Portrait de l'architecte |
Hervé Beaudouin fait œuvre de résistance culturelle, prônant la recherche de procédés rustiques dans la mise en œuvre des matériaux et l’inscription de l’architecture dans l’économie locale. |
Il est l’homme qui réussit le rêve
de tout architecte : « tenir » ses bâtiments avec très peu de
matériaux. Un matériau de structure, donné pleinement à lire, Ã
toucher, Ã palper. Un unique type de bois, toujours local. Un sol
traité en déclinaison des parois. Des murs blancs. Des serrureries
et des menuiseries en acier métallisé – toujours pleines, il
n’aime pas la finesse des tubes, convaincu que « l’on sent
qu’ils sont creux ». On l’aura compris, le travail d’Hervé
Beaudouin se signale par la recherche d’une matérialité Ã
contre-courant de l’idéologie dominante. Dans cette perspective,
il a développé une démarche originale, en liaison avec de petites
entreprises de sa région – entre Poitou, Aunis et Saintonge – et
celui qu’il n’appelle que par son prénom, « Manuel », un
Portugais, maçon de son état. « J’ai commencé par réaliser des
murs en pierre de récupération, raconte-t-il, et puis elles sont
devenues rares et chères, car un marché s’était créé. J’ai
alors cherché des manières plus économiques de construire, ce qui
m’a conduit à inventer des murs mi-pierre, mi-béton. »
Un habillage de pierres orangées
Il montre une opération déjÃ
ancienne : la chambre des métiers de Niort, habillée de pierres
orangées habituellement destinées aux sous-couches des routes et
ici éclatées et sciées, ce qui leur donne cette texture si
particulière. Récemment, il a mis au point le « mur banché » :
des banches en bois tiennent des pierres ; elles sont posées
dressées, à la différence des constructions traditionnelles où
elles reposent sur leur tranche ; le béton est coulé au milieu. Les
premières expérimentations s’accompagnent toujours d’un moment
d’inquiétude : le décoffrage. Mais à Niort encore, avec la paroi
de l’hôpital – la première si grande, si haute –, c’est le
soulagement. Tout a bien marché. Même inquiétude pour le béton de
site, qu’Hervé Beaudouin explore actuellement sous différentes
versions. L’une utilise, selon sa région d’accueil, des agrégats
de calcaire ou de granit. Or, avec le granit, comment faire pour que
cette pierre lourde se répartisse de façon homogène ? Et si
d’autres formulations, telle celle utilisée pour le musée de
Cognac, le satisfont pleinement, il arrive que la reprise de banche,
volontairement apparente, le laisse insatisfait. La frontière entre
l’intéressante « imprécision née de la main de l’homme» et
le « mal fait » semble très claire pour lui. Elle est quelquefois
subtile pour un regard extérieur…
Tout au long d’une journée
passée à sillonner en voiture le triangle Niort-Poitiers-Cognac, sa
terre d’élection, d’autres axes de travail apparaissent. Dans le
petit parc des Expositions de Noron, situé dans le marais Galuchet,
il a au fil des ans construit différents bâtiments qui témoignent
de son inventivité : une très belle halle en structure métallique
est habillée de planches de bois passées à la peinture noire pour
bateaux ; une autre explore la veine des chemins d’eau et est dotée
de gouttières géantes – une veine esthétique originale. Un peu
plus loin, un centre de rencontre a été construit à partir du
détournement d’un silo à grain gonflable, importé des
états-Unis. La projection de 12 cm de béton en sous-face lui a
donné la dimension de pérennité nécessaire, à des coûts défiant
toute concurrence. Car, ce qui intéresse Hervé Beaudouin, c’est
de s’inscrire dans une économie locale. Il ne dépose ni brevet,
ni demande d’Atex (validation attribuée par le CSTB). « Je
recherche une technique rapide, facile, pas l’innovation mais
l’adaptation de pratiques traditionnelles aux moyens d’aujourd’hui
», précise-t-il. Il y a chez cet homme d’une profonde gentillesse
un désir de défendre la place de l’humain dans le mode de
production contemporain. En témoigne son discret – mais obstiné –
combat pour les menuiseries artisanales (voir ci contre).
Comme des
jardins suspendus
Il a mis au point une typologie de fenêtres qu’il
utilise dans la plupart de ses opérations depuis cinq ou six ans.
Ses bâtiments témoignent ainsi d’une grande parenté formelle et
l’évolution de sa réflexion ou de ses préoccupations se
manifeste par glissement, plutôt par la singularité de chaque
œuvre. Architecte-conseil du ministère de l’équipement, il
travaille aujourd’hui aussi bien pour le privé que pour le public,
et pour tout programme. Ainsi cette opération de logements Ã
Nantes, qu’il dessine actuellement pour un promoteur privé, et où
il développe, avec la paysagiste Florence Marty, de grandes
terrasses plantées, véritables jardins suspendus. Ou cet ensemble
de trois petits équipements qui seront habillés de tuffeau, cette
pierre blanche très friable caractéristique des pays de Loire. Ou
encore le chantier du théâtre de Poitiers, qu’il mène avec
l’architecte portugais Carrilho da Graça. Dans la même ville,
quelques années plus tôt, il avait réalisé avec son frère
Laurent, également architecte, et Sylvain Giacommazzi une
médiathèque très remarquée. Hervé Beaudouin avait alors su
trouver un terrain d’entente avec son (jeune) frère : si Laurent,
ancien du groupe Uno, revendique son admiration pour la période
blanche de Le Corbusier, lui serait plutôt de la tendance dernière
période, celle qui recherche un ancrage dans la dimension
artisanale. Ce goût ne lui vient certainement pas de sa formation :
« à l’école d’architecture de Nancy, le credo des années
1970 était, raconte-t-il, l’industrialisation ouverte et avait
fait de Prouvé un paria. » C’est plus tard qu’il a découvert,
à Paris, le mémorial de la Déportation, réalisé par Pingusson,
qui est devenu pour lui une sorte de guide spirituel sur les chemins
de l’architecture. Il cite encore d’autres réalisations pour lui
très inspirantes : toujours de Pingusson, la rénovation du hameau
de Grillon, près de Grignan, dans le Vaucluse, avec des bétons de
site magnifiques, la récupération des pierres et des tuiles. Puis,
récemment, la découverte des travaux siciliens de Francisco
Venezia, d’Alvaro Siza et de Roberto Collova, selon d’autres
techniques. De nouvelles expérimentations en perspective…
Centre de rencontre
et de
communication, Niort, 1992/1993
Cette sorte de palais des congrès
est construit à partir d’une structure textile habituellement
utilisée aux États-Unis pour les silos à grain. Deux
souffleries
ont permis de gonfler en une demi-heure un volume important.
Ce dôme
textile a servi de tambour et de système d’étanchéité. Une
structure secondaire en métal a permis de fixer
à l’intérieur
12 cm de béton, finis par un flocage, tandis que des correctifs
acoustiques en bois ont été suspendus.
Cette salle centrale est
ceinte d’une
galerie périphérique. Le cheminement de la lumière
est travaillé par le
positionnement des baies au nu du sol.
Celui-ci est traité de manière
à la fois brute et élégante en
opus
incertum : des pierres de géométrie aléatoire, posées comme
telles.
Halle en bois,
Niort, 1997
Ce bâtiment de 60 x 50 m au sol est porté par deux poutres treillis en métal de 5 m de haut, qui reposent elles-mêmes sur deux piles centrales. L’éclairage est zénithal, par le jeu de panneaux de réglite®. La halle est habillée en extérieur par des planches de bois goudronné dont le chanfrein est dissimulé sous la reprise de banche.
Chambre des métiers
de Niort,
1997/1998
Elle est habillée de pierre
éclatée, posée en
quinconce.
Elles sont empilées, collées
lit par lit sur des rails
en inox.
Certaines sont en outre
agrafées pour plus de sécurité,
et tiennent tout le système.
La fenêtre
Dans la plupart de ses opérations actuelles, Hervé Beaudouin décline un même dessin de fenêtre : un ouvrant plein, réalisé en bois de hêtre rétifié, et un dormant vitré, serti dans une cornière en acier métallisé. Il mène ainsi un combat contre les industriels de la fenêtre qui ont imposé des normes nécessitant des tests de résistance à l’air et à l’eau selon des modalités trop coûteuses pour les artisans. L’embrasure est épaisse (béton de site oblige) et habillée de bois, toujours local ; l’ouvrant est positionné au nu extérieur.
Centre universitaire de relation avec
les entreprises (CURE), Poitiers, 2004
Trois petits bâtiments en
trapèze, à rez-de-chaussée, sont réunis par une circulation
vitrée, décollée du sol. À l’intérieur, la chappe de béton
donne à voir des agrégats sciés. Les parois extérieures en béton
de site sont striées, elles évoquent sommairement un appareillage
de pierre et dynamisent
le mur par le jeu des ombres portées. Ce
faux joint creux a été réalisé par un cordon de silicone placé
en fond de banche.
Musée de Cognac, 2004
(réalisé en
association avec l’agence Bégué-Peyrichou)
Le musée est né de l’association d’un hôtel particulier transformé et d’une construction neuve. Celle-ci s’adosse aux ruines du rempart, dont elle reprend la texture, la couleur et la volumétrie, et ouvre sur une nouvelle place, traitée en douve sèche par la paysagiste Florence Marty. Lorsque l’on a passé la grille en bois, on pénètre d’abord dans une cour oblongue, plantée de collections de vignes à cognac, puis, latéralement, dans un grand hall, qui organise un circuit en boucle. Les façades de la galerie sont en béton de site, elles sont suspendues au plancher haut, pour ménager des fentes et des baies au droit du plancher. Dans l’hôtel particulier, une nouvelle charpente associe IPN avec des fermes et des pannes en peuplier.
Le béton de site
Le béton « traditionnel » est constitué de ciment gris et de diorite (des pierres dures), le béton de site à partir de granulat locaux (ici du calcaire), de ciment blanc et de sable coloré provenant de la rivière voisine. Le mur est aussi isolant, cela permet de le laisser brut à l’intérieur. Sur ces chantiers, c’est le maçon qui intervient en dernier.
Maison des associations
de Poitiers,
2004
Elle est en partie réalisée selon la technique de la pierre
banchée, qui nécessite l’ajour d’un isolant à l’intérieur.
La surface
intérieure est alors traitée en béton
projeté sur
une tôle estampée. Le reste du bâtiment est réalisé en
bio-briques de
40 cm d’épaisseur, qui font office d’isolant.
La pierre banchée
Hervé Beaudouin a mis un point une fiche précise pour cette technique inspirée des pratiques de Frank Llyod Wright. Le maçon utilise des pierres de récupération : il n’a donc besoin ni de les tailler ni de les ajuster, car elles sont placées de face dans la banche. Les murs sont ainsi très épais, 35-40 cm, tout en requérant cinq à six fois moins de pierre que dans un mur traditionnel. Dix à quinze jours suffisent pour réaliser un grand mur.
Biographie
> 1949 : naissance Ã
Nancy
> 1975 : diplôme d’architecte DPLG
> 1980 : lauréat
des Albums de la jeune architecture
> 1976 : installation à Niort
> 1997 : architecte conseil de la Creuse
> Pour en savoir plus : www.beaudouin-architecte.com #
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