Frédéric Chaubin, « Archéologue du temps présent »

Rédigé par Elisabeth KAROLYI
Publié le 01/03/2008

Frédéric Chaubin

Article paru dans d'A n°171

Mégastructures trouvées au hasard des routes de l’ ancien bloc soviétique, villas modernes au Cambodge, ostentatoires palais tsiganes faits de bric et de broc en Roumanie, cité idéale aux accents Renaissance construite en plein XXe siècle... « L’architecture est projection des rêves », affirme Frédéric Chaubin, photographe dilettante dont les sujets de prédilection sont ces constructions singulières, anachroniques, voire « anagéographiques », restées en marge des livres d’architecture .

Ce passionné d’histoire et d’esthétique naît au Cambodge en 1959, d’une mère espagnole et d’un père français, et grandit en Malaisie jusqu’à l’âge de 6 ans. C’est à Paris qu’il étudie le droit, avant de quitter ce chemin tout tracé pour se lancer dans le cinéma, s’ attaquer à l’écriture de scénarios, au storyboarding et à la réalisation. Autant de tâches qui aiguiseront son regard et développeront son goût pour le récit. En 1994, il entre dans la toute jeune revue de mode Citizen K dont il est aujourd’hui le rédacteur en chef. Sa révélation pour la photographie intervient en 2001 après des repérages qu’il effectue pour le magazine à Royan ; il en revient perplexe : faut-il y envoyer un photographe alors que ses propres images opèrent déjà cette séduction étrange et chère au papier glacé ? Une écriture personnelle émerge bientôt, qui lui permet d’exposer aujourd’hui avec succès à Paris, Vilnius, New York et Tokyo, tout en préparant un ouvrage sur l’architecture des anciens pays du bloc communiste. « J’essaye de comprendre la généalogie d’un style, dans quelle mesure les formes se nourrissent de diverses influences », explique cet archéologue du temps présent qui s’intéresse surtout aux productions collectives, aux architectures métissées comme ces constructions mexicaines, mêlant régionalisme et baroque espagnol, ou celles d’Istanbul, à la croisée de l’Orient et de l’Occident.


Chroniqueur autant que plasticien, Frédéric Chaubin enquête sur les sujets de ses photographies et couche sur le papier le résultat de ses recherches. Cet homme de presse explique en effet systématiquement l’origine de ses images, éveillant la curiosité de son public par la photo pour y répondre par le texte. C’est ainsi qu’en visitant la propriété de Louis Renault à Herqueville, il découvre sa vie et les aventures fantasques de sa femme ; qu’à Kep, sur le littoral cambodgien, il exhume les traces de la vie quotidienne des colons français en villégiature ; et que, fasciné par l’ architecture soviétique des années quatre-vingt, qu’il appréhende à partir de 1998 lors de plusieurs voyages professionnels, il décide d’enquêter sur cette histoire proche et pourtant méconnue. « Aujourd’hui, toute cette production est caduque, précise-t-il, tout change de manière radicale : des constructions récentes appartiennent de manière très aiguë au passé, car on a basculé dans un nouvel univers esthétique. » Récurrente dans le travail de Chaubin, la problématique du temps qui passe, principalement montrée par les symboles d’idéaux révolus ou l’abandon des bâtiments, est évoquée avec une troublante quiétude.


« Confronté à un lieu, j’aime en faire remonter les spectres, dit-il, lui qui rejette toute objectivité dans la photographie d’architecture. Un bâtiment ne peut être perçu que de façon subjective, il est fait pour traverser les périodes et les saisons. » D’où l’importance donnée à ce qui entoure le sujet, et notamment à la nature qui semble parfois enfanter ces aliens de béton ou au contraire les engloutir paisiblement. Elle dramatise, contextualise mais aussi décontextualise lorsque, omniprésente, elle exclut toute référence à un temps ou à un lieu donné, connu. Témoignant parfois de la décrépitude des édifices, elle sait également se faire l’écho de leur majesté.


Désinvolte, Chaubin pratique la photographie à main levée et avec de vieux appareils argentiques. Néanmoins attaché à une esthétique résolument contemporaine, il retouche ensuite numériquement ses icônes pour souligner leur étrangeté et polariser le regard sur l’ architecture. De sujets insolites qu’il interprète par une technique toute personnelle qu’il ne formalise pas, résultent des images étonnantes chargées d’histoire. Un travail passionnant pour un auteur qui s’ interroge encore sur la dimension artistique de son travail.

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