Architecte : Baukunst Rédigé par Phineas HARPER Publié le 13/12/2015 |
À Spa, Baukunst prend le contrepied des instructions de base pour réorganiser l’ensemble du site sportif La Fraineuse : aux pavillons dispersés sur le site, l’agence préfère réorganiser les flux, mettre en valeur l’existant et concentrer l’intervention architecturale en un seul nouveau bâtiment créant un dialogue esthétique simultané avec les grands maîtres modernes et le Versailles du XVIIIe siècle.
Les
poumons vous brûlent… Les perles de sueur de votre front et de votre cou
se vaporisent au contact de la fraîcheur de la forêt. Physiquement
éprouvé par l’effort, vous vous tournez vers cette demeure grandiose et
son double invisible pour connaître votre temps auprès du juge officiant
dans son bureau cylindrique. C’est le projet de l’agence Baukunst de Bruxelles
: un carré surbaissé, adossé à un plan incliné et relié par le sous-sol Ã
un manoir rénové – en fait, un pastiche du XXe siècle du Petit
Trianon d’Ange-Jacques Gabriel à Versailles. Énigmatique, ce duo abrite les
infrastructures destinées à l’administration et aux visiteurs de la
Fraineuse, un centre de sports d’élite niché au coeur de la forêt spadoise
de la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’architecte Adrien Verschuere et son
équipe ont décroché ce projet à la suite d’un concours lancé en 2008
et, bien qu’ils aient d’autres réalisations à leur actif depuis lors, il
s’agit en fait de leur premier véritable édifice. Baukunst a oeuvré sur
tout le site : à la fois à l’aménagement paysager, au flux de circulation,
aux démolitions et aux restaurations, et leur nouveau centre d’accueil, qui
constitue le noyau central qui orchestre tous les éléments. Les
allusions à Mies van der Rohe sont si explicites qu’il n’est même pas
nécessaire de les souligner. C’est comme si les architectes avaient
dérobé une partie du toit de la Neue Nationalgalerie et l’avaient
transposée de Berlin à Spa. Cependant, s’il est vrai que ce centre
s’inspire de Mies et de son espace universel, en lieu et place de volumes
adaptables mécaniquement, il n’en reste pas moins que ses salles sont
très spécifiques, créées à partir de murs en béton isolant spé- cialement
conçu et coulé sur site, d’une épaisseur de 60 centimètres. Ce projet
ne doit pas être considéré comme un autre exemple de cette démarche si
souvent adoptée par les architectes occidentaux contemporains en
présence d’un bâtiment plus ancien, à savoir la simple juxtaposition du
résolument moderne à du résolument non-moderne, utilisant paresseusement
le contraste architectural pour remplacer tout dialogue constructif.
Ce projet nourrit des ambitions d’une tout autre dimension.
JUMEAU
Auparavant,
cette maison était isolée dans une mer d’asphalte, parking oblige. Cette disposition
conférait un air de grandeur faussement classique à la piste d’athlétisme qui
lui fait face, mais ne brisait en rien son isolement. Le projet de
Baukunst définit clairement un espace autour de cette demeure, avec
un socle de gravier sur lequel repose le faux château. Le centre d’accueil
voisin inverse cette tendance, le solide se muant en vide et
inversement. Le nouveau toit surplombe un espace d’une grandeur similaire au
socle de gravier alors qu’au centre de cet espace, au lieu de trouver un
bâtiment qui se dresse fièrement, une ouverture plonge vers une cour
en contrebas. Et la figure devient fond, un peu comme si les architectes avaient
construit un jumeau du château en antimatière, dont la présence peut être
ressentie par son absence. Tout design grandiose rend les décisions obscures
évidentes. Sur plan, la stratégie de Baukunst est si limpide qu’elle en
devient inévitable. Toutefois, elle est bien loin des intentions de
base du client. Au lieu de répondre au cahier des charges qui mentionnait un
ensemble de pavillons dispersés sur le site, Baukunst a présenté le schéma d’un
bâtiment unique et multifonctionnel. C’était la bonne démarche, puisque,
au fil du temps, un enchevêtrement de bâtiments indépendants avait pris racine
sur le site du centre sportif, alors qu’aujourd’hui ce campus bat d’un seul coeur.
Et en offrant de multiples espaces de circulation, les architectes
apportent une couche subversive de porosité à ce projet. Le centre
d’accueil ne possède d’ailleurs ni façade avant ni façade arrière –
avec des ouvertures de chaque côté, c’est plus une voûte qu’un édifice,
créant ainsi des connexions visuelles et mobiles. Les gens du cru
aiment à flâner dans la forêt avoisinante. La direction du centre se
sentait partagée sur la présence constante de visiteurs occasionnels
et a rapidement suggéré que ce projet soit utilisé pour décourager les
promeneurs éventuels d’entrer sur le terrain. Baukunst a exactement pris
le contrepied de cette approche : une stratégie d’ouverture pour
encourager les mouvements organiques sur l’ensemble du site. Cette
réinterprétation des instructions de base est, en partie, typiquement
belge. Les architectes sont encouragés à , voire censés, repenser les
hypothèses qui sous-tendent le cahier des charges et proposer leurs
propres solutions. Par rapport à la rigueur des cahiers des charges
britanniques pour des logements, il est rafraîchissant de voir un
jeune bureau réécrire les règles de cette façon afin d’oeuvrer dans
une visée plus sociale.
SCHIZOPHRÉNIE
Pour
Verschuere, cette politique avec un P minuscule est au coeur de la praxis
de Baukunst. « Je ne crois pas en l’architecture pour le bien de
l’architecture », insiste-til, rejetant les créateurs qui aspirent
uniquement à produire des bâtiments « superficiels ». «
L’architecture doit servir d’autres desseins. Notre travail consiste Ã
tisser de nouvelles relations entre les personnes, les choses et la
façon dont elles existent. » Tout ceci semble relever de la schizophrénie. Le
centre d’accueil est extrêmement raffiné, élégamment proportionné et
intelligemment détaillé (les architectes se sont passés des colonnes
grâce à des subtilités du design), proposant un dialogue esthétique simultané
avec les grands maîtres modernes et le Versailles du XVIIIe siècle. En
revanche, cette structure rejette toute frivolité cosmétique en
faveur d’un pur pragmatisme : une réaction logique dans ce cadre, qui
altère un cahier des charges limité afin de fournir le squelette d’un
programme plus soucieux du bien public. Verschuere embrasse les
contradictions, il choisit résolument de prendre ses distances par
rapport aux identités belges et architecturales traditionnelles.
Bruxellois de naissance, il a pratiqué son art exclusivement à l’étranger
avant de créer Baukunst. Il participe exclusivement à des concours belges,
mais emploie uniquement un personnel non belge. Il enseigne dans une
école d’architecture à Tournai, en Wallonie, en se détachant ainsi de
la scène architecturale de la capitale. Ces séparations professionnelle et
sociale lui permettent de ne pas se voir affubler d’une étiquette de
Wallon ou de Flamand, mais lui confèrent aussi la saine naïveté de
l’observateur extérieur. « Je suis comme un étranger dans mon propre
pays. » Tant dans le sport que dans l’architecture, nous braquons
souvent les projecteurs sur l’athlète star en oubliant toute l’équipe – entraîneurs,
managers et physiothérapeutes – en coulisse. Fidèle à son approche
subversive, Baukunst entend changer la donne. Ils espèrent que les
publications consacrées au projet reprendront une liste de tous ceux
qui l’ont influencé, des avocats aux hommes politiques en passant par les
soustraitants. « Il suffit d’une personne pour détruire un projet,
constate Verschuere. Nous devons respecter la contribution de chaque
acteur. »
MAÎTRE D’OUVRAGE : FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES
MAÎTRE D’OEUVRE : BAUKUNST
PROGRAMME : INFRASTRUCTURE POLYVALENTE (CLASSES, ADMINISTRATION, RÉFECTOIRE, VESTIAIRES…)
PAYSAGISTE : BUREAU BAS SMETS
ÉTUDES DE STABILITÉ : GREISCH
SURFACE : 1850 M2
COÛT : 3,8 MILLIONS D’EUROS
LIVRAISON : 2015
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