Japon
À celui dont l’esprit n’est pas formé par notre culture, on prête facilement une exubérante imagination. Celle du Sauvage est forcément débordante, celle de l’Asiatique est pleine de mystères et d’étrangeté quand la nôtre est immanquablement cartésienne. Ironie, c’est justement cet effet d’optique, simple produit de notre ethnocentrisme, qui trahit les excès de notre propre imagination. Toujours prompte à déformer ce qu’elle ne comprend pas, elle nous masque ce que la diversité du monde pourrait nous apprendre. Ainsi en va-t-il souvent de notre enthousiasme pour l’architecture japonaise. Nous restons émerveillés par l’esprit ludique et l’inventivité des projets de maisons qui nous proviennent du Japon. Les architectes nippons nous semblent plus créatifs et libres qu’en Europe, mais ne serait-ce pas leur différence qui nous les fait voir comme tels ?
Pour répondre à cette interrogation, il faut démystifier autant que possible l’image fantasmée que nous nous faisons habituellement de l’habitat japonais. Chercher par exemple en quoi les conditions de la commande, les contraintes foncières, techniques et culturelles, très différentes des nôtres, déterminent plus prosaïquement ce type de projet. Submergés par le flux permanent d’informations, nous avons souvent l’illusion que la culture globalisée, vers laquelle nous plongeons inexorablement, a déjà accompli son grand nivellement. Mais les signes – et les images qui les portent – s’exportant et se multipliant à l’infini sont loin d’emporter avec eux la réalité qui les fonde. Il faut alors tenter d’en retrouver une part de l’essence plutôt que de la singer ou d’en reproduire servilement les signes visibles. Pour échapper à ce leurre et aux pièges vers lesquels nous portent nos désirs d’exotisme, il faudrait pouvoir s’extraire de soi-même. Parvenir ainsi à une conscience du divers nous aidant à mieux appréhender cette réalité autre qui se dérobe à nous autant qu’elle nous attire.
Emmanuel Caille