Les fleurs de la pampa
La capacité de mise en scène d’événements apocalyptiques acquise par l’industrie cinématographique a beau avoir atteint une virtuosité stupéfiante, la réalité – pourtant bien en deçà de la démesure hollywoodienne – renvoie ces jours-ci le cinéma spectacle à son obscénité. Alors que nos sociétés urbaines s’interrogent sur le devenir de leur territoire et peinent à échapper à la nostalgie d’une nature idéalisée, les vidéos du tsunami japonais viennent de nous ramener sur terre ; et ça tremble furieusement ! Personne n’oubliera ces images prises d’hélicoptère : une langue noire lancée à folle vitesse effaçant inexorablement un paysage urbanisé comme il en naît aujourd’hui sur tous les rivages de la planète. Cette vague destructrice s’est vite chargée de toute la matière qu’elle dévastait, se transformant rapidement en un magma où se mêlait tout ce que les ateliers du monde charrient désormais en continu, du microprocesseur aux matériaux de construction, en passant par les voitures et les produits toxiques. Végétal, organique et composants industriels ainsi liés ont formé une effroyable boue : nouveau substrat de nos sociétés de consommation, signe prémonitoire d’un paysage que l’on ne saurait plus maîtriser.
À 20 000 kilomètres des côtes japonaises, sur le littoral de Buenos Aires, une promenade avait été aménagée en 1927 par le paysagiste Forestier le long du Rio de la Plata. À la fin des années soixante-dix, cette Costanera Sur était devenue la poubelle de la ville. Fortement polluée par les déchets et les déblais de chantier, la décharge avait formé une lagune dans l’estuaire. Abandonné, le territoire a été lentement recolonisé depuis par une végétation semée par les vents de la pampa et une faune désormais riche de centaines d’espèces. La zone est aujourd’hui protégée, sa renaissance observée attentivement et les investisseurs reviennent sur les berges du rio. Avec d’autres jolies histoires, on peut aller découvrir celle de Costanera Sur dans « La ville fertile » à la Cité de l’architecture jusqu’à l’été.
Emmanuel Caille