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Quinze ans déjà que l’agence Encore Heureux existe et dix que Julien Choppin et Nicola Delon ont obtenu les AJAP. Pour eux, 2016 marque un tournant : des projets d’envergure voient le jour et Sébastien Eymard, ancien associé de l’agence Construire (Patrick Bouchain), s’associe au duo. Dans la foulée, ils quittent leurs locaux de la rue Taylor pour s’installer au 104, rue d’Aubervilliers… Plusieurs raisons de réaliser un parcours sur ces enthousiastes de l’avenir. |
D’une pièce de mobilier à un aménagement de plusieurs milliers de mètres carrés : Encore Heureux n’a pas froid aux yeux et embrasse toutes les échelles de projets. Ces « généreux généralistes », comme ils se revendiquent, refusent les étiquettes – d’ailleurs, à l’origine, ils ne se voyaient pas « bâtisseurs ». À la fois architectes, scénographes, commissaires d’exposition, designers, cinéastes, ils ne connaissent pas de limites à leurs pratiques, et c’est sans doute cette posture transversale qui les autorise à faire bouger les lignes. Et cette diversification, ils y tiennent coûte que coûte. Dans ce « collectif », l’idée du travail ensemble est une philosophie commune, « non comme une agglomération de compétences, mais comme une équipe où chacun est un peu généraliste avec des compétences croisées, sans restriction de programme ou de temporalité de projet (esquisse, chantier, etc.) ». Fraîchement arrivé de l’agence Construire, Sébastien Eymard consolide en s’associant avec eux cette approche à la fois généraliste et spécifique, en apportant une compétence plus « constructeur » acquise auprès de Patrick Bouchain & Loïc Julienne, une filiation partagée avec Julien et Nicola. Son arrivée tombe à point nommé pour étoffer l’équipe en vue de projets plus conséquents, dont le siège social de Michelin à Clermont-Ferrand ou Réinventer Paris sur le site de Morland.
Défenseurs du réemploi
Le parcours de l’agence Encore Heureux est parsemé de projets balises. De leur diplôme avec le projet « Wagon-Scènes » à la barge du Petit Bain, un lieu de spectacle flottant sur la Seine, chacun projet marque une étape. Parmi les derniers : le Pavillon circulaire. Contrairement à ce que son nom indique, il s’agit d’un parallélépipède rectangulaire dont sol et murs sont faits de panneaux d’exposition récupérés. Ses façades constituées de 180 portes en chêne provenant d’une opération de réhabilitation de HBM du 19e arrondissement recouvrent de la laine de roche récupérée d’un toit de supermarché rénové ; une terrasse est réalisée en caillebotis récupérés à Paris-Plage. Même la structure en bois est composée de restes du chantier d’une maison de retraite… Jusqu’à 80 % des matériaux sont issus du réemploi, d’où ce terme « circulaire », lié à l’esprit du processus de conception-fabrication plus qu’à la forme. « Il s’agit d’une approche qui demande plus de matière grise et plus de travail, puisqu’elle ne permet pas de prédéfinir un projet : celui-ci dépendra des gisements matériels disponibles. »
Installé sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris où il a été occupé par plusieurs associations militantes du réemploi, ce pavillon témoin va déménager porte d’Orléans pour – joli coup ! – servir à un club de boulistes.
Cela fait longtemps qu’Encore Heureux réfléchit et s’investit dans cette démarche attentive à l’environnement. Un peu Don Quichotte à leurs débuts, ils s’inscrivent finalement dans une dynamique qui prend (bonne) tournure. L’exposition didactique « Matière grise » qu’ils ont pilotée pour le Pavillon de l’Arsenal pose la question de cette seconde vie des matériaux dans l’architecture. Aidés par la pugnacité d’Alexandre Labasse, son directeur, les commissaires d’exposition proposent 75 projets et contributions qui ont su démontrer l’intérêt de ce dispositif – de Rural Studio à Superuse Studios, en passant par Rotor ou Bellastock. « D’une intuition qu’on avait, par ce collectage de projets, nous avons pu démontrer la nécessité de cette démarche et envisager les actions possibles. » Sans pour autant ériger cette méthode en religion, ils envisagent la crise environnementale non comme une souffrance mais comme une chance de créer, de questionner les modes de conception, « et ainsi de sortir de ce spectre de l’écologie politique qui décline les labels et autres HQE, en replaçant l’homme dans la chaîne de production et en mettant en valeur ses savoirs et surtout ses savoir-faire ».
Effet papillon
« Des chevaux de bataille, il en existe plein, mais nous ne pouvons tous les aborder. Quand on pense que l’eau des toilettes est potable, par exemple… » Coulant de source, les projets s’enchaînent : sans l’exposition « Matière grise », le Pavillon circulaire comme le Salon Chéret n’auraient pas vu le jour. Pas un sou pour transformer ce salon historique de l’Hôtel de Ville et des délais très courts pour exaucer le vœu du maire d’en faire un espace de coworking.
Puisant dans les ressources tant matérielles qu’humaines, Encore Heureux récolte dans les déchetteries parisiennes des fragments de meubles qui sont ensuite réparés et assemblés dans les ateliers techniques en sous-sol de l’Hôtel de Ville. Entre le plafond doré à caissons et le parquet à chevrons, réagissant aux vitraux de Jules Chéret (XIXe siècle), la teinte grise unifie les formes et les styles éclectiques qui résultent de ces assemblages à la Frankenstein. Donner une seconde vie à des déchets, même sous les ors de la République, est donc possible. Alternative au modèle de consommation dominant, cette approche fournit une nouvelle voie en accord avec les nouveaux paradigmes de la société.
Le sommet de cette démarche aurait dû se concrétiser par la salle plénière de la COP21, dont ils gagnent le concours, associés à Construire, Elioth et Quattrolibri. Visiblement peu inspirée par l’esprit COP21, l’administration porteuse du projet a préféré confier la réalisation à un constructeur, lequel a, in fine, suivi le cahier des charges d’Encore Heureux : plan d’implantation, proportions, silhouettes ont bien été appliqués, mais pas les matériaux ! Le ministère des Affaires étrangères est passé ainsi à côté de l’opportunité de réaliser une construction témoignant par sa résolution spatiale et matérielle de la dynamique portée par la France. Amère, l’équipe d’Encore heureux argumente : « Trop souvent les architectes sont écartés car considérés soit comme incompétents soit comme trop exigeants (et trop coûteux), et pouvant bloquer le projet pour des considérations qui divergent avec les objectifs du client. Les commanditaires estiment désormais qu’ils n’ont pas besoin d’intermédiaire avec les entreprises. De grands travaux comme la Philharmonie de Paris témoignent de cette dérive (…). L’architecte n’est plus considéré que comme un donneur d’idées au service de la communication du maître d’ouvrage. » Un point de vue critique pour des architectes qui, ironie du sort, ont fait leurs gammes en réalisant des perspectives vendeuses pour des architectes…
Ils pourront cependant bientôt faire à nouveau leurs preuves, puisqu’ils ont été retenus pour l’appel à projets vitrine Réinventer Paris sur le site administratif Morland (40 000 m2) avec l’architecte star britannique David Chipperfield : « Ce sera un premier test du réemploi dans une opération de restructuration d’envergure, ce qui va nous permettre de mesurer le potentiel comme les limites de ce système », reconnaissent-ils ensemble. Un autre site, Ourcq, a été remporté par ces architectes, suivant cette même dynamique, mais à une échelle moindre.
Design total
« Nous portons une exigence équivalente dans chacun de nos projets. » Pour Saint-Gobain, Encore Heureux a participé au fond comme à la forme pour réaliser le Domolab. De manière ludique, les savoir-faire très diversifiés de la firme sont mis en valeur dans une « soluthèque », avec des cabinets de curiosités d’échantillons dans un hangar qu’ils réaménagent et rendent « énergie respectueux ».
Tout juste livrés, les locaux de la firme Hutchinson accueillent des gradins traversés par un toboggan qui dévale les 6 mètres de haut de la nef principale de cette ancienne fabrique de papier, dont la charpente a été dessinée et réalisée par Eiffel. Si les murs sont laissés dans l’état brut où ils l’ont trouvé, tout y est cependant dessiné, de l’aménagement d’ensemble à la poignée de porte : « C’est du design total. »
Ils appliqueront la même méthode pour le réaménagement du siège de Michelin, place des Carmes à Clermont-Ferrand. « Nous n’avons pas d’idées a priori des matériaux dans nos projets ni de schémas préétablis, les projets peuvent bouger, évoluer dans le temps du chantier, comme le sixième fronton du cinéma d’art et d’essai Ciné 32, à Auch, qui a été supprimé afin d’atteindre une plus grande justesse. »
Dernièrement, Paris-Habitat les a contactés pour une opération de logements, un type de programme qu’ils n’ont jamais traité jusqu’à présent. Ce qui va les obliger à « repartir de zéro » et à revêtir le costume d’architecte. « Nous ne réalisons pas n’importe quoi pour n’importe qui. Il nous arrive de refuser des propositions, car inadéquates avec nos perspectives, ou par défaut de budget ou de délais. Mais tous les projets n’existent que parce qu’on les mène du début à la fin. On essaie même d’agir de plus en plus en amont, comme en aval, en anticipant les usages comme en réalisant un suivi après livraison. »
Trublions de la scène architecturale française, ils tentent de se conformer à une éthique de la pratique qu’ils se forgent depuis leurs débuts. Dans le documentaire intitulé PPP1 et réalisé par Nicola Delon, ils dénoncent les dérives contemporaines d’opérations immobilières dans lesquelles des clients se retrouvent pieds et poings liés dans des affaires apparemment rentables. Au printemps 2017, ils seront directeurs artistiques de l’exposition « Vie d’ordures » au MUCEM, où ils pourront illustrer un de leurs ouvrages de chevet : La Poubelle et l’Architecte de Jean-Marc Huygen2. Multipliant les formes d’engagement, ils se battent pour que le métier d’architecte ne soit plus sacrifié à l’autel de l’économie actuelle, en proposant des alternatives qui valorisent l’homme et son environnement, qu’il soit social ou culturel.
1. http://encoreheureux.org/2013/07/ppp.
2. Jean-Marc Huygen, La Poubelle et l’Architecte, coll. L’impensé, éditions Actes Sud Beaux Arts, 2008.
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N° 244 - Mai 2016
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