Architecte : Herzog & de Meuron Rédigé par David LECLERC Publié le 01/03/2016 |
Rares sont les musées qui ont
construit leur réputation autour d’une œuvre aussi emblématique que le Retable
d’Issenheim de Matthias Grünewald. Le musée Unterlinden de Colmar a fait appel
à l’agence Herzog & de Meuron pour repenser de fond en comble ses espaces
d’exposition, mais aussi pour réécrire son ancrage dans la ville alsacienne. Un
projet où architecture, urbanisme et muséographie interagissent en instaurant
un dialogue d’une grande subtilité entre le passé et le présent.
Deuxième musée d’art de province avec environ 200 000 visiteurs
annuels, la collection encyclopédique du musée Unterlinden couvre des domaines
aussi variés que l’archéologie, les beaux-arts, les arts et traditions
populaires, l’art moderne et contemporain. Il est plus particulièrement réputé
pour sa collection d’art germanique du Moyen Âge et de la Renaissance. Mais il
est surtout l’écrin d’un chef-d’œuvre, le Retable d’Issenheim de
Nicolas de Haguenau (pour la partie sculptée) et de Matthias Grünewald (pour la
partie peinte). Ce polyptyque, qui attire à Colmar des visiteurs du monde
entier, illustre des épisodes de la vie du Christ et de saint Antoine. Il a été
réalisé entre 1512 et 1516 pour la commanderie des Antonins
d’Issenheim.
Depuis sa création en 1853, le musée a
pour cadre le cloître et l’église gothique d’un ancien couvent de dominicaines
du XIIIe siècle, situé en lisière du centre historique de Colmar. La
collection, qui s’est considérablement enrichie grâce à des donations récentes,
rendait l’extension du musée nécessaire. Le concours de 2009 proposait d’une
part de réutiliser le bâtiment des anciens bains municipaux, dont l’imposante
façade art déco fait face au musée, de l’autre côté de la place
Unterlinden ; et d’autre part d’investir une parcelle constructible, avec
l’objectif de doubler la superficie du musée. Tandis que Rudy Ricciotti et
Moatti-Rivière proposent des dispositifs spectaculaires pour relier les différents
bâtiments à travers l’espace public, le projet de Herzog & de Meuron fait
preuve d’une étonnante sobriété qui témoigne de l’attention que ces architectes
portent aux bâtiments existants et à l’enjeu de la requalification de l’espace
public qui les relie. Jugeant le bâtiment des bains peu adapté à un usage
muséographique, ils décident de le réserver à d’autres fonctions, préférant
construire une nouvelle aile (qu’il nomme Ackerhof, en souvenir de la ferme qui
occupait cette place dans le passé) reliée au couvent par une galerie
souterraine. Cette extension rassemble sur trois niveaux l’ensemble des
collections d’art moderne ainsi qu’un espace consacré aux expositions
temporaires.
Faire avec
Les projets de reconversion et de
rénovation de bâtiments existants constituent un des fils directeurs du travail
de Herzog & de Meuron. La position de l’agence est le plus souvent
d’accepter les caractéristiques physiques de l’existant et de les renforcer
plutôt que de s’inscrire en opposition. Les architectes comparent cette
démarche inclusive à la technique de l’aïkido, sport de combat où l’on utilise
la force de son adversaire pour le vaincre. À la Tate Modern à Londres (2000)
et à la CaixaForum de Madrid (2008), les architectes privilégient des
stratégies d’interventions spectaculaires pour transformer en profondeur ces
anciens édifices industriels. Plus récemment avec le pavillon de la Serpentine
(2012), la rénovation de Park Avenue Armory à New York (2014) et le musée
Küppersmühle en Allemagne (en cours), ils développent des registres de
transformation beaucoup plus subtils pour réinventer le lieu en relation avec
ses nouvelles fonctions. À Colmar, ils adoptent avant tout une attitude
respectueuse du contexte. En puisant leur inspiration dans l’histoire du site et
en faisant réapparaître ses différentes strates, ils interrogent la notion même
d’intégration.
Exhumer
Le musée Unterlinden est situé dans un
environnement urbain hétérogène où cohabitent les maisons anciennes du centre
historique avec des logements sociaux de style pseudo-régionaliste. Le canal de
la Sinn, qui traverse la vieille ville, avait été enterré sous la place
Unterlinden, qui était occupée auparavant par une gare de bus. La dimension
urbaine est tout de suite apparue comme un des enjeux du projet de rénovation
et d’extension du musée. Les bâtiments existants, qu’il fallait relier, étaient
séparés par cet espace urbain sans qualité créant une césure en plein cœur du
projet. Mais la découverte par les architectes de documents du XVIIIe siècle
a été décisive : on y voit une ferme (Ackerhof) organisée autour
d’une cour faisant pendant à celle du cloître. Entre les deux, un moulin et des
dépendances rassemblées le long du canal créaient un trait d’union entre ces
deux ensembles. Les espaces dédiés au travail spirituel et agricole d’une même
communauté étaient réunis de part et d’autre du canal.
Les architectes s’inspirent alors de cette
figure, créant une cour fédérant le nouveau bâtiment d’exposition avec les
anciens bains publics, qui abritent dorénavant les bureaux, un espace
événementiel (dans l’ancienne piscine), la bibliothèque, le café et l’office du
tourisme. L’étude des plans historiques a aussi inspiré la décision d’exhumer
le canal pour redonner une convivialité à la place, devenue trop large après
son enfouissement. Cette découverte a enfin convaincu les architectes de la
nécessité de reconstruire un petit bâtiment à l’emplacement de l’ancien moulin
à eau. Fonctionnant comme un périscope, il révèle au passant la présence de la
galerie d’exposition souterraine qui relie le cloître aux nouvelles galeries
d’exposition. Sa toiture pyramidale, recouverte de cuivre, emprunte sa forme
aux toits des maisons qui bordaient autrefois le canal. Ruddy Ricciotti a vu
dans cette restitution « à l’identique » du moulin du « cynisme
intellectuel d’un point de vue créatif ». Pour Herzog & de Meuron, ce
n’est pas une reconstitution littérale, mais un dispositif qui s’imprègne des
images du passé pour les réinterpréter dans un langage nouveau. Ce pavillon,
qui affirme la présence du musée sur la place, agit comme un pivot pour faire
dialoguer les différents bâtiments entre eux. Le principe rappelle celui
utilisé au Schaulager à Bâle, où un pavillon d’entrée empruntant la forme
iconique d’une maison permet d’établir une transition entre l’échelle du
bâtiment de stockage d’art et son environnement suburbain.
C’est dans cet espace urbain complètement
réaménagé et désormais piéton, devenu un lieu de vie et de passage attrayant
grâce à la réouverture du canal et au nouvel agencement de ses berges, que l’on
trouve aujourd’hui la nouvelle entrée du musée. Bien que la ville ait attendu
2013 pour confier le marché des aménagements extérieurs de la place Unterlinden
à l’agence bâloise, on comprend que c’est à partir du dessin de l’espace public
que les architectes ont pu faire interagir les échelles urbaine, architecturale
et muséographique au sein du projet.
Dialoguer
Comment s’imprégner de l’histoire du lieu
sans tomber dans le pastiche ou le néopittoresque ? Le parti de Herzog
& de Meuron n’est pas d’opposer l’existant et le nouveau par des écritures
trop contrastées, mais au contraire « d’interroger les notions de
reconstruction, de simulation et d’intégration ». L’idée de dupliquer le
volume de la chapelle pour accueillir les collections d’art moderne participe
de cette idée de réinterprétation de l’ancien dans le nouveau. Bien que la
facture de ce nouveau volume soit résolument contemporaine, les architectes se
permettent quelques allusions à des figures stylistiques et constructives de
l’architecture gothique du couvent. Ils empruntent par exemple la forme de
l’ogive pour créer un jeu subtil de relations visuelles à travers l’espace
public de la place. Les ouvertures qui cadrent la partie extérieure des baies
de la nouvelle aile ne cherchent pas à imiter le principe constructif de
l’ogive mais simplement à en évoquer la forme. La disposition des briques en
arc brisé est donc abandonnée au profit de briques découpées pour suivre
rigoureusement le calepinage du parement.
La nécessité de relier les différents
bâtiments par une galerie souterraine qui traverse l’espace public engendre un
parcours complexe ponctué par des circulations verticales. Dans ces espaces de
transition où l’expérience muséographique est nécessairement interrompue, les
architectes recentrent l’attention du visiteur sur le langage de l’architecture
en lui offrant une émotion spatiale inédite. La figure de l’escalier
hélicoïdal, bien que présente dans d’autres projets de l’agence, prend ici une
valeur particulière car elle renvoie aux escaliers à vis médiévaux. La
virtuosité de leur épure géométrique, la plasticité de leur mouvement
ascensionnel, l’ingéniosité pour intégrer un éclairage indirect ou dissimuler
une trappe de désenfumage témoignent du soin apporté à ces espaces de
circulation qui articulent les différentes séquences et collections du musée.
Exposer
L’expertise de Herzog & de Meuron dans
la conception d’espaces d’exposition est manifeste dans leurs nombreux musées
construits à ce jour. Ils l’ont aussi acquise grâce à une riche culture
artistique, des amitiés et collaborations avec des artistes (Joseph Beuys, Rémy
Zaugg, Thomas Ruff, entre autres) et leurs affinités avec le monde de l’art. À
Colmar, les architectes, assistés de l’historien et critique d’art
Jean-François Chevrier pour la muséographie et de l’architecte du patrimoine
Richard Duplat pour la restauration des bâtiments historiques, ont travaillé en
étroite collaboration avec la directrice et le personnel du musée pour
redéployer les collections, suivant un parcours chronologique qui fait sens
avec les nouveaux espaces proposés. Les salles qui entourent le rez-de-chaussée
du cloître et qui accueillent les collections d’art germanique du Moyen Âge et
de la Renaissance ont été débarrassées de leurs aménagements antérieurs pour
retrouver leurs volumes d’origine. Les anciens plafonds ont été restaurés, des
fenêtres longtemps murées ont été rouvertes, non pas dans une logique
d’authenticité historique mais pour redonner des qualités spatiales et des
repères d’orientation à ces lieux d’exposition.
L’espace de la chapelle, où est exposé le
retable, a été épuré pour que le volume tout entier participe à la mise en
valeur de l’œuvre, dont le nouveau soclage en acier a aussi été redessiné par
les architectes. Un plancher en chêne brut de sciage et huilé recouvre le sol,
qui était auparavant sur plusieurs niveaux.
L’installation des collections d’art
moderne sur des cimaises suspendues entre sol et plafond dans les nouvelles
galeries de l’Ackerhof est par contre moins convaincante. Ce dispositif
moderniste, en vogue dans les années 1950 et 1960, qui a l’avantage de
préserver une transparence visuelle et une certaine fluidité dans la galerie
d’exposition, a toutefois l’inconvénient de donner à voir les jambes des
personnes situées de l’autre côté de la cimaise quand on regarde une œuvre.
Autre témoignage de la relation de confiance entre maître d’ouvrage et maître
d’œuvre : Herzog & de Meuron et Jean-François Chevrier se sont vus
confier le commissariat de l’exposition inaugurale, qui est présentée dans la
galerie contemporaine et l’espace événementiel.
Construire
Depuis la création de leur agence en 1978,
le travail de Herzog & de Meuron interroge la matérialité de
l’architecture. Chaque projet offre une opportunité pour développer des
expérimentations sur les matériaux et leur mise en œuvre. Les images
sérigraphiées imprimées sur les façades de leurs projets des années 2000 ont
fait place à des recherches sur des motifs et des textures plus complexes qui
exploitent le potentiel des nouveaux outils numériques. À Colmar, les
architectes bâlois ont décidé de revenir à des techniques issues d’un travail
manuel et artisanal pour proposer une étrange mise en œuvre de la brique. Les
façades de l’Ackerhof, de la petite maison et des murs délimitant la cour sont
recouvertes d’une texture rugueuse qui ne révèle le mystère de sa mise en œuvre
qu’en s’en approchant : la brique a été cassée en deux suivant l’axe des
trous qui la transpercent en son centre. Les faces internes retournées
deviennent le parement vu en façade. Cet aspect brut brun-rouge, associé à des
toitures en cuivre à joint debout, forme un fond neutre sur lequel se détachent
les bâtiments plus ornementés des bains et du cloître.
Herzog & de Meuron confient le plus
souvent leurs chantiers à travers le monde à des architectes locaux. En raison
de la proximité entre Colmar et Bâle, ils ont ici assumé la mission dans sa
totalité. Les marchés ont été attribués par lots séparés à des entreprises
implantées dans la région. Bien que soumises aux contraintes budgétaires et
administratives d’un marché public, la gestion rigoureuse du chantier et
l’investissement de l’équipe de maîtrise d’œuvre ont permis de dessiner le
projet jusqu’aux moindres détails. Appareils d’éclairage, mobilier, miroirs des
sanitaires, poignées de porte, tout est pensé, dessiné et exécuté avec un soin
et une précision helvétique.
Transfigurer
L’idée de relier l’ancien couvent gothique
par un passage souterrain à un nouveau corps de bâtiment qui emprunte sa
volumétrie à l’ancienne chapelle – mais qui la transfigure en adoptant une
nouvelle écriture architecturale – ne répond-t-elle pas aux scènes de
crucifixion, de mise au tombeau et de résurrection du Retable
d’Issenheim ? Intentionnel ou non, ce parallèle entre la séquence
liturgique et celle mise en place par les architectes éclaire l’intelligence du
parti architectural.
L’historien d’art Ernst Hans Gombrich
voyait le Retable d’Issenheim comme une œuvre charnière
illustrant la mutation artistique du Moyen Âge à la Renaissance. Le réalisme
morbide de la scène de la crucifixion – représentant le corps du Christ
atrocement supplicié – est profondément ancré dans la tradition médiévale,
tandis que la vision fantastique de la résurrection – où la luminosité
transfigure le visage du crucifié en celui d’un dieu – révèle clairement
les influences naissantes de la Renaissance italienne. À Colmar, Herzog &
de Meuron interrogent les qualités de l’architecture gothique existante, tout
en offrant une nouvelle présence urbaine, architecturale et muséographique au
musée pour l’inscrire dans le monde d’aujourd’hui. Dans ce dialogue entre passé
et présent s’élabore un nouveau langage exacerbant cette coexistence subtile
entre deux époques, et renvoyant au moment de mutation que Gombrich percevait
déjà dans le retable.
Maître d’ouvrage : Ville de Colmar
Maître d’œuvre : Herzoh & De Meuron : Jacques Herzog, Pierre de Meuron, Christine Binswanger (associées en charge), Christoph Röttinger(associé, directeur de projet), Christoph Leblond et Marco Zürn (manageurs du projet) - BET : ARTELIA (structure), Échologos (acoustique), C2BI (économie), PPEngineering, Prof. Jäger (BET façade), Arup (consultant lumière), NEW ID (signalétique), Cap Vert Ingénierie (consultant paysage) 
Surfaces : 14 385 m2 (totale), 7 700 m2 (construit) 
Coût : 47 millions d’euros TTC
Calendrier : octobre 2012 à janvier 2016
[ Maître d’ouvrage : Groupement local de coopération transfrontalièreArchitectes : Devaux &… [...] |
Clermont-Ferrand[ Maître d’ouvrage : client privé – Maître d’œuvre : Récita architecture … [...] |
[ Maîtrise d’ouvrage : BAST, architecte mandataireMaîtrise d’œuvre : commune de Montjoire&nbs… [...] |
[ Maîtrise d’ouvrage : commune de VelainesMaîtrise d’œuvre : GENS ; BET TCE, BET2CSignalétiq… [...] |
[ Maître d’ouvrage : Legendre immobilier – Maîtres d’œuvre : Atelier Kempe Thill (mandatair… [...] |
Maîtres d'ouvrages :conseil départemental des Hauts-de-SeineMaîtres d'oeuvres : Mars archite… [...] |
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |