Gilbert Fastenaekens |
Voilà maintenant plus de vingt ans que le photographe belge Gilbert Fastenaekens sonde l'urbanisme de sa ville, Bruxelles, et des régions alentour. Ses dernières images, de superbes grands formats en couleurs récemment présentés à la galerie des Filles du Calvaire, à Paris, confrontent les spectateurs à une expérience physique et visuelle. Nous avons souhaité le rencontrer à cette occasion.
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d'A : Comment en êtes-vous venu à photographier la ville ?
Gilbert Fastenaekens : Je viens d'un milieu très modeste dont la photo m'a, en quelque sorte, permis de sortir. C'est, pour moi, un moyen d'appréhender le monde, de l'observer sans y prendre tout à fait part. J'ai commencé par le reportage. Mais les images que je faisais ressemblaient tellement à celles de Cartier-Bresson ou de Koudelka que j'ai fini par me demander si j'avais vraiment quelque chose à dire. Je me suis mis alors à m'intéresser à l'urbanisme de ma ville, la nuit. Quand j'étais en reportage, j'avais toujours la sensation de ne pas être au bon endroit. La nuit, par contre, la ville devient un décor déserté par les acteurs, et la lumière – artificielle – y tombe toujours de la même manière. Ce qui permet de recommencer ce qu'on a raté la veille ! C'est ce travail qui m'a fait connaître.
d'A : Parlez-nous de cette dernière série présentée, il y a peu, à la galerie des Filles du
Calvaire, Ã Paris.
G.F. : Elle fait suite à une première série exécutée en noir et blanc, « Site », dans laquelle je montrais l'édification d'une ville portée par une énergie chaotique, poussant sans pensée. Cette suite donne à voir un « alphabet » basique de la construction (car on ne peut, en effet, parler ici d'architecture). Elle dévoile des pignons, des murs en attente ou en souffrance. Autant d'endroits qui n'ont jamais été dessinés, et qui n'étaient donc pas destinés à être montrés. Puis, mes vues s'élargissent, et c'est là où il est alors question d'urbanisme. Ce travail balance entre critique et sublimation. Mais c'est le photographe qui transforme ces pignons sans intérêt en leur donnant une puissance presque sculpturale, notamment à travers des grands formats qui permettent au public de les éprouver de manière quasi physique. Les vues les plus urbaines ont une charge plus critique que les vues plasticiennes.
d'A : Comment avez-vous vu le tissu urbain de Bruxelles se développer ?
G.F. : L'histoire récente de Bruxelles est un cas d'école. À l'occasion de l'Exposition universelle de 1958 on a fait la jonction entre la gare du Nord et celle du Midi avec une brutalité qui a fait des dégâts incommensurables. Aujourd'hui, on hérite de ça, en essayant de faire avec. Des urbanistes hollandais ont décidé de travailler à partir de ce chaos, qu'ils affirment comme tel, transformant ainsi une faiblesse en force. Mais pour apprécier le chaos, il faut passer par une phase culturelle. C'est un débat vif, essentiellement théorique parce que dans les actes, ça reste très prudent.
d'A : Comment travaillez-vous avec les urbanistes ?
G.F. : Pour échapper à une trop grande plasticité dans mon travail, j'ai voulu « descendre la photographie dans le caniveau » pour qu'elle serve. Qu'elle soit à nouveau un outil de réflexion. Aussi, lorsque Bruxelles a été déclarée capitale européenne en 2000, j'ai diffusé une lettre ouverte sur l'internet, demandant la collaboration d'un urbaniste. Je sais que ces derniers ont une capacité à voir la ville de manière zénithale et parfois des difficultés à descendre sur le terrain. Je leur proposais de faire un travail à deux sans savoir à l'avance où on allait aller. Certains étaient intéressés, mais paralysés aussi par les images que je faisais, parce qu'elles étaient parfois plus achevées que les propos qu'ils étaient sur le point d'avancer.
d'A : Comment appréhendez-vous la photographie d'architecture ?
G.F. : C'est un genre à part entière, qui peut être une perversion pour les architectes. Ces derniers, ayant à s'occuper de mille choses, ont fini par se confronter aux œuvres de leurs confrères en regardant des revues qui montrent de moins en moins les plans, et de plus en plus les images. Sauf que la photo – dont on sait qu'elle n'a jamais dit la vérité – « ment » ici aussi. Or, en architecture, on fait l'impasse sur ce mensonge. Ça arrange tout le monde de montrer qu'un bâtiment est plus disproportionné qu'il ne l'est réellement, ou qu'il a une capacité à aller du côté de la sculpture. Ces images sont des chromos qui vendent l'agence ou les projets futurs, mais n'informent pas.
d'A : Quels sont vos rapports avec les architectes ?
G.F. : J'ai travaillé avec de très grands architectes, et j'ai souvent l'impression d'être le fou du roi. Ce qui me limite, c'est que j'ai envie de parler d'urbanisme et qu'ils ont envie de parler de l'objet. Au final, je me retrouve à faire de la « photo d'architecture ». Mais il y a eu des expériences intéressantes, même si elles n'ont pas abouti. Avec Pierre Hebblincks, par exemple. Je lui ai proposé de travailler sur un bâtiment avant qu'il ne soit fait. L'idée était que mes images servent de repérage, afin qu'elles interviennent au moment où elles pouvaient encore influencer un projet. Les repérages des architectes, souvent exécutés assez rapidement, comme des croquis, sont généralement trompeurs. Car ils n'ont pas forcément la culture de l'image ou de la représentation de l'espace. L'idéal serait de trouver une complicité, quelque chose de modeste. Je n'ai, bien sûr, aucune compétence pour intervenir sur le dessin ou la formulation de l'espace.
d'A : Commentez une image.
G.F. : Si vous venez à Bruxelles, je ne vous emmènerai jamais voir cet endroit ! Ce n'est pas le sujet mais la manière dont il est photographié qui le sublime, lui donne sa force et son existence. Encore une fois, ce qui supporte cette forme représente le degré zéro de l'architecture. J'ai beaucoup de tendresse pour ça, une tendresse photographique uniquement.
Galerie des Filles du Calvaire, 17, rue des Filles-du-Calvaire, 75003 Paris. Tél. : 01 42 74 47 05.
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