Gilles Raynaldy |
Régulièrement,
librement, sans fard ni mise en scène, Gilles Raynaldy photographie les
intérieurs de ses connaissances, en leur absence. Son approche, toute de
discrétion et de retenue, est purement photographique : elle se construit d’un
regard, chasse des images lumineuses qui forcent l’interrogation. Ces portraits
en creux instruisent avec force sur l’expérience qui se joue dans le fait
d’habiter. |
S’il est un domaine que les architectes semblent avoir
délaissé, sinon abandonné, c’est bien celui des intérieurs, et tout
particulièrement ceux que l’on habite. L’affaire est entendue : le logement
collectif est un produit calibré, sur lequel le concepteur n’a guère de prise,
sauf à la marge, sauf par exception. Il se concentre sur la forme et l’aspect
extérieurs d’un édifice, pensé comme une pièce urbaine, destinée tantôt Ã
inscrire un morceau de ville, tantôt à s’y inscrire, tantôt à y trancher. Il
faut, pour trouver trace d’appartements raisonnés tant dans leurs formes que
dans leurs usages, et donc dans l’articulation de celles-là à ceux-ci, remonter
à des âges antérieurs. Alors les pièces, leurs dispositions, leurs dessins,
leur enchaînement ne sont plus des contraintes mais des lieux constitués, laissés
à la libre occupation de ceux qui s’en emparent, à l’inventivité et à la
singularité de chacun. Habiter est alors une expérience, intime, et l’habitat
la marque de cette expérience.
PRESENCE DE L’ABSENCE
Le travail de Gilles Raynaldy n’a pas prétention à tenir
pareil discours, non plus qu’à relever d’une enquête. Il ne s’agit pas de
sociologie, encore moins d’architecture. Mais bien de photographie, qui a pour
objet de construire des images qui tiennent par elles-mêmes – dans leur cadre,
leur composition, leur lumière. Des images qui, de surcroît, produisent un sens
qu’elles ne délivrent pas immédiatement mais auquel elles invitent à réfléchir.
Des images qui informent, parce qu’elles documentent le réel.
Les images photographiques, quand elles ne sont pas
délibérément fabriquées, énoncent toujours : « cela a été ». Il y a bien une
photographie du réel comme il existe un cinéma du réel. Les images d’intérieurs
de Gilles Raynaldy ne racontent rien, ne démontrent rien. Elles révèlent. La
présence d’une absence, la trace et le passage d’une existence, d’une
expérience. Et tout autant la position du photographe, résultant à l’inverse
d’un effacement apparent, de l’absence d’une présence.
RENDRE VIE
Il est à l’affût, ce
qui exige toutes les qualités d’un guetteur d’images : acuité, patience,
discrétion, retenue, retrait. Il se fond dans ce qu’il voit et disparaît
derrière ce qu’il donne à voir. Pour autant, il est très présent, très
instruit. Ses images sont picturales, le plus souvent. Elles ont ici la qualité
de natures mortes, ou de scènes de genre en l’absence d’acteurs. Cela
s’apprend, s’entretient, se cultive. Regardez l’image sur la page d’en face.
Deux pommes de terre, un cendrier et ses mégots, une bouteille, une théière, un
coquillage… Rien qui vaille la peine. Et pourtant, par la grâce de la lumière,
la force de la composition (trouvée, repérée, cadrée), c’est bien une
still life – les mots anglais, littéralement « vie immobile », pour désigner ce
que nous nommons nature morte. L’intérieur, l’intime : il y a avec eux quelque
chose d’un abandon, d’une absence de tricherie, de mise en spectacle, de
représentation. Sinon celle que l’on se donne à soi-même ou à ses proches. Des
paysages, qui seraient à la fois ceux de la vie comme elle court, de l’expérience
qu’elle entend, ceux des choses et des endroits comme ils se donnent aux êtres
qui les choisissent ou en usent. Pourvu qu’on l’ait compris, avec ces portraits
en creux, alors les concepteurs pourraient-ils leur donner, en adoptant
l’attitude exemplaire d’un Gilles Raynaldy, les lieux qu’ils méritent et qu’ils
appellent, ceux qui les autoriseraient et dans lesquels ils s’épanouiraient.
SE FAIRE OUBLIER
Entre 2008 et 2014, Gilles Raynaldy a documenté la vie
scolaire du collège Jean-Jaurès à Montreuilsous-Bois. Portraits de lieux, et de
moments, de personnes, enfants et jeunes gens, enseignants et personnels du
collège. Ils nourrissent la vie et l’expérience d’un collège, si décisifs et
pourtant occultés au regard, inaccessibles qu’ils sont sauf à ceux qui y ont Ã
faire. Même capacité du photographe à se faire oublier au point d’être toujours
là . Mêmes qualités, même exemplarité, même utilité – pourvu que voir, savoir et
savoir voir servent à ceux qui regardent.
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