Architecte : Atelier Bruno Gaudin Rédigé par Richard SCOFFIER Publié le 18/10/2021 |
Ce bâtiment insolite semble avoir toujours
été là. Il refuse de se donner immédiatement à lire ou de délivrer le moindre
message pour seulement nous inviter à une plongée en apnée dans la discipline
architecturale.
Vous sortez de la station Nanterre-Université sur une lumineuse
esplanade surélevée et vous apercevez presque immédiatement la dernière
réalisation de Bruno Gaudin. Un édifice centrifuge qui cherche obstinément à
créer du lien et à agréger autour de lui pour accorder une dimension urbaine à
ce paysage d’infrastructures autistiques dominé par la ligne L du
Transilien qui le coupe d’est en ouest. Un axe longé au sud par un haut mur
d’immeubles de bureaux et au nord par les grandes emprises du plan hippodamien
de l’université de Nanterre.
Ce nouvel équipement abrite les locaux de « La Contemporaine »
une institution atypique qui, avec son espace d’exposition, sa bibliothèque et
ses salles d’études, voudrait se définir comme une fabrique de l’histoire
contemporaine. D’abord « bibliothèque-musée de la Guerre » fondée en
1917 à partir de la collection d’un couple d’industriels parisiens – Louise
et Henri Leblanc – rassemblant toutes sortes de documents sur le conflit
et ses causes. Cette institution nomade s’est développée sur plusieurs sites – château
de Vincennes, musée des Invalides, université de Nanterre… – tout en
changeant plusieurs fois de nom. Elle possède maintenant un fonds très
important de publications, de lettres, de tracts, de peintures, d’affiches, de
photos, de films qui ont accompagné toutes les grandes convulsions politiques
et sociales du XXe et du début du XXIe siècle,
notamment la guerre d’Algérie, mai 1968 ou plus récemment le mouvement des
Gilets jaunes…
RÉCITS
La construction s’enfonce dans une parcelle
triangulaire. Elle apparaît comme un vaisseau qui s’ouvre en V en formant
deux ailes. L’aile nord contient les salles publiques, ainsi au rez-de-chaussée
s’étend la bibliothèque, surmontée des salles d’exposition, et suivie à l’arrière
par les volumes des réserves, servants et aveugles, qui rappellent les cages de
scène des salles de spectacle. Quant à l’aile sud, elle est profondément creusée
par l’entrée qui vient directement desservir l’atrium, celui-ci occupant l’entre-deux.
Elle renferme au premier étage les espaces de formation où l’on apprend au
public à comprendre et à utiliser la documentation brute, enfermée dans ce
conservatoire de la mémoire de notre modernité.
De l’extérieur, chaque façade raconte sa propre
histoire. Ainsi celle de l’entrée, visible depuis la gare, est dominée par la
verticale d’une tour qui masque le pignon des deux étages de bureaux en attique
posés au-dessus de l’aile nord. Elle s’anime de colonnes rectangulaires, superposées
en désordre, devant des balcons : une variation sur le thème de la mairie
de Murcia réalisée en 1998 par Rafael Moneo. Plus horizontale et introvertie,
la façade qui longe l’université reste très horizontale et semble renvoyer aux projets
de Willem Marinus Dudok. Enfin la dernière, ouverte sur un jardin, met en scène
un plot aveugle – correspondant au palier du grand escalier central –
qui semble flotter et qui rappelle les compositions fragmentées d’Alvar Aalto.
Ces visions variées sont uniformisées par une
enveloppe autoporteuse en briques danoises qui permettent leur mise en œuvre. Très
fines (seulement 3 cm d’épaisseur) et parfois très longues, elles savent élégamment
se déliter pour donner l’impression d’avoir été tissées plus qu’assemblées. Elles
parviennent à intégrer d’autres matériaux comme ces ailettes d’aluminium anodisé
qui glissent devant les ouvertures pour faire office de pare-soleil. Et elles conservent
en elles les stigmates de leur fabrication. Ainsi leurs arêtes, qui s’étirent
parfois à l’extraction du moule et se figent lors de la cuisson, forment-elles
des crêtes semblables à celles qui scarifient les pains qui sortent des fours
des boulangers.
PLONGÉE EN
APNÉE DANS L’ARCHITECTURE
Une fois dans la salle de lecture, la pièce maîtresse
du bâtiment, l’ambiance se modifie comme par enchantement. Adieu les murs
savamment calepinés, ils s’évanouissent pour laisser la place à un imposant
squelette en béton dont de l’extérieur nous ne pouvions supposer l’existence.
En retrait de la façade, il se compose de portiques organiques – dont la
découpe renvoie à l’architecture tardive d’Oscar Niemeyer – qui se
croisent à angle droit pour dessiner une vaste nef. Dans les arcs latéraux
proches des arrivées de lumière extérieure viennent parfois s’insérer, comme
autant de chapelles, les coques grises et recourbées des salles de travail. Un
dispositif repris par les rayonnages transversaux, tandis que deux rangées de
tables, incluant leur propre éclairage artificiel, occupent longitudinalement
l’espace central. Un agencement qui génère une spatialité d’une ampleur
inaccoutumée rappelant autant la grande salle de la Bibliothèque nationale d’Henri-Labrouste
que les halls d’aéroport des années 1960 où règne une ambiance attentionnée et
déstressante.
Mais nous sommes allés trop vite… revenons dans l’atrium.
À peine le seuil franchi, nous sommes plongés dans un véritable vortex. La
structure de la salle de lecture – fermée par une fine membrane de verre –
sort de ses gonds et coulisse dans le hall pour porter la vaste mezzanine qui
sert de parvis aux salles d’exposition. Les plafonds acoustiques rectangulaires
qui flottent entre les travées des poutres semblent se déplacer pour accentuer
ce mouvement. Un grand escalier surdimensionné monte pour buter contre un mur
et se divise en deux volées opposées pour desservir les salles publiques des
deux ailes et multiplier les diagonales qui semblent partir dans tous les sens.
Tandis que le mur ouest, creusé de profondes ouvertures, se plie et bascule pour
former un plafond présentant les mêmes types de percements. Comme si, emportées
dans ce maelström, les oppositions traditionnelles – intérieur et
extérieur, haut et bas – se dénouaient pour un temps.
Prenons l’escalier et montons dans les espaces du haut
où l’écriture architecturale se fait plus discrète, notamment dans les deux
boîtes blanches dans lesquelles les pièces fragiles de la collection peuvent
déployer toute leur aura. L’accent est surtout mis sur une structure discrète,
des arrivées de lumière occultables et un accès direct et indépendant pour
chacune d’entre ces salles aux réserves dont elles dépendent. Ainsi, dans la
salle d’exposition permanente, un système poteaux-poutres minimal vient se
caler sur la structure expressionniste du rez-de-chaussée. Les fenêtres
s’ouvrent sur des boîtes à lumière possédant des banquettes, où les visiteurs peuvent
se reposer, et une galerie très largement vitrée sur l’extérieur permet aux
manutentionnaires d’avoir un accès direct aux collections. Même problématique
pour la salle d’expositions temporaires, qui vient prendre sa lumière
par-dessus ce passage technique.
C’est sans doute comme un grand récit qu’il faut voir
ce projet. Des histoires enchevêtrées qui rappellent le monde en perpétuelle
régénération chanté par Lucrèce et par Ovide. Et qui permettent une plongée en
apnée dans la discipline architecturale, en convoquant une surabondance de
divinités tutélaires : les compositions de Moneo et d’Aalto, les vertiges
hélicoïdaux de Borromini et de Guarini, le vorticisme de Wildam Lewis, les
aéroports des années 1960 et la salle de lecture de Labrouste, la brique de Jørn Utzon et le pain du boulanger… Un
assemblage complexe et contradictoire de matières et de sensations, d’images et
d’émotions, qui remonte à contre-courant les fleuves de hangars stérilisés et
de structures minimalistes qui font la une de toutes les revues d’architecture,
sous les applaudissements de la critique patentée.
Maîtres d'ouvrages : rectorat de Versailles
Maîtres d'oeuvres : Atelier Bruno Gaudin
Architectes
Entreprises : -
Surface SDP : 6 800 m²
Cout : bâtiment, 16,5 millions d’euros HT ; mobilier, scénographie, rayonnages, contenus numériques, signalétique,
1,8 million
d’euros HT
Date de livraison : : juin 2021
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