Hervé Beaudouin

Rédigé par Françoise ARNOLD
Publié le 01/10/2003

Portrait de l'architecte

Article paru dans d'A n°140

Hervé Beaudouin fait œuvre de résistance culturelle, prônant la recherche de procédés rustiques dans la mise en œuvre des matériaux et l’inscription de l’architecture dans l’économie locale.

Il est l’homme qui réussit le rêve de tout architecte : « tenir » ses bâtiments avec très peu de matériaux. Un matériau de structure, donné pleinement à lire, à toucher, à palper. Un unique type de bois, toujours local. Un sol traité en déclinaison des parois. Des murs blancs. Des serrureries et des menuiseries en acier métallisé – toujours pleines, il n’aime pas la finesse des tubes, convaincu que « l’on sent qu’ils sont creux ». On l’aura compris, le travail d’Hervé Beaudouin se signale par la recherche d’une matérialité à contre-courant de l’idéologie dominante. Dans cette perspective, il a développé une démarche originale, en liaison avec de petites entreprises de sa région – entre Poitou, Aunis et Saintonge – et celui qu’il n’appelle que par son prénom, « Manuel », un Portugais, maçon de son état. « J’ai commencé par réaliser des murs en pierre de récupération, raconte-t-il, et puis elles sont devenues rares et chères, car un marché s’était créé. J’ai alors cherché des manières plus économiques de construire, ce qui m’a conduit à inventer des murs mi-pierre, mi-béton. »


Un habillage de pierres orangées

Il montre une opération déjà ancienne : la chambre des métiers de Niort, habillée de pierres orangées habituellement destinées aux sous-couches des routes et ici éclatées et sciées, ce qui leur donne cette texture si particulière. Récemment, il a mis au point le « mur banché » : des banches en bois tiennent des pierres ; elles sont posées dressées, à la différence des constructions traditionnelles où elles reposent sur leur tranche ; le béton est coulé au milieu. Les premières expérimentations s’accompagnent toujours d’un moment d’inquiétude : le décoffrage. Mais à Niort encore, avec la paroi de l’hôpital – la première si grande, si haute –, c’est le soulagement. Tout a bien marché. Même inquiétude pour le béton de site, qu’Hervé Beaudouin explore actuellement sous différentes versions. L’une utilise, selon sa région d’accueil, des agrégats de calcaire ou de granit. Or, avec le granit, comment faire pour que cette pierre lourde se répartisse de façon homogène ? Et si d’autres formulations, telle celle utilisée pour le musée de Cognac, le satisfont pleinement, il arrive que la reprise de banche, volontairement apparente, le laisse insatisfait. La frontière entre l’intéressante « imprécision née de la main de l’homme» et le « mal fait » semble très claire pour lui. Elle est quelquefois subtile pour un regard extérieur… Tout au long d’une journée passée à sillonner en voiture le triangle Niort-Poitiers-Cognac, sa terre d’élection, d’autres axes de travail apparaissent. Dans le petit parc des Expositions de Noron, situé dans le marais Galuchet, il a au fil des ans construit différents bâtiments qui témoignent de son inventivité : une très belle halle en structure métallique est habillée de planches de bois passées à la peinture noire pour bateaux ; une autre explore la veine des chemins d’eau et est dotée de gouttières géantes – une veine esthétique originale. Un peu plus loin, un centre de rencontre a été construit à partir du détournement d’un silo à grain gonflable, importé des états-Unis. La projection de 12 cm de béton en sous-face lui a donné la dimension de pérennité nécessaire, à des coûts défiant toute concurrence. Car, ce qui intéresse Hervé Beaudouin, c’est de s’inscrire dans une économie locale. Il ne dépose ni brevet, ni demande d’Atex (validation attribuée par le CSTB). « Je recherche une technique rapide, facile, pas l’innovation mais l’adaptation de pratiques traditionnelles aux moyens d’aujourd’hui », précise-t-il. Il y a chez cet homme d’une profonde gentillesse un désir de défendre la place de l’humain dans le mode de production contemporain. En témoigne son discret – mais obstiné – combat pour les menuiseries artisanales (voir ci contre). Comme des jardins suspendus Il a mis au point une typologie de fenêtres qu’il utilise dans la plupart de ses opérations depuis cinq ou six ans. Ses bâtiments témoignent ainsi d’une grande parenté formelle et l’évolution de sa réflexion ou de ses préoccupations se manifeste par glissement, plutôt par la singularité de chaque œuvre. Architecte-conseil du ministère de l’équipement, il travaille aujourd’hui aussi bien pour le privé que pour le public, et pour tout programme. Ainsi cette opération de logements à Nantes, qu’il dessine actuellement pour un promoteur privé, et où il développe, avec la paysagiste Florence Marty, de grandes terrasses plantées, véritables jardins suspendus. Ou cet ensemble de trois petits équipements qui seront habillés de tuffeau, cette pierre blanche très friable caractéristique des pays de Loire. Ou encore le chantier du théâtre de Poitiers, qu’il mène avec l’architecte portugais Carrilho da Graça. Dans la même ville, quelques années plus tôt, il avait réalisé avec son frère Laurent, également architecte, et Sylvain Giacommazzi une médiathèque très remarquée. Hervé Beaudouin avait alors su trouver un terrain d’entente avec son (jeune) frère : si Laurent, ancien du groupe Uno, revendique son admiration pour la période blanche de Le Corbusier, lui serait plutôt de la tendance dernière période, celle qui recherche un ancrage dans la dimension artisanale. Ce goût ne lui vient certainement pas de sa formation : « à l’école d’architecture de Nancy, le credo des années 1970 était, raconte-t-il, l’industrialisation ouverte et avait fait de Prouvé un paria. » C’est plus tard qu’il a découvert, à Paris, le mémorial de la Déportation, réalisé par Pingusson, qui est devenu pour lui une sorte de guide spirituel sur les chemins de l’architecture. Il cite encore d’autres réalisations pour lui très inspirantes : toujours de Pingusson, la rénovation du hameau de Grillon, près de Grignan, dans le Vaucluse, avec des bétons de site magnifiques, la récupération des pierres et des tuiles. Puis, récemment, la découverte des travaux siciliens de Francisco Venezia, d’Alvaro Siza et de Roberto Collova, selon d’autres techniques. De nouvelles expérimentations en perspective…


Centre de rencontre et de communication, Niort, 1992/1993

Cette sorte de palais des congrès est construit à partir d’une structure textile habituellement utilisée aux États-Unis pour les silos à grain. Deux souffleries ont permis de gonfler en une demi-heure un volume important. Ce dôme textile a servi de tambour et de système d’étanchéité. Une structure secondaire en métal a permis de fixer à l’intérieur 12 cm de béton, finis par un flocage, tandis que des correctifs acoustiques en bois ont été suspendus. Cette salle centrale est ceinte d’une galerie périphérique. Le cheminement de la lumière est travaillé par le positionnement des baies au nu du sol. Celui-ci est traité de manière à la fois brute et élégante en opus incertum : des pierres de géométrie aléatoire, posées comme telles.


Halle en bois, Niort, 1997

Ce bâtiment de 60 x 50 m au sol est porté par deux poutres treillis en métal de 5 m de haut, qui reposent elles-mêmes sur deux piles centrales. L’éclairage est zénithal, par le jeu de panneaux de réglite®. La halle est habillée en extérieur par des planches de bois goudronné dont le chanfrein est dissimulé sous la reprise de banche.


Chambre des métiers de Niort, 1997/1998

Elle est habillée de pierre éclatée, posée en quinconce. Elles sont empilées, collées lit par lit sur des rails en inox. Certaines sont en outre agrafées pour plus de sécurité, et tiennent tout le système.


La fenêtre

Dans la plupart de ses opérations actuelles, Hervé Beaudouin décline un même dessin de fenêtre : un ouvrant plein, réalisé en bois de hêtre rétifié, et un dormant vitré, serti dans une cornière en acier métallisé. Il mène ainsi un combat contre les industriels de la fenêtre qui ont imposé des normes nécessitant des tests de résistance à l’air et à l’eau selon des modalités trop coûteuses pour les artisans. L’embrasure est épaisse (béton de site oblige) et habillée de bois, toujours local ; l’ouvrant est positionné au nu extérieur.


Centre universitaire de relation avec les entreprises (CURE), Poitiers, 2004

Trois petits bâtiments en trapèze, à rez-de-chaussée, sont réunis par une circulation vitrée, décollée du sol. À l’intérieur, la chappe de béton donne à voir des agrégats sciés. Les parois extérieures en béton de site sont striées, elles évoquent sommairement un appareillage de pierre et dynamisent le mur par le jeu des ombres portées. Ce faux joint creux a été réalisé par un cordon de silicone placé en fond de banche.


Musée de Cognac, 2004 (réalisé en association avec l’agence Bégué-Peyrichou)

Le musée est né de l’association d’un hôtel particulier transformé et d’une construction neuve. Celle-ci s’adosse aux ruines du rempart, dont elle reprend la texture, la couleur et la volumétrie, et ouvre sur une nouvelle place, traitée en douve sèche par la paysagiste Florence Marty. Lorsque l’on a passé la grille en bois, on pénètre d’abord dans une cour oblongue, plantée de collections de vignes à cognac, puis, latéralement, dans un grand hall, qui organise un circuit en boucle. Les façades de la galerie sont en béton de site, elles sont suspendues au plancher haut, pour ménager des fentes et des baies au droit du plancher. Dans l’hôtel particulier, une nouvelle charpente associe IPN avec des fermes et des pannes en peuplier.


Le béton de site

Le béton « traditionnel » est constitué de ciment gris et de diorite (des pierres dures), le béton de site à partir de granulat locaux (ici du calcaire), de ciment blanc et de sable coloré provenant de la rivière voisine. Le mur est aussi isolant, cela permet de le laisser brut à l’intérieur. Sur ces chantiers, c’est le maçon qui intervient en dernier.


Maison des associations de Poitiers, 2004

Elle est en partie réalisée selon la technique de la pierre banchée, qui nécessite l’ajour d’un isolant à l’intérieur. La surface intérieure est alors traitée en béton projeté sur une tôle estampée. Le reste du bâtiment est réalisé en bio-briques de 40 cm d’épaisseur, qui font office d’isolant.


La pierre banchée

Hervé Beaudouin a mis un point une fiche précise pour cette technique inspirée des pratiques de Frank Llyod Wright. Le maçon utilise des pierres de récupération : il n’a donc besoin ni de les tailler ni de les ajuster, car elles sont placées de face dans la banche. Les murs sont ainsi très épais, 35-40 cm, tout en requérant cinq à six fois moins de pierre que dans un mur traditionnel. Dix à quinze jours suffisent pour réaliser un grand mur.


Biographie

> 1949 : naissance à Nancy

> 1975 : diplôme d’architecte DPLG

> 1980 : lauréat des Albums de la jeune architecture

> 1976 : installation à Niort

> 1997 : architecte conseil de la Creuse

> Pour en savoir plus : www.beaudouin-architecte.com #

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