HABITER
Centrale dans l’histoire de la modernité, la question du logement a jusqu’aux années quatre-vingt permis aux nouvelles générations d’architectes d’émerger sur la scène française et internationale. Cette scène est aujourd’hui davantage occupée par des réalisations plus spectaculaires – musées, opéras, sièges sociaux –, comme si la question de l’habitat n’était plus assez prestigieuse. Les Français, pourtant intimement concernés par cette question domestique, demeurent désespérément aussi désintéressés par le sujet. Dans la sphère politique, le logement n’engage le débat qu’en termes de mètres carrés construits et de démolitions. Démolir des immeubles en pleine crise du logement ne suffit toujours pas, semble-t-il, à démontrer à ceux qui en doutent que la question qualitative est fondamentale…
À écouter les architectes, réglementations abusives, budgets dérisoires et entreprises sous-qualifiées font de la conception du logement un martyre. Certains continuent le combat, adoptant cette posture héroïque que la profession aime tant arborer ; d’autres abdiquent, se soumettant avec résignation à des contraintes devenues, selon eux, si prégnantes qu’il est désormais impossible de sortir des standards imposés par la promotion. Engourdis par la morosité, n’oublie-t-on pas un peu vite de voir que cette exigence de confort, durabilité, sécurité et accessibilité offre à ce type de programme une qualité encore jamais atteinte ? Il est vrai qu’il y a des contreparties : tout ce qui n’est pas exigé réglementairement se retrouve souvent traité avec indigence, par défaut. Les surfaces par types d’appartement diminuent. Les coûts de mise en oeuvre augmentent. Enfin, il est un autre coût : celui de la complexité de conception engendrée par ces nouvelles contraintes et il est uniquement supporté par la maîtrise d’oeuvre. Malgré ces difficultés, les nombreuses réalisations de logements sociaux que nous avons visitées cette année, et dont nous ne vous présentons ce mois-ci qu’une infime partie, montrent qu’il existe encore une grande diversité de propositions et qu’elles donnent, là est l’essentiel, une forte envie d’y habiter.
Emmanuel Caille