La gare de la discorde - Concours pour le réaménagement de la gare du Nord

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 02/03/2020

Plan-masse du projet lauréat, Valode & Pistre architectes

Article paru dans d'A n°278

Une tribune dans Le Monde, la nomination d’une commission d’experts : la polémique fait rage autour du projet lauréat de la gare du Nord. Revenons simplement sur les propositions des trois équipes en lice.


Avec plus de 700 000 visiteurs par jour et mêlant trafics international, national et régional, la gare du Nord reste la gare la plus importante d’Europe. L’augmentation à court terme de cette fréquentation et la perspective des jeux Olympiques de 2024 ont hâté son projet de transformation et d’agrandissement. Pourtant sa dernière réhabilitation, menée par Jean-Marie Duthilleul en 2001, n’est pas très ancienne. L’étrange et beau montage d’une halle très fine et d’une rampe permettant aux bus de descendre de la gare routière ne date que de quelques années. SNCF Gares & Connexions a cependant lancé un appel d’offres afin de sélectionner un groupe immobilier – associé à un architecte et à un constructeur â€“ en vue de la création d’une société d’économie mixte exploitant pendant quarante-six ans les surfaces de commerces et de bureaux nouvellement créées pour notamment autofinancer l’opération. Les objectifs principaux consistant à réorganiser ce hub pour en fluidifier les flux tout en le considérant comme une « vitrine internationale de la France Â». 

Le périmètre du concours ne concernait pas directement les parties en sous-sol – RER et métro â€“ ni les abords directs de la gare. Et le programme rédigé par AREP préconisait de dissocier les flux d’arrivée et de départ, comme dans les aéroports. Les arrivants rejoindront la ville et ses différents moyens de transport en commun à travers le quai transversal et la façade sud datant du XIXe siècle. Tandis que les partants monteront à l’est depuis le nouveau hall de départ vers une plateforme d’où seront lancées les passerelles rejoignant les quaisun espace de plain-pied sur la gare des bus parallèle à la rue du Faubourg-Saint-Denis qui surplombe les voies ferrées.

 

La mobilité et la ville

Comment considérer la mobilité dans la ville ? Comme la simple mise en réseau des différents moyens de transport permettant à chacun de rejoindre le plus rapidement possible depuis son habitation son lieu de travail, de loisir ou d’échange… C’est ainsi que les cités occidentales se sont développées jusqu’à aujourd’hui. Ou faut-il d’inverser cette relation de subordination de la mobilité à l’ordre urbain ? Comme le font les mégalopoles asiatiques qui viennent greffer directement sur leurs grandes gares, traversées chaque jour par des centaines de milliers de voyageurs, des tours de bureaux et des centres commerciaux pour construire la ville à l’envers.

Ici, la question n’est pas vraiment tranchée. Les commerces et les activités cherchent à capter les flux mais restent confinés entre la rue du Faubourg-Saint-Denis et la gare sans bouleverser sa silhouette, dessinée par Jacques Ignace Hittorff (1792-1867). Pas d’excroissances incontrôlées et tentaculaires comme celles qui hérissent la station Shibuya à Tokyo. Ni de tours de bureaux au-dessus des voies comme l’a réalisé OMA à Euralille en reprenant le principe du Grand Central Terminal de New York.

Difficile de donner un avis sur ces trois propositions fortement contraintes par d’énormes surfaces annexes à intégrer dans le gabarit défini par la réglementation urbaine et surtout par un cahier des charges très déterminant, imposant de dissocier des sortants les entrants et obligeant ces derniers – sauf ceux qui arrivent en bus par la rue Saint-Denis â€“ à monter pour descendre.

Concernant les zones de chalandise, les lauréats projettent un centre commercial traditionnel, associé à une salle de spectacle de 2 800 places, au-dessus des flux voyageurs afin de créer un « lieu de destination Â». Dietmar Feichtinger cherche à les minimiser pour privilégier la gare comme un édifice public en relation avec la ville alentour. Tandis que Jean-Michel Wilmotte voit dans cette zone de transit et d’attente un espace privilégié pour expérimenter de nouvelles pratiques commerciales. Des stands présentant des produits qui ne seront pas directement achetés sur place, mais seulement essayés ou testés pour être ensuite commandés sur Internet.

En partie à cause d’un périmètre d’opération trop restreint, on voit mal, malgré les velléités de chacun – en faire un pôle centripète attirant les foules ou, centrifuge, s’ouvrant de toutes parts sur le parvis et les rues â€“ comment ce hub, qui trouve déjà en lui-même la foule qui l’anime, pourrait modifier le quartier difficile qui l’entoure. Un quartier en crise qui risque de se dégrader un peu plus autour du gigantesque lieu d’échange et de richesse qui l’enclave et l’éloigne irrémissiblement du reste de la ville.

 

Faire de la gare une destination

Lauréats : Ceetrus, filiale immobilière du groupe Auchan (mandataire) – Valode & Pistre Architectes – Eiffage Construction

À l’est, l’équipe lauréate dépose la halle et la rampe construite par Duthilleul pour édifier devant le parvis un bloc cristallin dont la toiture plate est portée par de hautes colonnes arborescentes très visibles de l’extérieur par transparence. Cette construction arachnéenne arrime le bâtiment de l’ancienne poste à la grande halle en pierre pour former une longue façade unitaire. À l’intérieur, après un atrium vitré, s’élance une profonde galerie sous verrière. De cet espace, il est possible de descendre vers le métro et le RER, de rejoindre les TER, d’accéder à un vaste silo à vélos, de monter vers la plateforme d’accès aux trains nationaux et internationaux ou de bifurquer pour atteindre, à l’ouest, le terminal Eurostar. Des escalators montent encore pour desservir les commerces, les bureaux, les équipements culturels et sportifs. À l’étage, la plateforme uniquement ponctuée de stands de commerce de proximité distribue les flux vers les trois passerelles qui desservent les quais. Des atriums d’où tombe une lumière zénithale mettent cet espace en communication avec le centre commercial qui se déploie au-dessus. En toiture, des jardins alternent avec des terrains de sport tandis que la falaise vitrée de la façade ouest se creuse d’une improbable piste de trail urbain.

Côté arrivée, le quai transversal est très judicieusement totalement débarrassé des extensions métalliques réalisées lors de la réhabilitation précédente pour que les voyageurs puissent découvrir la façade intérieure, telle qu’Hittorff l’avait imaginée. Les contrôles précédant l’embarquement dans les trains transmanches s’opérant désormais sur des plateformes latérales disposées de part et d’autre de la grande halle.

 

Faire entrer la ville dans la gare

Altarea Cogedim, Développeur immobilier (mandataire) – Dietmar Feichtinger, Architectes – Besix Construction

Contrairement à Valode & Pistre, Dietmar Feichtinger ne cherche pas à unifier les différents composants de la gare. Au contraire, il tente de faire pénétrer la logique urbaine à l’intérieur même du bâtiment. Si la halle de Duthilleul est supprimée sous la pression des surfaces de bureaux et de commerces à construire, la rampe d’accès à la station de bus est conservée. Elle change de destination pour permettre au public d’accéder directement depuis le parvis à la plateforme des départs et préserve l’autonomie de l’ancien bâtiment des postes. Tandis que la nouvelle construction s’affirme comme une adjonction : un volume vitré porté par d’élégants faisceaux de colonnes, annoncé par un auvent qui s’avance vers la ville pour chercher les voyageurs. À part le terminal de l’Eurostar qui conserve son ancien emplacement, le schéma général de distribution ne change pas de manière significative par rapport à la proposition précédente. Les passerelles menant aux quais nationaux et internationaux semblent mieux dessinées et mieux s’intégrer à la verrière de l’élève de Charles Percier, fasciné par la Grèce Antique, dont les deux pans directement soutenus par deux rangées de colonnes intermédiaires rappellent la manière dont les toitures des temples étaient portées. Tandis qu’en superstructure le programme de bureaux et de coworking, qui a été légèrement favorisé par rapport au programme commercial, s’enveloppe d’une peau de Corten et se couronne d’un jardin unitaire qui sait descendre en amphithéâtre vers le nord pour s’orienter vers le Sacré-CÅ“ur.

 

Accentuer les porosités

Apsys, entreprise spécialisée dans le développement de centres commerciaux (mandataire) – Wilmotte & Associés Architectes

Plus politique et prudent que ses confrères, Jean-Michel Wilmotte conserve les halles existantes : celle de 1871, inscrite au patrimoine des Monuments historiques, et celle de Jean-Marie Duthilleul dont il retranche cependant l’extrémité nord pour l’aligner avec la précédente. La rampe des bus est supprimée et une troisième verrière est édifiée à son emplacement. Cet ensemble de pignons hétérogènes est unifié à l’extérieur par une haute façade de verre. Une opération qui permet d’intégrer le bâtiment de la poste et d’affirmer sans ambiguïté la nouvelle entrée. Une entrée qui mène à la plateforme des départs, d’où s’élancent deux larges passerelles – l’une intérieure traversant la grande halle, l’autre extérieure â€“ canalisant les flux des voyageurs vers les quais des Intercités, Thalys et TGV. Tandis que, de l’autre côté, la cour de Maubeuge, libérée de sa station taxi et recouverte d’une verrière, abrite une seconde entrée permettant de rejoindre les trains transmanches, un dispositif qui maximalise ainsi les porosités vers le quartier.

Le bâtiment principal, bien qu’enclavé, parvient à une certaine pureté. C’est un parallélépipède recouvert de lames de verre verticales qui rappellent les textures d’Issey Miyake. À l’intérieur, d’épais plateaux découpés de trémies coulissent sur plusieurs niveaux au-dessous de la plateforme d’accès aux trains pour accueillir les différents composants du programme : commerces, bureaux et espaces à vocation cultuelle.

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