Architecte : DOMINIQUE COULON & ASSOCIÉS Rédigé par Richard SCOFFIER Publié le 02/11/2018 |
En arrivant à Freyming-Merlebach, ancienne
ville minière dévastée par la mondialisation, le visiteur reste stupéfié par
l’acropole blanche qui se dresse subitement devant lui.
Si certaines villes de Moselle aux balcons fleuris savent afficher leur bien-être, le paysage de Freyming-Merlebach reste stigmatisé par l’arrêt brutal de l’industrie minière. Au cœur du pays du charbon, la ville poursuit sa lente décroissance depuis que ses mines de houille ont été fermées dans les années 1980 alors qu’elles avaient le plus haut rendement d’Europe, une décadence qui sera sans doute endiguée par la politique de réindustrialisation peu à peu mise en place. Ironie de l’histoire, le réseau des galeries abandonnées – creusées anarchiquement en fonction des filons sous les zones construites – provoque maintenant des affaissements, brisant les chaussées et fissurant les murs des maisons. La ville possédait depuis longtemps un théâtre réputé dans les environs mais très dégradé à cause des mouvements du sol. Le maire, président de la communauté de communes, a su convaincre ses homologues de reconstruire cet équipement intercommunal dans sa ville, à proximité de la nouvelle mairie, sur un site sain, à l’abri de tout effondrement. Un concours est lancé en 2011, avec notamment Rudy Ricciotti qui proposait une composition de terrils pyramidaux au centre d’une forêt. Le projet plus classique de Dominique Coulon a été retenu. Une savante composition de blocs blancs qui sait clairement se positionner et inséminer un peu d’urbanité au cœur de ce réseau de communes développé en fonction des gisements et en suivant les talwegs d’une vaste région boisée. Sa haute silhouette se dresse maintenant sur l’ancienne place du marché et parvient à donner l’illusion d’une polarité dans cette zone où, à l’inverse du dieu pascalien, le centre est nulle part et la périphérie partout…
Promenade architecturale
Dominique
Coulon était sans doute l’homme de la situation ; il a construit de nombreux
équipements dans des villes moyennes françaises, notamment des théâtres. Il
utilise une géométrie complexe, souvent anguleuse, qu’il parvient à animer en
lui accordant une organicité. Peut-être même ce souffle qui traverse avec une
certaine indifférence l’histoire de l’architecture, en passant par les temples
archaïques aux colonnes renflées comme des verges, les infinis plissements
vaginaux des drapés baroques comme les flux pétrifiés de Zaha Hadid. On sent
ici la gestion intelligente d’un savoir accumulé depuis des années et des
années, notamment au théâtre de Montreuil qui cherchait à sortir de son
contexte composé de masses inertes affirmant de manière bovine la loi
inexorable de la gravitation terrestre. À Montreuil, la salle et sa haute cage
de scène étaient considérées comme un moteur emmailloté dans des bandes
servantes : salle de répétition, foyer, restaurant… Des voiles de béton blanc
qui montaient en hélice autour de ce noyau pour donner un sentiment de torsion,
de résistance à l’entropie, et l’impression d’emporter les espaces publics
alentour dans un même mouvement en spirale. Même propos ici, mais la
construction s’est rationalisée. La salle est plus compacte, un niveau de
balcon vient se superposer à l’orchestre pour permettre une plus grande
proximité des spectateurs avec les acteurs. Diverses nuances de rouge colorent
les sièges et les panneaux acoustiques afin de clairement différencier le lieu
de l’illusion théâtrale, le cœur statique du bâtiment. Autour de ce noyau, pas
de programme annexe, si ce n’est la billetterie, les vestiaires et un bar au
rezde-chaussée. L’architecte de Strasbourg a su s’octroyer la liberté de
déployer un véritable cheminement initiatique dans les trois dimensions de
l’espace. Une promenade architecturale au-dessus de l’entrée du théâtre qui
reste peut-être un peu trop exclusivement réservée aux spectateurs du balcon.
Mais un espace qui permet au public de se voir, de se rencontrer, de
s’appréhender et de se mettre en scène dans la loge qui s’avance en
porte-Ã -faux au-dessus du parvis. Une occasion de donner libre cours au savoir
post-corbuséen ressassé depuis trente ans dans les écoles d’architecture : un
jeu de volumes et de vides prétexte à un parcours émotionnel, où l’on change
subitement de direction pour s’exposer et monter vers la lumière à travers une
faille majestueuse avant de se diriger vers des zones d’intimité plus
resserrées et plus sombres… Mais le plus impressionnant reste la gestion des
coûts ; on comprend que le moindre centime de ce budget a été utilisé à bon
escient. Ainsi contrairement au théâtre de Montreuil, seules la salle et la
scène sont en béton. Elles soutiennent les poutres treillis en porte-à -faux qui
correspondent au foyer. À l’intérieur, tout est habillé de panneaux de plâtre
brut, ce qui permet d’accorder une épaisseur, une matérialité à la hauteur de
l’ambition spatiale. Autre élément déterminant : le marbre, qui n’est pas posé
sur le bâtiment mais sur le sol au-devant de lui. Pour donner au parvis un
caractère de luxe inestimable et permettre, au sortir de la représentation, la
grande transmutation des spectateurs attentifs en acteurs de la vie sociale, ce
qui est depuis l’Antiquité grecque le vrai rôle de tout théâtre.
L’appel du vortex
On ne
peut que féliciter l’architecte pour ce tour de force : mettre un tel
dispositif au service des citoyens de l’agglomération et même de beaucoup plus
loin, puisque certains spectateurs viennent d’Allemagne assister à des
événements auxquels ils n’auraient pas accès autrement. Mais on pourrait se
demander si Dominique Coulon, au lieu de gérer ses acquis, ne devait pas
essayer d’aller plus loin dans sa démarche. Il répète tout en se donnant des
gardefous au lieu de se laisser emporter par les tourbillons qu’il provoque. Sa
production se divise en effet en deux types de bâtiments : ceux qui exploitent
la notion de torsion sans dépasser certaines limites ; et ceux qui
expérimentent mais qui sortent du sujet, à l’instar de la médiathèque de
Thionville, qui quitte le monde obsessionnel de l’architecte pour développer
l’espace matriciel des Japonais de Sanaa. Tout est torsion, tout est tourbillon,
tout est vortex ; c’est la grande leçon de l’écrivain et peintre britannique
Wyndham Lewis (1882-1957) et de son mouvement éponyme le Vorticisme. Rien ne
devrait résister à ce mouvement, pas même l’œil du cyclone, pas même les salles
et les scènes : comme ont pu parfois le pressentir Christian de Portzamparc
(petite salle du Luxembourg), Jean Nouvel (Philharmonie de Paris) ou Kengo Kuma
(auditorium du conservatoire d’Aix-en-Provence). Nous attendons l’architecte
qui nous emportera dans ce mouvement irrépressible, décrit par Lucrèce et
Bergson, et nous savons que ce pourrait être Dominique Coulon.
Maître d'ouvrage : communauté de communes FreymingMerlebach
Maître d'oeuvre : Dominique Coulon & Associés
Entreprises : BET : Batiserf Ingénierie, structures ; Solares Bauen, fluides + HQE ; E3 économie, économie de la construction ; Euro Sound Project, acoustique ; Changement à vue, scénographie
Surface SHON : 2 850 m2
Cout : 7,7 millions d’euros HT
Date de livraison : avril 2017
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