Architecte : Gigon/Guyer. Paysagiste: Gilles Clément Rédigé par Emmanuel CAILLE Publié le 14/06/2004 |
Mouans-Sartoux.
En une quinzaine d'années, le petit bourg de Mouans-Sartoux, dans l'arrière-pays cannois, est devenu le nouveau centre de la vie culturelle des Alpes-Maritimes. Cet essor exceptionnel a été porté par une adroite politique de commande architecturale que l'on doit en grande partie au maire de la commune, André Aschieri. Sa rencontre, à la fin des années quatre-vingt, avec l'artiste et collectionneur Gottfried Honegger et la collectionneuse Sybil Albers a été déterminante pour la réussite de cette aventure hors du commun. En 1990, le vieux château de Mouans, racheté et réhabilité par la ville, devenait l'Espace de l'Art concret, un lieu d'exposition voué à la sensibilisation du grand public à l'art d'aujourd'hui. En 1998, sur une idée de Gottfried Honegger, des ateliers pédagogiques étaient subtilement insérés dans le parc du château par l'architecte Marc Barani. En 2000, Sybil Albers et Gottfried Honegger décidaient de faire don de leur collection, accompagnés dans ce geste par d'autres donateurs tels que la peintre Aurélie Nemours ou Gilbert et Catherine Brownstone. Les espaces du château restant consacrés aux expositions temporaires, il fallait, pour accueillir ces œuvres, créer un nouveau lieu à proximité. Un concours a été organisé à l'issue duquel le projet des architectes Annette Gigon et Mike Guyer a été retenu.
Art / architecture.
« L'Espace de l'Art concret » doit son nom à la revue du même nom créée par Theo van Doesburg en 1930. Comme Kandinsky, il préférait le terme d'art concret à celui d'abstraction, « parce que rien n'est plus concret, plus réel qu'une ligne, qu'une couleur, qu'une surface ». C'est Max Bill, architecte, artiste et théoricien formé au Bauhaus qui, depuis la Suisse, a été le continuateur et l'animateur de ce mouvement dans lequel art et architecture entretiennent un dialogue fécond. Si l'on voit bien que l'art, notamment l'art minimal, a trouvé dans l'architecture moderne un univers de formes et de matières qu'elle a pu réinterpréter, il est toujours plus difficile, au-delà des déclarations d'intention, de comprendre comment l'art a pu à son tour influencer l'architecture. Même si l'abolition des limites entre les genres est une tentation récurrente, c'est plutôt à partir de la claire conscience de chaque idiome qu'un échange fructueux peut s'engager. La nouvelle génération d'architectes suisses, à la suite d'Herzog & de Meuron, s'est inscrite dans cette tradition autour d'artistes comme Joseph Beuys ou Rémy Zaugg, et le choix du projet d'Annette Gigon et de Mike Guyer, parmi d'autres propositions de grande qualité, doit être envisagé au regard de cette filiation.
Gigon / Guyer ont souvent collaboré avec des artistes. Ce fut le cas avec Adrian Schiess, par exemple, pour des immeubles résidentiels ou pour le centre sportif de Davos. « A Mouans-Sartoux, dit Annette Gigon, il ne s'agit que d'une juxtaposition de l'art et de l'architecture, où celle-ci constitue en quelque sorte un instrument de perception de l'art ». Elle ajoute : « Malgré la collaboration avec les artistes, nous autres architectes ne faisons pas de l'art, mais bien de l'architecture. Dans le meilleur des cas, il s'agit d'une architecture expressive, intense et engagée, de sorte qu'il n'est peut-être pas impossible que la portée cognitive, la force poétique, l'intensité physique de certains bâtiments soient parfois comparables à l'effet produit par une œuvre d'art. » Demeure la question de la valeur et du sens artistique qu'un bâtiment est susceptible de partager avec une œuvre purement plastique ou picturale. Gottfried Honegger nous donne un élément de réponse lorsqu'il nous incite à « apprendre à regarder, parce que regarder est un acte créatif ». Car si le bâtiment de Gigon / Guyer fait œuvre, c'est justement par sa façon d'exalter notre conscience du monde, par ce qu'il offre à notre regard, le portant au-delà des choses simplement vues. Jouant avec les éléments (proportions, volumes, couleurs et matières) qui le composent, il bouleverse subtilement la syntaxe qui nous permet généra- lement de nous le représenter mentalement. Simple et étrange à la fois, il agit sur nos émotions par l'intensité de sa présence.
L'arbre géométrique.
Le découvrir, dissimulé parmi les arbres derrière le château, nous invite effectivement à une expérience insolite, où ce que l'on perçoit ne correspond pas exactement à ce que l'on attendait. On le doit en partie à un jeu sur le réseau de signes, habituellement familiers, que nous renvoie cette architecture déroutante. Bien que léger, le glissement sémantique opéré dans les éléments du vocabulaire architectural brouille les pistes conduisant à notre mémoire, fait vaciller nos sens dès lors alertés, mûrs pour une expérience singulière. Cet effet est d'autant plus fort que les formes, les matériaux et les couleurs utilisés par Gigon / Guyer sont tellement élémentaires que l'on croit pouvoir les saisir d'emblée dans leur immanente réalité. En pénétrant dans le parc, face à l'entrée du château, on distingue sur la droite une lueur vert-jaune, sur laquelle se détache la sombre silhouette de grands chênes verts. Cette couleur de végétation printanière, dont la présence n'est pas surprenante dans un parc, est celle de la lasure minérale qui recouvre le béton du nouveau bâtiment. De naturelle celle-ci devient étrange à mesure que l'on s'approche. Dressé sur la pente au milieu des arbres, l'édifice, par sa morphologie, trouble aussi nos réflexes de perception : à rebours d'un hiératisme classique, ou d'un héroïsme formel à la Gehry auxquels on pourrait s'attendre pour une institution muséale, le bâtiment donne plutôt l'impression d'avoir été conçu à l'aide d'un logiciel basique d'assemblage de cubes. C'est une tour à plan carré ne dépassant pas la cime des arbres, de laquelle émergent quatre excroissances en encorbellement (une seule en réalité, puisque les autres s'appuient sur la pente du terrain). Les grandes fenêtres, presque toutes identiques, ajoutent au trouble de notre jugement par leur taille disproportionnée qui contrarie leur typologie domestique. Couleur, volumes, percements, tout pourrait concourir à faire ressembler ce bâtiment à une construction d'enfant. Il n'en a pourtant ni la maladresse ni la gratuité. « L'architecture doit toucher émotionnellement le public et le provoquer, dit Mike Guyer. Pour parvenir à ce rayonnement, il faut que le concept soit adéquat quant à la fonction, au lieu, à l'histoire, à la société et à la culture, et soit exécuté avec précision et logique sur tous les plans du projet. Les moyens mis en œuvre doivent être soigneusement mis en rapport, et réduits, pour obtenir le plus d'effets possibles. La matérialité de leur rayonnement sensuel confère à l'espace l'effet recherché, gagnant en signification. Les édifices paraissent alors plus abstraits, plus minimalistes, mais également plus étrangers, plus attrayants, plus exigeants. »
La Villa musée.
Le bâtiment, entre villa et musée, émerge du sol feuillu de la pente du vallon, à la manière d'un arbre qui se dresse. Le public y pénètre, à mi-hauteur, par l'un des volumes en encorbellement qui forme passerelle. L'effet de présence singulière qui émane de ce totem vert-jaune vif disparaît alors. A l'intérieur, le béton gris du sol, les murs et les plafonds blancs libèrent notre acuité perceptive qui peut désormais se reporter sur les œuvres de la Donation. Le parcours est organisé en spirale ascendante de quatre demi-niveaux à partir de l'entrée, autour d'un noyau regroupant services et distributions annexes. Deux pièces d'exposition sont encore accessibles un demi-étage plus bas que l'accueil. Cette disposition, incroyablement simple dans son usage, en même temps qu'inédite, permet d'offrir, comme dans une villa, une succession de pièces riches d'une diversité de proportions et d'ambiances lumineuses. A la force expressive du bâtiment vu de l'extérieur répond, dans chaque salle, une grande fenêtre que viennent remplir les ramures des chênes verts et le paysage alpin. Composée de deux ouvrants coulissants, elle est doublée à l'extérieur par un vitrage décollé du mur et légèrement plus grand qu'elle. Suivant certaines heures et certains angles de vision depuis le parc, le verre reflète les arbres ou le ciel comme un miroir, effaçant la menuiserie et son recoupement médian, renforçant l'abstraction géométrique des façades. Vu des pièces d'exposition, le verre réfléchit en ses marges le vert- jaune des murs extérieurs, créant par cet écho visuel un effet dynamique entre dedans et dehors. Cet écho discret renforce la cohérence du bâtiment sans que l'intensité émanant de l'extérieur ne perturbe les espaces d'exposition.
Gottfried Honegger et Sybil Albers ont voulu que l'Espace de l'Art Concret soit un lieu qui invite à la découverte et stimule le désir de mieux connaître l'art d'aujourd'hui. Annette Gigon et Mike Guyer ont avant tout répondu à cette intention en concevant un lieu accueillant et se conformant à ses exigences pédagogiques et fonctionnelles. Mais grâce à leur architecture, poussant plus loin l'ambition première du lieu, ils nous invitent à une expérience où le regard, une fois porté au sommet de son acuité, nous ouvre l'accès au monde des signes de la création artistique, que nous pouvons dès lors mieux déchiffrer parce qu'engagés dans une relation vivante avec lui.
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