After invisible man by Ralph Elisson the prologue |
Le titre anglais de l’exposition de
l’artiste canadien, que présente le Mudam Luxembourg, renvoie autant Ã
l’apparence qu’à l’apparition. Ses tableaux photographiques, toujours
complexes, sont des représentations très construites, comme peuvent en donner la
peinture, le cinéma, le théâtre, la littérature et parfois l’architecture, qui
les nourrissent. Visions ou hallucinations, Å“uvres de fiction, documentaires ou
presque documentaires, elles composent avec le réel et l’imaginaire. Jeff Wall
est décidément nécessaire pour savoir regarder et aller au-delà des apparences. |
THE FLOODED GRAVE, 1998-2000 Transparent
dans caisson lumineux 228,6 x 282 cm
Extrait
d’une conversation entre Jeff Wall et Jean- François Chevrier en 2001 à Paris,
transcrite sous le titre « Le presque documentaire » in Communications n° 29,
2006 :
– Si quelqu’un, par un après-midi pluvieux dans un cimetière, se trouvait devant une tombe ouverte remplie d’eau, s’il s’arrêtait un instant pour regarder à l’intérieur, il pourrait, le temps d’une fraction de seconde, être l’objet d’un fantasme, d’un rêve éveillé, d’une réminiscence, ou d’une combinaison de tout cela, et voir la scène que j’ai représentée, un fragment de fond sous-marin. Cette vision est un produit de l’esprit, suscité par des processus mystérieux. ll me semble que cet événement imaginaire instantané fait écho à l’instantanéité de la photographie. – Cette image traite d’un lieu commun : l’association de la mort et du sentiment océanique. Il n’y a là rien de grandiose, simplement une grande justesse poétique. La combinaison de la partie réaliste (le cimetière) et de la partie imaginaire (la vision mentale) est parfaitement réglée. – Le lieu commun est le champ le plus intéressant, celui qui offre le plus de sujets et de traitements possibles. Je ne sais plus qui a dit que rien n’est plus complexe et plus mystérieux que le lieu commun. Il me semblait que, pour The Flooded Grave, tout devait avoir cet aspect commun : la vue du cimetière, avec les pompes, les tuyaux, les ouvriers, les corbeaux, etc., mais aussi l’image sous-marine. Il fallait que ce soit aussi un moment ordinaire du monde sous- marin. Je voulais également que l’association des deux ait une qualité onirique, une qualité de rêve éveillé. Les rêves éveillés nous arrivent en pleine journée, au milieu des choses ordinaires, ils font aussi partie du monde quotidien, dont le caractère commun m’apparaît comme ce qu’il y a de plus énigmatique et de plus beau.
IN FRONT OF A NIGHTCLUB, 2006 Transparent
dans caisson lumineux 226 x 360,8 cm
Extrait
de « L’homme des foules » des Nouvelles histoires extraordinaires d’Edgar Allan
Poe, traduction de Charles Baudelaire (1857) :
« À
mesure que la nuit devenait plus profonde, l’intérêt de la scène
s’approfondissait aussi pour moi ; car non seulement le caractère général de la
foule était altéré (ses traits les plus nobles s’effaçant avec la retraite
graduelle de la partie la plus sage de la population, et les plus grossiers
venant vigoureusement en relief, à mesure que l’heure plus avancée tirait
chaque espèce d’infamie de sa tanière), mais les rayons des becs de gaz,
faibles d’abord quand ils luttaient avec le jour mourant, avaient maintenant
pris le dessus et jetaient sur toutes choses une lumière étincelante agitée.
Tout était noir, mais éclatant. » Les figurants rassemblés dans cette mise en
scène ne l’étaient pas nécessairement à la prise de vue. Il peut s’agir d’un
montage à partir de plusieurs. Ce qui accentue l’idée que chacun des
personnages n’est occupé que de lui-même et renforce « la dialectique de
l’identité et de la non-identité ». La figure à la fois familière et incongrue
du vendeur de roses est une apparition quasi spectrale, identique à celle que
poursuit le narrateur dans la nouvelle de Poe.
AFTER « INVISIBLE MAN » BY RALPH ELLISON, THE PROLOGUE, 1999-2001 Transparent dans caisson lumineux
174 x 250,5 cm
Le
roman de l’auteur noir américain Ralph
Ellison, paru en 1952 et traduit en français sous le titre Homme 
invisible, pour qui chantes-tu ?, débute par la description des conditions de
vie d’un homme noir sans nom. Il vit dans une cave sans fenêtre, éclairée par
une myriade de lampes alimentées sur le circuit de la ville. Manière de lutter
contre l’invisibilité sociale dont il est victime. Jeff Wall poursuit cette
question de la visibilité avec la reconstitution quasi cinématographique de la
scène. Il ne s’agit pas pour autant d’une illustration, mais de ce que Wall
appelle un « accident de lecture » : une image qui s’impose. Le décor est
recomposé avec une minutie obsessionnelle : tous les objets, chacune des
lampes, datent du début des années 1950, époque à laquelle se situe l’histoire.
Ce décalage temporel amplifie la sensation de mise en scène, en lui donnant
véracité plus que réalité. La figure du héros est elle-même fantomatique,
fictive : elle n’existe que par la narration dans l’écrit ou sous forme
d’appearance dans la photographie.
SEARCH OF PREMISES, 2009 Impression
Lightjet 192,3 x 263 cm
Les
mots, les titres ont leur importance. Ils sont aussi polysémiques, comme on l’a
vu avec celui donné par Jeff Wall à l’exposition. Search of Premises peut aussi
bien signifier « recherche de prémisses » (d’un crime dont on ignore tout mais
qui justifierait la perquisition) que « quête de nouveaux locaux »… Cette
oscillation du sens procède de la corde raide sur laquelle se tient Jeff Wall,
dans l’investigation/ invention sur la photographie qu’il poursuit depuis une
quarantaine d’années. Pour parler de ses œuvres, il lui faut recourir au mot
français tableau : l’anglais picture verse trop vers l’image. À propos de son
travail, il emploie le mot anglais depiction, qui balance entre représentation
et description. De même peut-il parler de reportage, qui a moins en anglais la
connotation journalistique que lui attribue le français qu’il ne renvoie au
verbe to report, rendre compte, à la fois plus neutre et plus implicatif.
Search of Premises paraît, à première vue, appartenir au genre du reportage.
Les indices pour le démentir sont dans l’image même. La représentation de
l’espace dérange : la porte, au centre de la perspective frontale, est percée
dans un mur qui bascule vers un autre point de fuite sur la droite, tout comme
le lustre incliné au-dessus du personnage, parfaitement vertical quant à lui.
Où donc est celui qui regarde – et s’agit-il de celui qui prend la photo avec
sa lentille sphérique, ou bien du spectateur qui prend sa place ? Et où se
trouve le personnage qui a abandonné casquette, chaussures, chaussettes,
pantalon et ceinture ? Et que vient faire dans la scène le bout de tissu vert
dans l’angle en bas à gauche ? Et pourquoi cette lunette sur trépied ? Elle
indique le dehors, comme la lumière du jour, comme la fenêtre, comme
l’éclairage à l’étage inférieur. Tout parle d’un hors cadre, comme si l’image
fuyait à elle-même, s’échappait, à l’instar du fugueur recherché, peut-être en
quête d’une nouvelle planque. L’imaginaire se superpose à l’image, la façonne,
et ouvre la question philosophique de ce que l’on voit du monde, ou, par
l’absence, de l’impossibilité à le saisir.
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