Portrait de Julius Shulman |
Légende vivante de la photographie, Julius Shulman a côtoyé depuis les années trente les plus grands architectes américains. L'édition d'une partie de ses (immenses) archives nous replonge dans les époques les plus fécondes de l'histoire de l'architecture moderne, soulignant au passage l'importance des liens qui unissent les bâtiments à leurs représentations photographiques. |
Dans un intérieur photographié par Julius Shulman, la table est toujours mise. Non pas que le photographe attende le retour des trois ours de Boucle d'or, mais plutôt par respect pour l'œuvre architecturale, une marque de considération qui le pousse à régler la composition de la vue dans ses moindres détails. Durant plus de soixante-dix ans, ce photographe américain a suivi les développements de l'architecture au point de devenir une sorte d'archive vivante de sa grande et petite histoire. Le travail soutenu d'un éditeur – Benedikt Taschen, son voisin à Los Angeles – a remis en lumière celui dont les clichés méticuleusement classés, représentant parfois les seules traces de l'état d'origine des bâtiments, servent à l'occasion de guide à des restaurations architectoniques. Le long compagnonnage de Julius Shulman avec l'architecture aurait pu ne pas exister : jeune étudiant désœuvré, il pratique la photographie en amateur averti, puis suit des cours de photographie sans avoir de direction précise. Sa rencontre avec Richard Neutra sera décisive : visitant le chantier de la maison Kun avec le chef de projet, son colocataire, il en prend six clichés qu'il envoie à l'architecte. De fil en aiguille, il devient le photographe attitré du cercle des Autrichiens exilés et des modernistes de la Côte ouest : Neutra, Schindler, puis Gregory Ain ; et le témoin d'une première période héroïque de l'histoire de l'architecture californienne. Après la guerre, où il fut engagé comme photographe d'opérations chirurgicales, il retourne à la photographie d'architecture pour vivre une seconde période féconde : celle du programme des Case Study Houses (CSH) lancé par le journal Art&Architecture, dont il est depuis longtemps le collaborateur régulier. Devenu photographe à succès, son champ d'action s'élargit aux états-Unis tout entiers. Pour rationaliser ses déplacements, Julius Shulman prospecte, suscite les commandes, sollicite les magazines, augmentant à chaque nouveau voyage sa documentation monumentale. Son regard sur l'architecture s'aiguise et devient également plus critique : sa collaboration avec Entenza, initiateur des CSH, ne l'empêche pas d'émettre des réserves sur les aspects les plus rigides du programme, la sélection de maisons uniquement à toitures plates lui semblant trop restrictive. Il exprime ses préférences ou ses enthousiasmes par des petits détails qu'on peut décrypter sur les images : grand supporter de Killingsworth, il pose au premier plan d'un intérieur conçu par celui-ci une revue annonçant un prix d'architecture qu'il souhaite lui voir attribuer. Selon la légende, ou selon Shulman, Killingsworth remporta effectivement le prix. Un photographe d'architecture entre au Panthéon Julius Shulman est un peu l'archétype du photographe d'architecture. Loin de souffrir des conventions propres à ce genre d'images – parallélisme des verticales, temps clair –, elles lui apparaissent une nécessité absolue : « l'architecture doit être photographiée dans les meilleures conditions possibles, l'architecte s'étant investi des mois, voire des années, dans son projet », justifiant ainsi le fait de ne jamais prendre de photos par temps gris. Il est pleinement conscient de son rôle fondamental dans les rouages de la diffusion des architectures, comme le montre ce constat qui reste vrai aujourd'hui : « Quand on présente au public les résultats d'un travail architectural, il arrive trop souvent que la qualité médiocre de photos irréfléchies et immatures ne rende pas la qualité graphique de ce travail. Ce qui va entraîner le rejet du projet par l'éditeur ou le directeur artistique, même si ces photos révèlent des détails architecturaux valables*. » Il sait également que si l'architecte fait le bâtiment, le photographe a le pouvoir de le transformer en icône : les vues nocturnes des maisons Kaufmann de Neutra et de la CSH n° 22 dessinée par Peter Koenig ont ainsi connu ce mécanisme que le photographe appelle la transcendance, caractéristique de certaines photos qui magnifient les qualités visuelles de l'édifice photographié. Suspendue dans la nuit au-dessus de Los Angeles, la maison de Koenig photographiée par Shulman idéalisait les rêves des jeunes gens, alors que cette vie n'avait jamais été réelle : les personnages sur la photo sont des figurants figés durant les quatre minutes de pose nécessaires à l'impression sur la pellicule des lointaines lumières angelines. C'est par ces petites manipulations sur la réalité que Shulman passait du stade de la reproduction au reflet de son sujet. Ses images reflètent également leur époque, son optimiste innovateur et c'est sans doute pour cela que, le temps aidant, elles quittent progressivement le champ de la photographie d'architecture pour entrer dans l'histoire de la photographie tout court. (ON)
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