Dans la partie slovaque de la fédération, la période des années 1970 est associée à la « normalisation » des conditions sociales, imposée par l’Union soviétique. Les architectes travaillant dans des instituts de projet spécialisés de l’État devaient accepter une déclaration approuvant « l’aide fraternelle » sous la forme d’un séjour temporaire des troupes du pacte de Varsovie dans le pays, qui a fini par durer vingt-quatre ans. Ceux qui ont refusé de l’accepter ont été exclus de l’Union des architectes et interdits de signer des projets en leur nom propre. La Charte 77, une pétition des dissidents tchécoslovaques, opposés à ladite « normalisation », n’a fait que durcir la répression politique à l’époque et accélérer la suppression des droits civiques. Malgré cette oppression, cette période a généré des réalisations architecturales notables sur le territoire slovaque grâce au fait que plusieurs architectes avaient exprimé leur résistance politique de façon plus indirecte, à travers leur travail. Les œuvres architecturales de cette période sont perçues de manière ambivalente : elles souffrent de leurs connotations politiques d’origine mais servent aussi de memento pour l’ambition culturelle de la modernité et de socle – physique et figuratif – pour la génération actuelle d’architectes engagés. Après trente ans d’indépendance, la Slovaquie, ou du moins son milieu architectural, opère une sorte de thérapie face au patrimoine du modernisme tardif. À l’aune des questionnements identitaires et des problématiques environnementales, les architectes slovaques sont en train de récupérer et d’actualiser ce patrimoine au lieu de démolir et répartir de zéro comme l’ont voulu leurs prédécesseurs immédiats.
La quête de nouveaux horizons dans le passé plus lointain
Au cours des dernières années, les principaux prix d’architecture en Europe – comme le prix national slovaque CE ZA AR – ont été décernés aux projets de revitalisation, de rénovation ou de transformation. Ce sont des thèmes qui prennent désormais une place centrale dans les débats architecturaux comme le reflète la dernière Biennale d’architecture de Venise. Les projets présentés ici témoignent de l’innovation croissante de l’architecture slovaque en la matière. Cette année, trois d’entre eux – les cellules dans le manoir de Jelšava, la rénovation du château Uhrovec et la rénovation du site de la Galerie nationale – concourront également pour la reconnaissance de la communauté internationale dans le cadre du prix EUMies Awards 2024.
Place de la Liberté à Bratislava
Plus de quarante ans après son ouverture, la grande place de la Liberté à Bratislava est devenue un lieu d’amitié, non pas entre les nations du bloc de l’Est, auxquelles elle était dédiée à l’origine, mais entre les gens ordinaires. La première phase de sa revitalisation, achevée cette année à la suite d’un concours ouvert gagné en 2017 par l’agence 2021 Architekti, s’est centrée sur la restauration d’une fontaine géante, œuvre des sculpteurs Tibor Bártfay, Karol Lacko et Juraj Hovorka. Opérant un retour de situation, les architectes responsables de la rénovation ont supprimé les bords de la fontaine – conçus à l’origine pour empêcher les grands rassemblements – et ont créé un bassin accessible au même niveau que la place. Pendant la canicule l’été dernier, la fontaine a ainsi servi de lieu de rafraîchissement pour les Bratislaviens de tous âges alors que les pelouses replantées se sont transformées en aires de repos et de pique-nique pour la première fois. L’attention à l’accessibilité fut étendue à l’ensemble de la place, où pour gérer un dénivelé important les gradins d’origine ont été remplacés par une rampe douce revêtue d’un terrazzo. Clin d’œil à son passé, ce dernier a pour agrégat le basalte qui recouvrait précédemment le fond de la fontaine.
[ Maîtres d’œuvre : 2021 Architekti (Peter Lényi, Ondrej Marko, Marián Lucký, Lenka Borecká, Dorota Volfová, Jana Kvasniaková, Michaela Lörinczová)
Équipe MOE : Stanislav Režný (technique fontaine), Laboratórium architektúry krajiny (paysage)
Maître d’ouvrage : Ville de Bratislava
Livraison : 2023 ]
Rénovation de la Galerie nationale slovaque à Bratislava
Tout comme la place de la Liberté, la Galerie nationale slovaque nouvellement ouverte a apporté à la ville bien plus que quiconque ne l’aurait espéré. L’institution, qui occupe depuis sa fondation en 1948 des casernes baroques le long du Danube à Bratislava, avait lancé un concours architectural pour son agrandissement en 1963. Le projet lauréat de l’architecte Vladimír Dedeček, centré sur l’idée d’une passerelle aérienne enjambant un vide laissant voir l’ancienne caserne en arrière-plan, a été réalisé entre 1969 et 1977. Seul un fragment du projet initial, qui devait former un bloc urbain entier, fut construit. Celui-ci se distingue néanmoins par (...)