Franck Hammoutène - Jouvence rénovation-extension de l’hôtel de Choudens, Paris 9e

Architecte : Franck Hammoutène
Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 09/05/2019

La récente ouverture du Blanche et de sa très étonnante piscine souterraine est un bon prétexte pour revenir sur le travail de Franck Hammoutène, un architecte rare et talentueux que nous avions un peu perdu de vue.


Le Blanche, dans la rue du même nom, a été ouvert l’année dernière par Arthur et Franck-Élie Benzaquen, les créateurs du Ken Club, qui ont fait appel à Franck Hammoutène pour l’aménager dans un petit hôtel particulier tombé en déshérence. Ce nouveau lieu, conçu pour le bien-être, parvient à conjuguer grande table étoilée et salles de gymnastique présentant les derniers modèles de machines d’entraînement. Mais avant de pénétrer à l’intérieur, revenons sur l’histoire de cette construction réalisée en 1901 par Charles Girault (18511932). Un Grand Prix de Rome, architecte du Petit Palais et de Léopold II, qui lui fit construire de nombreux monuments dans toute la Belgique. Elle a été conçue pour Paul de Choudens, un éditeur de musique qui fit fortune en diffusant la partition de Carmen de Georges Bizet. Parfaitement alignée sur la rue et encastrée dans un terrain en pente, la composition est étonnante. À la fois une maison et un temple consacré à la musique, elle cristallise tout le savoir-faire de l’École des beaux-arts, que Charles Girault maîtrisait à la perfection. Côté voie, au-dessus d’un socle en léger retrait, s’élance la façade ondoyante du premier étage, prise dans l’étau de deux ressauts latéraux. Elle se termine sur un balcon que couronne une impressionnante serlienne correspondant à l’ancienne salle d’audition. À l’arrière, un petit jardin s’étend en cœur d’îlot pour se déployer dans la continuité des salles de réception et des chambres du premier étage. Une serre métallique s’avance latéralement vers le fond de la parcelle pour créer un déséquilibre bienvenu et pondérer la symétrie monumentale de cette confortable maison. Tandis que le plan trapézoïdal s’organise autour d’un salon circulaire qui fonctionne comme un pivot pour distribuer la galerie sur rue et les pièces sur jardin tout en résolvant le non-parallélisme des deux façades. Après ces années fastes et avant de tomber en décrépitude, l’hôtel de Choudens a accueilli, du début des années 1940 à nos jours, la célèbre école de théâtre de la rue Blanche. Franck Hammoutène a conservé l’enveloppe en pierre ainsi que les salles emblématiques du premier étage, comme la salle à manger et le jardin d’hiver transformés en restaurant. Une piscine a été creusée en sous-œuvre et une salle de cinéma placée en porte-à-faux dans l’ancienne salle d’audition. Tous les planchers ont été refaits en béton et sont maintenant portés par des faisceaux de fines aiguilles en acier brut qui s’immiscent partout et se raréfient en montant. L’ancien escalier d’apparat a été préservé et restauré tandis qu’une nouvelle cage a été coulée pour abriter les volées métalliques suspendues à des câbles qui viennent s’y glisser.

 

 

« Sombre Â»

 

 Vous passerez donc sous la marquise et vous entrerez dans le hall, où des hôtesses vous attendront derrière une lourde banque d’accueil métallique. Vous descendrez vous changer par des circulations dérobées puis vous remonterez vers les salles de sport par l’ancien escalier toujours flanqué de sa cabine d’ascenseur désormais privée du piston hydraulique qui la hissait autrefois jusqu’au dernier niveau. Partout le faste suranné de l’architecture du XIXe siècle sait se conjuguer avec un brutalisme suave pour rappeler un univers esthétique assez proche de celui d’Enki Bilal, qui s’exprime avec le plus d’intensité dans Bunker Palace Hôtel, son premier film. Dans les salles uniformément blanches, les volumes aux accents baroques de Charles Girault se confrontent aux portiques hightech équipés de différents agrès, mais surtout aux machines anthropomorphes qui envahissent l’espace. Elles organisent un véritable ballet mécanique ou les membres du club en combinaison sombres courent, marchent, soulèvent, pédalent, s’essoufflent, l’œil rivé sur des écrans qui leur montrent en temps réel l’état de leurs battements, de leurs pulsations, de leur tension, comme de nouveaux miroirs de Narcisse. Chacun dans leur coin, ces individus isolés se fatiguent en silence, parfois conseillés par un coach. Laissons-les souffrir seuls et engouffrons-nous dans les sous-sols éclairés par une faille qui découpe le jardin. Entrebâillons la porte du sauna des hommes pour apercevoir un couloir voûté dont les sièges isolés se tournent en oblique vers le mur du fond qui reçoit la lumière. Enfin, pénétrons dans la piscine dont le débordement produit un bruit assourdissant de cataracte et où règne une chaleur équatoriale. Le bassin s’allonge vers le mur du fond qui reçoit une lumière zénithale, à droite la haute poutre ne parvient pas à rejoindre son support et reste accrochée à la dalle de béton tout en se maintenant en suspens au-dessus de l’eau. Elle cache en partie d’énormes cylindres qui plongent dans le bassin et abritent le sauna des femmes. Une imbrication savante de deux éléments du programme et un jeu sur les interdits qui donnent l’impression que l’espace s’étend à l’horizontale comme une caverne sous le sol de la ville. Ici le béton est uniformément revêtu de granit sombre, et les colonnes porteuses sont maintenant en inox pour irradier d’une clarté incertaine dans la quasi-obscurité. Tandis que des projecteurs placés latéralement sous la surface de l’eau balaient les corps blancs des nageurs. L’espace semble ainsi s’affirmer comme le négatif des plateaux silencieux et lumineux qui se déploient au-dessus de lui. De même, les sportifs qui s’agitaient en frappant désespérément sur leur punching-ball, prisonniers de leur désir transhumaniste de se modifier, de sortir de leur condition pour retarder la fatalité du vieillissement, du flétrissement, semblent tout d’un coup plus calmes, plus sereins. Ici, redevenus poissons, ils ont redescendu un à un les degrés de l’évolution pour rejoindre l’un des états les plus archaïques de la chaîne des vertébrés. Comme si le « Sombre » prenait en sous-sol la relève du « Blanche » et portait la promesse d’une communauté originelle, solidairement réunie dans un bain amniotique, loin du dépassement de soi et de l’individualisme poussé à son extrême.



Maîtres d'ouvrages :  White Ken SA 
Maîtres d'oeuvres : Atelier d’Architecture Franck Hammoutène ; Perrot & Richard architectes des monuments historiques et du patrimoine
Entreprises : BET structure, CIEC ; CVC, E3C ; acoustique, ALTIA ; géotechnique, INUSOL ; climatisation, SANICLIMA 
Surface SDP : 2 040 m
Coût : 9,2 millions d’euros HT (travaux) 
Date de livraison : mai 2018

Les projecteurs qui pallient aux défaillances de la lumière<br/> Crédit photo : Atelier Franck Hammoutène La piscine sombre et son mur lumineux<br/> Crédit photo : Atelier Franck Hammoutène La piscine vue depuis la faille de lumière<br/> Crédit photo : Atelier Franck Hammoutène Le sauna des hommes.<br/> Crédit photo : Atelier Franck Hammoutène Les cylindres contenant le sauna des femmes<br/> Crédit photo : Atelier Franck Hammoutène La piscine sans vagues et le jeu hallucinant des reflets<br/> Crédit photo : Atelier Franck Hammoutène

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