Portrait |
Une réalisation remarquée livrée en 2003 et nombre de projets en cours… Beaucoup de patience aura été nécessaire avant qu'Emmanuel Combarel et Dominique Marrec puissent mettre en acte leurs convictions. La difficulté d'accès des jeunes à la commande participe pour eux du manque de renouvellement de la scène architecturale française. |
Emmanuel Combarel et Dominique Marrec quittent en 1993 leurs responsabilités de chefs de projet – lui, sept années chez Nouvel, pour elle, quatre chez Vasconi – avec en poche la carte de visite des Albums de la jeune architecture. Mais, tout Albums qu'ils soient, les temps sont durs et, ils devront attendre encore longtemps avant d'être retenus à concourir. Emmanuel patiente avec la villa Médicis hors les murs qui le mène à Hanoi, Hô Chi Minh Ville, et à Beyrouth encore, pour étudier aux lendemains des traumatismes de la guerre, les phénomènes d'urbanisme et d'architecture spontanés. En 1998, premier succès : la réalisation de 164 logements d'étudiants à Argenteuil. Ici, comme dans leurs autres projets, l'accent est mis sur la différence pour que s'installe un processus d'identification dans les intérieurs : « Un bon logement est celui dans lequel peut s'instaurer une relation affective. Il y a une espèce d'usure du logement normalisé. Nous sommes plus à la recherche de particularités que de grandes idées généralisées à un ensemble. »
Le terme de connivence revient souvent dans leurs propos. Qu'est-ce qu'être architecte, sinon entrer en connivence avec le destinataire du projet ? Ils défendent d'abord une prise de position sociale plutôt qu'une posture formelle : « On travaille pour des gens. Notre réflexe de départ est d'interroger le programme, d'en faire une lecture critique, et ensuite, si besoin est, de le faire évoluer. » Ce qui les conduit, par exemple, à travailler trois mois avec les futurs utilisateurs d'un centre de bus pour définir avec eux le meilleur schéma organisationnel, enquête qui aboutit à concevoir un nouveau plan très compact.
Cette attention ne bride pas leur écriture. Combarel et Marrec n'ont pas froid aux yeux, comme l'expriment les images très séduisantes réalisées dans leur agence. Ils aiment la couleur, la brillance, l'esprit pop. À l'encontre des canons du Mouvement moderne, ils vont vers les textures gaies, décalées, hors normes. Ils dénoncent le cadre de vie aseptisé, qui transforme la ville en parc d'attractions, la crispation de la société où l'autre est vécu comme une nuisance et où le logement devient une bulle pour s'isoler. On demande beaucoup trop à l'architecture, disent-ils, pour résoudre des problèmes qui ne peuvent être seulement de son ressort. La vraie innovation est d'abord sociale avant d'être architecturale. Une posture politique, en somme.
Les 164 logements étudiants, à Argenteuil
Trouver une urbanité dans un paysage de bric et de broc à côté de logements style Île-de-France, et d'un transformateur EDF habillé d'un fronton antique… La façade sur rue gomme le système constructif, tous refends et planchers disparaissent pour atteindre à l'abstraction, la répétitivité du programme est convoquée comme valeur esthétique : soit 50 % plein, 50 % vide, angle sur angle, en damier. Le panneau préfabriqué, «texturé» genre Petit Lu, est recouvert de doré. C'est moins une teinte qu'une matière qui apporte une sensualité. Le doré, c'est pop, clinquant, nouveau riche, cela capte la lumière. C'est une des rares parures où il y a encore un territoire à investir quand le chrome et l'inox appartiennent à une culture industrielle banalisée. Le volet coulissant intérieur, imprimé du motif pixellisé repris des panneaux de façade, brouille la perception du carroyage depuis la rue et sert dans les logements de tableaux de travail aux résidents. Au sud, la façade grise, tramée, neutre, fractionnée par des séparatifs colorés, est ouverte sur de grands balcons. Dans le hall, le secteur des boîtes aux lettres devient un dédale coloré, prolongé plus loin par un bar sur un jardin. La buanderie est une pièce à vivre, traitée comme un lieu de discussion, de drague et de rencontre…
Les questions de formes, de matériaux ne sont pas primordiales. Il faut définir des stratégies en fonction du terrain, être mobile. On ne peut pas construire la même chose à Marseille et à Paris. Une des qualités d'un bon logement est d'être spécifique. Il faut pouvoir s'identifier à son habitation, différente de celle de son voisin. Elle doit bénéficier aussi autant que possible de prolongements vers l'extérieur, de grands séjours, d'espaces communs largement dimensionnés. Il faut plus de souplesse et moins de normes. Cette opération reprend avec précision l'épannelage des héberges, avec deux bâtiments bas parallèles reliés par deux petites barres transversales cadrant une cour carrée autour de laquelle sont positionnés les grands logements. Cette organisation permet d'offrir le maximum de lumière et d'ensoleillement aux logements. 60% des logements ont des balcons de 8 m2 et 40% sont traversants. L'isolation est réalisée par l'extérieur pour bénéficier d'un meilleur confort thermique. La peau joue de toutes les qualités du verre : transparent, translucide, opalescent, teinté, émaillé…
Maîtrise d'ouvrage : OPAC ; Maîtrise d'œuvre : ECDM avec Louis-Antoine Grego, Aliette Chauchat, Benoît Cherblanc, Thomas Raynaud, Cyrille Thomas ; Surface H.O.N. : 5050 m2 ; Estimation H.T. : 7,2 M e ; Livraison prévue : 2007.
Le centre de bus, Ã Thiais
Dans un environnement assez neutre, c'est le quartier général de 700 conducteurs de bus, qui viennent prendre ici leurs feuilles de route, régler leurs problèmes sociaux. Le plan est très compact sur un carré de 30 sur 30. Les dispositions des espaces autour de deux circulations ont été mises au point avec les futurs utilisateurs. L'ensemble se drape d'une peau de Ductal qui prolonge la texture du sol, traitée de façon unifiée de trottoir à trottoir. La déformation de la dalle, qui vient capoter le bâtiment, s'effectue de manière très fluide. La lumière pénètre par des évidements incrustés de verres colorés traités avec une pixellisation réfléchissante. Pour faire accepter l'image déconcertante de ce quadrilatère nappé dans un matériau unique au ton sourd rappelant le bitume, un film d'animation a été réalisé par l'agence sur la base d'un scénario où un conducteur arrive au petit matin sur le parking pour prendre son service, entre dans le bâtiment pour boire un café, régler des questions administratives… Une mise en scène de la vie dans le bâtiment plus efficace que la maquette pour désamorcer la perplexité des utilisateurs devant cet OVNI surgi des profondeurs de la terre.
Maîtrise d'ouvrage : RATP-SEDP. ; Maîtrise d'œuvre : ECDM avec Aliette Chauchat, Dario Oeschli, Louis-Antoine Grégo, Thomas Raynaud, Cyrille Thomas ; Surface H.O.N. : 2 215 m2 ; Coût estimé H.T. : 3,9 M e ; Livraison prévue : 2006.
Couverture d'un terrain de sport, lycée de la Tourelle, à Sarcelles
Variation monochrome : la teinte dorée de la charpente en bois lamellé collé est reprise en couverture (panneaux de polycarbonate doré), au sol (résine jaune d'or) et par la nature de l'éclairage (au sodium). Aux deux extrémités du tube, une double résille mise en tension dessine des sortes de grandes lunettes. Le graphisme nerveux est inspiré des jeux vidéo japonais.
Maîtrise d'ouvrage : Région Île-de-France ; Maîtrise d'œuvre : ECDM avec Aliette Chauchat, Louis-Antoine Grego, Alexandre Zeiger, Olivier Campanyo ; Surface H.O.N. : 1000 m2 ; Coût des travaux H.T. : 456000 e ; Livraison : juillet 2005.
Le chai de « Château Launay »
Comment métamorphoser l'image de ce « Château » bordelais composé de 3000 m2 de bâtiments agricoles sans cohésion, auxquels il faut adjoindre un chai et des espaces pour les pressoirs ? Les nouvelles surfaces viennent sous une nappe monochrome unificatrice enduite de béton projeté, accompagnant les différents modelés du terrain et créant un lien entre les constructions et les différentes étapes du processus de vinification.
Maîtrise d'ouvrage : Arnaud de Raignac ; Maîtrise d'œuvre : ECDM avec Louis-Antoine Grego et Thomas Raynaud ; Coût prévisionnel H.T. : 600 000 e ; En cours d'étude.
Locaux de services à la Grande mare, à Rouen
Les programmes s'inscrivent sous deux sinusoïdales, en décalage de phase, deux rubans, l'un artificiel en prolongement de l'urbanisme de dalle et l'autre, prolongation du sol naturel qu'il retrouve en perforant la dalle. La dalle, comme la terre, sont traitées comme des tapis habillant le bâti, imbriquant le construit et son support.
Maîtrise d'œuvre : ECDM avec Louis-Antoine Grego, Dario Oechsli, Martin Mercier. Projet sans suite, 2004.
FRAC de Rennes
Superposition de cubes blancs sans distinction d'usage. Ponctuellement, des éléments du programme traversent l'enveloppe. La double peau translucide génère une lumière diffuse sans rayonnement ni ombre.
Maîtrise d'œuvre : ECDM avec Louis-Antoine Grego, Aliette Chauchat, Thomas Raynaud, Cyrille Thomas, Stanislas Cheuvreux ; Concours perdu, 2005.
Biographie
> 1957 : naissance de Dominique Marrec à Draveil
> 1961 : naissance d'Emmanuel Combarel à Paris
> 1982 : Dominique Marrec diplômée de l'École spéciale d'architecture
> 1986 : Emmanuel Combarel diplômé d'UP1 Paris Villemin
> 1993 : Albums de la jeune architecture et création de l'agence
> 1996 : Emmanuel Combarel, lauréat de la villa Médicis hors les murs
> 2003 : première réalisation, des logements d'étudiants d'Argenteuil.
E. Combarel & D. Marrec…
… soumis à la question
1 - Votre premier souvenir d'architecture ?
E.C. : Aillaud, La Grande Borne, visite en famille un dimanche matin.
D.M. : Des châteaux de sable sur les plages de l'Atlantique.
2 - Que sont devenus vos rêves d'étudiant ?
E.C. : Un métier.
D.M. : Concrets.
3 - À quoi sert l'architecture ?
E.C. : À échapper à la gravité.
D.M. : À prendre la gravité avec légèreté.
4 - Quelle est la qualité essentielle pour un architecte ?
E.C. : Le dilettantisme.
D.M. : L'apesanteur.
5 - Quel est le pire défaut chez un architecte ?
E.C. : Le dilettantisme.
D.M. : Ne jamais douter.
6 - Quel est le vôtre ?
E.C. : Le dilettantisme.
D.M. : Douter toujours.
7 - Quel est le pire cauchemar pour un architecte ?
E.C. : Vivre dans de l'architecture.
D.M. : Être soumis… à la question.
8 - Quelle est la commande à laquelle vous rêvez le plus ?
E.C. : La commande éclairée.
D.M. : La commande directe. Plus directement, celle qui croiserait Art et Architecture.
9 - Quel architecte admirez-vous le plus ?
E.C. : Les Pritzker.
D.M. : Brad Pitt.
10 - Quelle est l'œuvre construite que vous préférez ?
E.C. : Sully Morland (ndlr: Sully Morland - Albert Laprade - 1883-1978 « Il fut l'architecte de l'annexe de la préfecture de Paris, boulevard Morland - une œuvre de fin de carrière, d'une intégration difficile dans la perspective de la Seine vers Notre-Dame.» (M.D.) Sources : Dictionnaire de l'architecture moderne (Hazan 1964).
D.M. : La tour de contrôle d'Orly.
11 - Citez un ou plusieurs architectes que vous trouvez surfaits.
E.C. : Les Pritzker, surtout le dernier.
D.M. : Les clones d'Howard Roark. (ndlr : L'architecte rebelle du livre « The Fountainhead », d'Ann Rand).
12 - Quelle est l'œuvre artistique qui a influencé votre travail ?
E.C. : Hermann Nitsch, l'artiste actionniste viennois. Un travail réfractaire à tout pillage par les designers, publicitaires et autres architectes.
D.M. : L'ordre du discours, de Michel Foucault.
13 - Quel est le dernier livre qui vous a marqué ?
E.C. : Vineland, de Thomas Pynchon.
D.M. : Moon palace, de Paul Auster.
14 - Qu'emmèneriez-vous sur une île déserte ?
E.C. : Une ville habitée.
D.M.: The Concrete trilogy, de J.-G. Ballard (Crash–Concrete Island–High Rise).
15 - Votre ville préférée ?
E.C. : Graceland - une star, une ville.
D.M. : Anchorage, pour ne pas dire Rio ou Tokyo.
16 - Le métier d'architecte est-il enviable en 2005 ?
E.C. : Affirmatif.
D.M. : Viable, non viabilisable, donc toujours envisageable.
17 - Si vous n'étiez pas architecte, qu'auriez-vous aimé faire ?
E.C. : Faire des questionnaires.
D.M. : De l'architecture.
18 - Que défendez-vous ?
E.C. : La possibilité de se défendre.
D.M. : Ce qui est daté, « al dente, updated versus l'up to date ». Et puis aussi l'ivresse du flacon, allez savoir pourquoi.
19 - Quelle question voudriez-vous que l'on vous pose ?
D.M. : ou plutôt : « Quelle question n'auriez-vous pas aimé que l'on vous pose ? » : « Pourquoi êtes-vous architecte ? ».
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