Éric Babin et Jean-François Renaud : architectes en ville

Rédigé par Valéry DIDELON
Publié le 27/05/2011

Éric Babin et Jean-François Renaud

Article paru dans d'A n°201

Le rejet de toute forme d'idéologie et l'apologie du pragmatisme servent aujourd'hui de boussole à nombre d'architectes, jeunes et moins jeunes. Projeter est pour eux l'art de réagir au réel et de s'adapter aux contingences : site, programme, budget, réglementation… Formellement, cela nous a menés à l'inévitable éclectisme qui sévit en France comme ailleurs. Inséparables depuis vingt ans, Éric Babin et Jean-François Renaud font valoir une autre manière de faire de l'architecture. À travers chacun de leurs projets, ils se laissent guider par une doctrine forgée pendant leurs années d'études et à laquelle, au gré de l'accès à la commande, ils n'ont jamais dérogé.


Cette doctrine est centrée sur la problématique du logement en ville. Les deux architectes se méfient d'abord du fonctionnalisme ; ils ne croient pas que la forme d'un espace puisse être déduite de la fonction qu'on lui affecte, et que celle-ci puisse en retour être exprimée architecturalement. Ils ne se font guère d'illusion non plus sur l'aptitude des architectes à déterminer les modes de vie contemporains et préfèrent proposer des espaces capables d'accueillir des usages changeants. Ils ne sont pourtant pas des adeptes de la neutralité, mais fondent leur travail sur l'étude des types architecturaux et s'attachent au lien entre form éternelle et design circonstanciel tel que l'entendait Louis Kahn. Pour Éric Babin et Jean-François Renaud, l'enjeu de la conception est de trouver la position juste que doit occuper un édifice dans la ville existante. Ils accordent pour cela beaucoup d'importance à ce qu'ils appellent son « orientation symbolique », aux rapports tissés avec les espaces publics et collectifs.

Concrètement, à la manière d'un Roger Diener par exemple, ils travaillent beaucoup en plan, y compris les façades qui n'apparaissent qu'en fin de projet. Ils sont en effet convaincus que c'est l'agencement des espaces intérieurs, la disposition des pièces dans un logement qui déterminent la bonne ou la mauvaise façon pour un bâtiment de se tenir dans la ville. En 1994, dans leur mémoire de diplôme, ils affichaient un credo qui n'a pas varié : « Il n'est jamais innocent d'afficher, le long d'une rue, ses coursives et autres fenêtres calibrées différemment pour la cuisine, la chambre ou le séjour. Si l'architecture doit exprimer sa capacité d'accueil, communiquer sa générosité à l'espace urbain, c'est dans son essence même, dans sa form d'habiter, pas dans l'expression indécente de la structure fonctionnelle de ses cellules figées outrageusement dans la façade et momifiées dans une trame porteuse indestructible. Â» Ainsi, en allant du dedans vers le dehors, ils entendent Å“uvrer à la permanence de leur architecture dans la ville.

Leur engagement singulier, Éric Babin et Jean-François Renaud le doivent en grande partie à la formation qu'ils ont reçue à l'École de Paris-Belleville, notamment auprès d'Édith Girard. Aujourd'hui, ils se consacrent eux-mêmes beaucoup à l'enseignement, qu'ils considèrent l'un et l'autre comme un formidable champ d'expérimentation. Avec leur agence, ils multiplient les réalisations, non plus seulement de logements sociaux, mais aussi d'équipements publics et d'immeubles de bureaux. À l'avenir, ils comptent s'impliquer davantage dans l'aménagement des espaces urbains, qui doivent selon eux engager une véritable dialectique avec les édifices construits. On le voit, Éric Babin et Jean-François Renaud ne se contentent pas de faire de l'architecture, ils la pensent.


Crèche municipale Stinville-Montgallet, Paris XIIe

Sur une parcelle tortueuse et exiguë, soumise à de nombreux vis-à-vis et bordée de hauts bâtiments d'habitation, Éric Babin et Jean-François Renaud parviennent à donner de l'importance à cet édifice de moins de 500 mètres carrés. Par-delà la satisfaction de répondre au fonctionnement exigeant d'une crèche, les plans des deux niveaux résolvent les délicats problèmes urbains posés côté rue comme côté cour. La précision de l'écriture architecturale et le soin apporté aux aménagements intérieurs achèvent de conférer à ce petit bâtiment en métal le caractère public qui lui sied.

[ Maître d'ouvrage : Semidep et Ville de Paris – Programme : crèche de 33 berceaux – Surface : 466 m2 Shon – Coût : 1,29 million d'euros – Mission de base + EXE – Livraison : 2007 ]


Institut supérieur de mécanique de Paris, Saint-Ouen

Située sur une vaste parcelle qui participe à la restructuration du quartier, l'extension de l'Institut supérieur de mécanique de Paris se présente comme un bâtiment autonome, une boîte finement ouvragée, apparemment sans rapport avec son environnement un peu fruste. Pourtant, le dimensionnement des trois volumes agglomérés, la composition précise des deux principales élévations et le dessin des détails constructifs procèdent là aussi d'une analyse pointilleuse du contexte urbain. Le langage architectural possède sa propre logique ; pour autant, il engage un dialogue fructueux avec l'espace public et collectif. Par son fonctionnement comme par son organisation structurelle, l'édifice est par ailleurs d'une grande rationalité : au plan libre du rez-de-chaussée correspond une disposition flexible des salles de cours dans les étages. Résolument moderne, le bâtiment renvoie métaphoriquement à la science mécanique que l'on enseigne entre ses murs.

[ Maître d'ouvrage : Ismep et DDE93 – Programme : amphithéâtre et locaux d'enseignement – Surface : 1 495 m2 de Shon – Coût : 2,4 millions d'euros – Mission de base + signalétique + 1 % artistique – Livraison : 2008 ]


Logements sociaux, Ivry-sur-Seine

Ce projet incarne parfaitement la doctrine qui guide Éric Babin et Jean-François Renaud en matière de logements en ville. Les séjours des appartements s'ouvrent au sud-est vers l'espace public, tandis que les espaces plus privatifs jouissent du calme de la cour plantée. La distribution centrale par coursives invite aux appropriations et aux échanges entre voisins. Deux corps de bâtiments se distinguent : une barre de trois niveaux surmontée de maisonnettes d'un côté, et une petite tour de cinq étages de l'autre. Chacun des volumes est taillé pour s'adapter au contexte : ici un retrait, là une avancée. La composition des façades est rigoureuse, rythmée par les étroites baies verticales. Béton clair et bois sombre alternent dans cet ensemble qui rend justice à la complexité de son environnement.

[ Maître d'ouvrage : OPHLM d'Ivry-sur-Seine – Programme : 27 logements sociaux et une salle de quartier – Surface : 2 375 m2 – Coût : 2,6 millions d'euros – Mission de base + OPC – Livraison : 2008 ]


Complexe socio-sportif, Calais

Actuellement en chantier, ce bâtiment imposera avec une certaine monumentalité son statut d'équipement public dans un quartier en pleine recomposition. Sous une vaste toiture habitée par un théâtre de plein air, une série de volumes librement agencés accueillera au niveau de la rue les différents éléments du programme. À l'intérieur comme dans le jardin, la succession des « pleins Â» et des « vides Â» assurera la continuité et la fluidité de l'espace. La réalisation de ce complexe socio-sportif, conçu comme une petite ville, est pour Éric Babin et Jean-François Renaud l'occasion de mettre leur stratégie de projet à l'épreuve d'un nouveau genre de programme.

[ Maître d'ouvrage : Ville de Calais – Programme : salles et terrains de sport, salles d'activité, etc. – Surface : 2 880 m2 de Shon – Coût : 3,62 millions d'euros – Mission de base – En chantier ]


Centre culturel des Jacobins, Le Mans

En contrebas de la cathédrale Saint-Julien, et en remplacement de l'ancien théâtre municipal, Éric Babin et Jean-François Renaud, associés à l'architecte espagnol Carlos Ferrater, réalisent aujourd'hui un projet de grande ampleur. De part et d'autre d'une large galerie reliant deux places majeures de la ville, un volume amplement vitré abrite un nouveau théâtre et un volume plus opaque, recouvert de pierre, accueille un multiplexe de cinémas. Un vaste toit chapeaute l'ensemble de ce qui doit devenir le cœur de la vie culturelle du Mans. À cette partie émergée de l'iceberg, correspond un complexe souterrain dans lequel s'agglomèrent des salles de projection, une cage de scène, des salles de réunions, des locaux divers, etc. Dans un contexte patrimonial exigeant, les architectes se sont efforcés de contrebalancer la monumentalité nécessaire de l'équipement public par une écriture architecturale aussi précise que raffinée. Le bâtiment est actuellement en chantier.

[ Maître d'ouvrage : Ville du Mans – Programme : théâtre de 840 places et multiplexe de 11 salles – Surface : 15 565 m2 de Shon et 28 198 m2 de Shob parking – Coût prévisionnel : 70 millions d'euros – Mission de base + EXE partielle + OPC + mobilier – Calendrier : concours remporté en 2003 ; livraison, 2013 ]


Biographies :

> 1965, 1967 : naissances d'Éric Babin et de Jean-François Renaud.

> 1994 : diplômés de l'école d'architecture de Paris-Belleville.

> 1994 : lauréats du concours Europan 3.

> 1995 : les deux associés commencent à enseigner à Lille.

> 2000 : livraison de 107 logements à Reims (projet Europan).

> 2003 : lauréats du concours pour le centre culturel des Jacobins au Mans.

> 2011 : déménagement de l'agence dans de nouveaux locaux à Paris.


Soumis à la question


> Quel est votre premier souvenir d'architecture ?

EB : Le Parthénon.

JFR : Une chambre.

> Que sont devenus vos rêves d'étudiant ?

EB + JFR : Une réalité.

> À quoi sert l'architecture ?

EB + JFR : À émouvoir, protéger, ordonner.

> Quelle est la qualité essentielle pour un architecte ?

EB + JFR : L'esprit de synthèse.

> Quel est le pire défaut chez un architecte ?

EB + JFR : L'inconstance.

> Quel est le vôtre ?

EB : La gourmandise.

JFR : La susceptibilité.

> Quel est le pire cauchemar pour un architecte ?

EB + JFR : Le désaveu à l'épreuve de la réalité.

> Quelle est la commande à laquelle vous rêvez le plus ?

EB + JFR : Une maison.

> Quels architectes admirez-vous le plus ?

EB +JFR : Imhotep.

> Quelle est l'œuvre construite que vous préférez ?

EB : Saqqarah.

JFR : Angkor Vat.

> Citez un ou plusieurs architectes que vous trouvez surfaits.

EB + JFR : On les a déjà oubliés…

> Une Å“uvre artistique a-t-elle plus particulièrement influencé votre travail ?

EB + JFR : Non.

> Quel est le dernier livre qui vous a marqué ?

EB : Le Guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa.

JFR : Une musique en train de se faire, de Pascal Dusapin.

> Qu'emmèneriez-vous sur une île déserte ?

EB : Un manguier.

JFR : Un cadeau pour Vendredi.

> Votre ville préférée ?

EB : Le Caire.

JFR : Luang Prabang [au Laos].

> Le métier d'architecte est-il enviable en 2011 ?

EB+JFR : Si les architectes inspiraient confiance, il le serait.

> Si vous n'étiez pas architecte, qu'auriez-vous aimé faire ?

EB : Cuisinier.

JFR : Écrire.

> Que défendez-vous ?

EB + JFR : La résistance.

> Quelle question auriez-vous aimé que l'on vous pose ?

EB + JFR : Quel est votre animal préféré ?

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