen et radical), les 15 vice-présidents (12 du même groupe, 3 Verts), 5 autres PS, 1 autre Vert, constituant une première moitié ; 7 du groupe communiste et républicain, 2 UDF, 7 UMP et 6 Front national (dont Carl Lang) formant l'autre.
Le vote de la commission permanente
Les 44 membres ne se sont pas départagé : 22 voix du côté de l'exécutif (PS et verts), 22 voix du côté des oppositions (PC, UMP, UDF, FN). C'est la voix prépondérante du président qui a fait en définitive pencher la balance. Il déclarera dans La Voix du Nord que « le pari d'enterrer le Louvre était un pari hors de la force de compréhension immédiate des habitants du bassin minier ».
Calendrier prévisionnel
La réglementation européenne impose que l'ensemble des factures du chantier soit réglé avant le 31 décembre 2008. C'est donc une course contre la montre qui est engagée et qui définit actuellement les étapes : lancement des différents appels d'offres et poursuite des aménagements fonciers nécessaires d'ici le début 2006, lancement du chantier début 2007, fin des travaux fin 2008 et ouverture consécutive au printemps 2009.
LES PROJETS
Projet équipe Sanaa
Le projet a l'habileté d'affirmer lisiblement ses principes tout en laissant ouvertes les résolutions à quantité de questions. En ce sens il est éminemment stratégique. Il choisit de s'isoler au sommet du terrain, sans déterminer ses accès, au milieu d'un parc soigneusement travaillé pour ménager le passé dont il fait création. Il n'enterre que sa logistique, pour laisser flotter sur l'herbe pavillons isolés ou disposés en ailes accrochées au foyer. Leur géométrie est tempérée par des inflexions qui les adoucissent, sur l'extérieur, ou par des partitions libres, à l'intérieur. Les contraintes, que posent les articulations des ailes, sont détournées par des cheminements extérieurs couverts. L'opacité muette des façades des ailes se retourne en un jeu illusionniste de miroirs. L'ouverture à la lumière des plafonds des salles est prétexte à des jeux de filtres et de diffusion. Il donne forme aux désirs qu'il suscite sans avoir l'air d'imposer ses solutions, est singulier sans être saugrenu, reste rassurant. Perçu comme une promesse, il retourne les difficultés en avantages, séduit comme un mirage contemporain du vieux Louvre, sans tomber dans les vieilles lunes de Bilbao.
Architectes Mandataires: Kazuyo Sejima & Ryue Nishizawan (Sanaa, Tokyo)
Architecte Associé, muséographe : Tim Culbert (Imrey Culbert, New York)
Paysagiste: Catherine Mosbach (Paris)
Projet Ricciotti
À l'inverse du projet lauréat, ce projet fougueux apporte réponse à tout, même s'il prend la précaution de préciser qu'il reste ouvert dans ses marges. Délibérément enterré pour rester au niveau de la ville, il propose un cheminement ponctué d'événements, qui monte doucement vers un pavillon béant sur un parc laissé à sa poésie primitive. Réservé aux expositions temporaires, ce belvédère se reflète sur un plan d'eau, troublé par l'irruption du serpent de la visite. L'imaginaire inventif qu'il déploie l'a desservi par deux fois : jugé trop contraignant sur le plan muséographique, il s'est surtout heurté aux fantômes irrationnels de la mine enfouis dans l'inconscient municipal, qui l'a vigoureusement dénoncé. De même l'ingénieuse solution d'isolement et d'inertie thermiques par des cloisons doublées d'eau, a été désignée comme un risque insurmontable par les Verts eux-mêmes.
Projet Hadid
Ce projet reconstruit un paysage qu'il entend cristalliser et auquel il se substitue. Porteur de toutes les attentes prométhéennes d'une œuvre sculpturale et salvatrice, il s'est heurté à sa propre force. L'involution de cet organisme se manifeste par une volumétrie intérieure que le responsable du marché a qualifiée, d'une jolie litote, d' « un peu compliquée ». De fait, quel repos pour le regard dans cet univers formel, qui s'offre davantage à la consommation qu'à la contemplation ? Faut-il croire que, partie avec tous les atouts et le charme d'une architecture majuscule, cette proposition a capoté sur ses propres limites ? Et que son identité se suffisait au point de rester sans voix dès lors qu'il était question d'autre chose qu'elle ?
Projet Lacaton + Vassal
Le projet s'installe au sommet du remblai. De plan carré, il est constitué d'un grand volume dédié à l'accueil et aux expositions. Celui-ci est couvert par un toit praticable d'où émergent des salles dont les silhouettes dialoguent avec les éléments industriels qui marquent le paysage.Projet de Alzua
L'implantation est encore sur la partie la plus haute et la plus large du terrain. Le projet s'inscrit tout entier dans un volume haut, dont la toiture technique bascule par pans. Les salles exploitent cette volumétrie.Projet Holl
Le projet adopte la forme simple d'un parallélépipède étiré, découpé en plan par des boucles
qui sont une métaphore du cheminement dans le temps, ici déployé en cycles dont le hall est le point
de départ. Les galeries d'exposition sont en façade.
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