(Dossier : 5/9) P4, Paris 19e

Architecte : Syvil architectures
Rédigé par Cyrille VÉRAN
Publié le 31/08/2022

Dès leurs études d’architecture, Damien Antoni et Achille Bourdon se sont intéressés aux coulisses de la ville et en ont fait un sujet de recherche au sein de leur agence, Syvil. Ils ont réalisé en 2021 un travail documentaire sur les hôtels industriels, un modèle d’entrepôt vertical développé par la Ville de paris à la fin des années 1970 pour maintenir l’artisanat et l’industrie, en regardant de près leurs potentialités d’évolution en espaces productifs contemporains. « Habiter la ville productive » est une recherche parallèle, menée avec BNP Paribas Real Estate, sur l’identification des dispositifs architecturaux pouvant intégrer l’activité productive et la logistique du dernier kilomètre dans les programmes mixtes. Suite logique, leur première réalisation logistique, intitulée P4 (pour pôle Paris Pantin Pré-Saint-Gervais), atteste de la capacité de cette fonction à s’insérer dans les lieux très contraints de la ville dense.



Depuis leur diplôme d’architecture à l’École d’architecture de Paris­ Belleville, les architectes de l’agence Syvil défendent l’idée d’apporter à la logistique, et plus largement à la ville productive, la même exigence ar­chitecturale qu’un équipement public. « Le redéploiement de la logistique au cœur des villes appelle de nouvelles réponses, en prise solide avec les logiques foncières, d’aménagement et de gouvernance. Il invite aussi à la définition d’une architecture de la logistique, apte à assurer l’association tar­dive et désormais incontournable de l’art de bâtir aux enjeux de la production », écrivent­-ils. Pour le P4, leur première réa­lisation, preuve est faite de la réelle plus­ value que les architectes peuvent apporter à ces programmes en s’emparant des ques­tions d’échelle, de géométrie, d’identité, de matérialité ou encore de cycle de vie. L’opération fait partie des propositions lauréates du premier appel à projets sur la logistique, lancé en 2016 par la Ville sur 33 sites, avec l’objectif de développer les activités de distribution urbaine dans des formes d’organisation renouvelées. L’im­plantation du P4 est déjà une gageure en soi. Glissé sous le tablier du boulevard péri­phérique parisien au niveau de la porte de Pantin, il est coincé dans tous les sens, entre les palées et la bretelle de sortie, les tunnels autoroutiers souterrains et les voies de bus et de tramway. Ce nœud d’infrastructures a déterminé la volumétrie du projet, qui réussit à garder une certaine simplicité. Une brisure discrète dans le parallélépipède sou­ligne la double géométrie du périph et de la rue en dessous reliant Paris à Pantin. En comblant ce délaissé urbain et ses recoins plutôt glauques, en lui offrant une nou­velle façade et un commerce d’angle (qui en outre permet une péréquation économique entre les fonctions), le parcours des piétons s’est considérablement arrangé dans cet espace public en sous-­face.

 

Mettre en scène le transit 

Le P4 se rattache à la typologie des espaces urbains de distribution – le premier à Paris – qui forment un nouveau maillon entre les grandes plateformes et le destina­taire final et visent à améliorer le bilan envi­ronnemental des chaînes de livraison. Dans cet entrepôt frigorifique, les marchandises arrivent par poids­-lourds et repartent dans des véhicules décarbonés (vélos triporteurs, camionnettes électriques...). Les architectes ont tenu à mettre en scène ce transit, en insérant côté Paris, face à l’arrêt de bus, une vitrine dans la façade en tôle inox perforée. La cour des triporteurs se laisse aussi entre­ voir derrière une grille en acier galvanisé. Ces dispositifs urbains doivent faire de la logistique un objet de curiosité. « Rendre visible les coulisses de la ville, c’est montrer aux citoyens qu’il n’existe pas de logistique urbaine magique comme on a pu le dire de la fée électricité, mais que la distribution urbaine suppose bien une réalité matérielle qui se traduit par la présence d’infrastruc­tures physiques au plus près des villes », énoncent les architectes. 

L’entrepôt frigorifique est installé sur le domaine public pour douze ans, durée de la convention d’occupation temporaire. L’intelligence de la conception est d’avoir aussi anticipé ce cycle de vie réduit. Les composants industriels du bâtiment – bacs métalliques, panneaux de façades, poteaux et poutres de la structure – ont été choi­sis avec la garantie de leur intégrité après le chantier de déconstruction, pour être réutilisés dans une autre opération ou revendus. « L’entrepôt se transforme lui­ même en stock et devient un gisement pour le futur », précisent­ils. Cette propo­sition, qui s’est muée en recherche sur les bâtiments démontables à l’agence, ne figu­rait pas au cahier des charges. La chambre froide est elle­-même composée de panneaux de seconde main. Syvil n’entend pas systé­ matiser ce procédé constructif modulaire démontable et potentiellement remontable. L’étude qu’ils ont réalisée sur les hôtels in­dustriels propose justement une approche symétrique : la pérennité de certaines typo­logies d’immeubles et leur capacité à se prê­ter à une mutation programmatique.



Maîtres d'ouvrages : Sogaris 
Maîtres d'oeuvres : Syvil architectures ; Mizrahi, BET TCE
Entreprises : Nouveaux Bâtisseurs Associés
Surface : 764 m2 SDP
Coût : 1,4 million d’euros
Date de livraison : novembre 2020

P4, Paris 19e<br/> Crédit photo : Les Architectes SA -

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