Pascal Riffaud, Denis Brillet et Benoît Fillon, fondateurs de Block Architectes |
« De qui suis-je le contemporain ? Avec qui est-ce que je vis ? Le
calendrier ne répond pas bien. » En 1976, Roland Barthes exprimait ainsi
ses doutes dans son cours au Collège de France, se demandant également «
Comment vivre ensemble » ? De qui suis-je le contemporain ? De Block,
c’est certain : Pascal Riffaud, Benoît Fillon et Denis Brillet sont des
enfants des années quatre-vingt, grandis à Nantes dans les années quatre-vingt-dix
et parvenus à la maturité au cours de la décennie suivante. |
Comme bien des
gens de cette génération, ils ont rêvé parfois d’un manifeste, mais n’oseront
jamais le coucher noir sur blanc : revenus de leurs propres illusions,
leurs aînés leur ont sagement défendu de le faire. Trop hybrides ?
Pourtant, s’il y a une leçon à tirer de leurs dix années de projets, c’est bien
la cohérence, le fil tendu depuis ce blockhaus réinvesti sur l’île de
Nantes en 1999. Un peu comme le cachalot formant écume lorsqu’il remonte Ã
la surface, mais qui n’en suit pas moins sa ligne de fond. Conversation
de début de soirée, rue Scribe, la rue de notre jeunesse évanouie, où ils
sont arrivés en 2000.
Paru
en 1985, La Forme d’une ville, de Julien Gracq, s’organisait autour du
sentiment de la perte pour laisser place à l’aventure. Dans ce récit
autobiographique en forme d’exorcisme pour temps difficiles, l’écrivain
y évoquait sa jeunesse à Nantes. Il est remarquable qu’une oeuvre
individuelle ait pu à ce point rejoindre l’histoire collective : juste au moment
où la ville était en effet confrontée à la désindustrialisation sans
s’être encore donné aucun modèle alternatif, Gracq aura certainement aidé Nantes
dans son travail de deuil. On ne rappellera jamais assez combien, en ce
début des années quatre-vingt-dix, la nouvelle ligne à grande vitesse aura
chamboulé les rapports entre la capitale et la province nantaise.
LA RELÈVE
1993
: les enseignants « parisiens » débarquent à l’école d’architecture. Parmi
eux, Hervé Bagot, qui accompagnera très loin les jeunes Nantais dans leurs aventures,
des serres horticoles aux hangars et aux caves, jusqu’aux habitats
troglodytes. « On nous a montré la non-architecture. » Enfants des années quatre-vingt,
les membres du groupe auront également « regardé ce qu’a fait le Land Art
». Un autre paysage, le savant et le populaire, pas de programme, pas
de site, pas de projet. C’est chez Gaëlle Péneau (GPAA) qu’ils sont
devenus architectes : « un rôle important, on ne s’en serait jamais
sortis sans elle ». Mais c’est à l’école qu’ils ont appris le métier :
réfléchir, disent-ils. Réfléchir avec les plasticiens aussi – Alain Gunst
et Ekkehart Rautenstrauch –, l’architecte designer Jean-Luc Cortella
ou encore au gré d’un passage chez les architectes plasticiens Bernard et
Clotilde Barto pour Fillon et Riffaud, et avec Duncan Lewis au fil de
collaborations. Jean-Philippe Vassal était là également, pour leur jury de
diplôme. Puis il y eut les « Allumées » première manière : automne 1990,
les artistes barcelonais enflamment la ville. Et Jean Blaise emmène tout
le monde sur l’Île, vers les soirées dans le bloc de béton de la Fabrique Ã
glace : cryptique ! Nantes, la belle endormie qui se réveille. Un symbole
? Ce blockhaus où ils mènent sur l’île de Nantes, à la fin des années
quatre-vingt-dix, leurs premières expériences plastiques et festives. Anomalie
urbaine construite sur deux anciens hôtels de passe, il a servi d’abri aux
ouvriers des chantiers Dubigeon bombardés par l’aviation alliée. « Il
nous est tombé dessus », se souviennent les Block, un objet trouvé et une hétérotopie,
hors du temps et hors de tous les lieux, un espace en état de
dysfonctionnement, donc disponible pour installer, « performer », faire de
la musique… Ils commencent par le déblayer. Puis ils y jouent de la musique
électronique, du « rock plutôt noisy aussi, et même carrément old school parfois
». L’ayant quitté en 2000, ils rêvent toujours d’y retourner avec un
projet de surélévation qui, un jour peutêtre, aboutira. Leurs amis, les
scénographes du groupe Metalobil, y sont restés. Block comptait
quatre membres à ses débuts, avec Stéphane Lagré qui ira au bout de son
refus de construire, tout en restant très proche du groupe. D’ailleurs,
il était présent à l’agence, ce soir-là , lorsque nous leur avons rendu visite.
Pour l’heure, ils sont trois associés, avec un salarié : « comme ça, on
peut continuer à dessiner sans avoir à gérer une grande agence. » Ils
partagent leurs locaux avec des proches, le duo d’architectes
Guinée-Potin.
MONOLITHES
ET FORMES INDEXÉES
La musique
et les formes hybrides : les années 2000 se déclinent sous le signe du sampling.
Cherchant à travailler la matière urbaine à la manière d’une bande
son, par assemblage et superposition des éléments de l’existant, ils
conçoivent alors des « formes indexées » reposant sur des éléments du réel
décalqués, déplacés et enfin décontextualisés. Ils tentent d’en faire
émerger de l’inattendu, sinon de l’inconnu. La ville devient un
gigantesque réservoir de signes et de formes, traduits et transformés Ã
l’aune des possibilités vertigineuses offertes par les outils numériques :
hybridations, contaminations et réactions. Pour leurs débuts sur la scène publique,
à l’occasion du premier concours d’idées pour la base sous-marine de
Keroman à Lorient, en 1999, ils avaient déjà essayé de camoufler l’énorme
masse de béton gris Todt sous une pixélisation bleutée déduite du
programme de reconversion autour des activités maritimes. Ils ont conservé
ce goût pour les concours d’idées, auxquels ils participent régulièrement. À
Brest, leur complexe sportif livré en 2007 se présente comme une
réminiscence du brutalisme : peu de peinture, pas de détails de
construction superflus, du béton quartzé industriel dans les espaces communs
et une résine sur le sol des salles. Rude et honnête ? Conçu comme un
monolithe (la Bunker archéologie de Paul Virilio est une référence
assumée), il résulte de la déformation, au gré des contraintes du
site et du programme, d’une boîte de chaussures Adidas. Il est recouvert
de béton matricé, rythmé par des bandes obliques qui viennent se fondre dans
la façade, prolongement d’une opération de mapping consistant à jouer avec
des formes standard se déplaçant et s’amplifiant jusqu’à créer de
nouvelles enveloppes. Loin de la géométrie, de la composition et du
dessin, ils préfèrent la pixélisation. Avec les produits standard ou
semi-finis comme ceux qu’ils ont mis en oeuvre au Lieu Unique en 2007
pour leur « Forme intermédiaire ». Mais « cette image du monolithe
brestois, disent-ils, nous ne la montrons plus dans nos dossiers de candidature,
elle intimide. Nous lui préférons la façade nord, vitrée. » À chacun sa
chimère.
PRÉCAIRE
ET VOLONTAIRE
La
monstrueuse bête, c’est le poids des siècles passés qui pèse sur nos
épaules et qui fait cependant partie de nous-mêmes, condamnés à espérer. Chimères
? Fictions ? Block connaît bien ces registres pour les avoir tous un peu
explorés successivement depuis une dizaine d’années. Leur architecture
laisse souvent le sentiment du précaire, en tout cas loin du lisse, unifié
et intégré. Voulu, assumé, ils articulent plutôt les produits semi-finis comme
leurs logements individuels aux Herbiers ou à Mulhouse en 2006. À la
Bottière-Chénaie en 2009, leurs logements collectifs et le groupe scolaire Julien-Gracq
font alterner sur leurs façades les parois de serre et les teintes
standard, l’orange et l’ardoise des toits alentour, puis le vert réséda
des hangars. Toutes ces réminiscences sont échantillonnées en bandes
verticales, entre effet pop et minimalisme, rappel de l’effet visuel des
parcelles maraîchères qui se tenaient là auparavant. L’acte minimum :
quelques petits mouvements de terrain dans une pente pour y camoufler, en
2008, des gîtes ruraux à Sainte-Féréole près de Brive. « Le commanditaire
ne voulait pas de toits à double pente dans sa vallée, on en a profité. Le
projet a été fait dans la voiture, sur le chemin du retour. » Au
Petit-Maroc, en 2005, sur le rocher à la pointe des bassins de
Saint-Nazaire, ils avaient joué sur la touche portuaire pour y concevoir
un nouveau quartier, alors que tout le monde attendait une ambiance
balnéaire. « On s’est planté de politique, mais cela nous paraissait
tellement plus juste. » La dénégation du réel a souvent eu raison des plus
beaux projets. « Le réel, c’est quand on se cogne ! », affirma un jour
devant ses témoins plus ou moins bluffés l’illustre Jacques Lacan. Là où
le langage se brise. Une chance pour la poésie. Et pour l’utopie ?
CHRONOLOGIE :
> 1969, 1970, 1971 : naissances de Pascal Riffaud, Benoît Fillon et Denis Brillet.
> 1998-2000 : collaborations avec Gaëlle Péneau (GPAA), et à Angers avec Duncan Lewis et Hervé Potin.
> 2000 : création du groupe d’architectes Block. Installation rue Scribe à Nantes.
> 2002 : lauréats des Naja, première fournée de la « nouvelle formule ». Participation à l’exposition « Archilab 2002 » au Frac Centre.
> 2003 : lauréats de la bourse de L’Envers des villes.
> 2004 : nomination au prix de la Première OEuvre pour la réalisation du siège social du Groupe Fidea-FLP à Nantes.
> 2005 : participation, avec la Cité manifeste à Mulhouse, à l’exposition « Voisins-Voisines, nouvelles formes d’habitat individuel en France » à la Cité de l’architecture/ IFA.
> 2008 : exposition à la Biennale d’architecture de Venise.
> 2002-2011 : diverses expériences d’enseignement, à l’Ensa de Nantes et à l’École des beauxarts d’Angers.PROJET
D’EXTENSION DU BLOCKHAUS DY.10, ÎLE DE NANTES
Depuis
plus de dix ans, Block rêve de surélever le blockhaus de ses débuts, d’abord Ã
l’abandon puis occupé, à partir de 1995, par plusieurs collectifs
d’artistes, architectes, graphistes, musiciens et scénographes. Ces groupes ont
profité des qualités du lieu : isolation sonore et noir complet. L’intervention
est minime : une mise aux normes de sécurité (percement d’un nouvel accès), le
remplacement des escaliers extérieurs en béton par leur équivalent en
métal et le cloisonnement de certaines pièces. L’extension est créée là où elle
est possible, sur le bunker : aucun terrain n’était disponible alentour.
Elle reprend le gabarit existant et s’y superpose. Elle est desservie par une
coursive extérieure dont la largeur reprend celle des murs de béton. Le
toit fait office de terrasse et pourra accueillir une vaste serre.
[ SURFACES
SHON : 900 M2 EXISTANTS ET 1 100 M2 D’EXTENSION – COÛT DU PROJET : 1,4 MILLION
D’EUROS ]
« FORME
INTERMÉDIAIRE », INSTALLATION, LIEU UNIQUE, NANTES, 2007
Dispositif habitable de 1 200 mètres carrés, « Forme intermédiaire » a
été conçu pour la scène nationale du Lieu Unique. Cette architecture
temporaire modifie les rapports d’échelle entre deux espaces concrets qui
offrent chacun un jeu d’univers fictionnels. En interrogeant les modes
constructifs standard dictés par l’industrie, le projet fabrique un espace
sans objet et non affecté.
GROUPE
SCOLAIRE JULIEN-GRACQ, LOGEMENTS ET LOCAUX COMMERCIAUX, LA
BOTTIÈRE-CHÉNAIE, NANTES
Calepinage
savant et couleurs populaires : la peau translucide et colorée qui double
le béton lazuré crée un effet d’optique unifiant les logements et le
groupe scolaire qui vient s’imbriquer en partie arrière. Réminiscence des
serres horticoles présentes autrefois sur ces anciennes parcelles
maraîchères, les parois mobiles permettent de réguler la lumière et la
température au sein des logements. Des loggias en duplex éclairent les
parties communes.
[ MAÎTRE D’OUVRAGE
: VILLE DE NANTES – MAÎTRES D’OEUVRE : BLOCK, ARCHITECTES MANDATAIRES, AVEC
GUINÉE-POTIN, ARCHITECTES COTRAITANTS. COTRAITANTS : IOSIS, ITAC, CONCEPTIC’ART
– PROGRAMME : 43 LOGEMENTS LOCATIFS SOCIAUX ET UNE ÉCOLE DE 14 CLASSES. BÂTIMENTS
THPE (GROUPE SCOLAIRE) ET THPE ET H&E (LOGEMENTS) – SURFACES SHON : GROUPE
SCOLAIRE, 4 757 M2 ; LOGEMENTS, 3 602 M2 – COÛT : GROUPE SCOLAIRE, 5,39 MILLIONS
D’EUROS ; LOGEMENTS, 3,5 MILLIONS D’EUROS – LIVRAISON : SEPTEMBRE 2009 ]
GÎTES RURAUX, RÉSIDENCE LES COLLINES DE SAINTE-FÉRÉOLE, SAINTE-FÉRÉOLE (19)
Efficaces
? Ces gîtes, c’est d’abord un site, à 10 kilomètres de Brive, sur le flanc
d’un coteau ouvert sur une large vallée : voir sans être vu. Un
terrassement ancre le bâti dans la colline. Recouvert de terre, le toit se
couvre de végétation. L’automobile est repoussée en périphérie. Derrière
son rideau camouflage (militaire), chaque gîte s’ouvre sur toute sa
façade, face au grand paysage subtilement découpé par les garde-corps qui
délimitent furtivement les toits-terrasses.
[ MAÎTRE D’OUVRAGE
: COMMUNAUTÉ D’AGGLOMÉRATION DE BRIVE – MAÎTRES D’OEUVRE : BLOCK
ARCHITECTES. COTRAITANT, MAP – PROGRAMME : 25 GÎTES DE TOURISME ET UN ESPACE
DE VIE COMMUN. BÂTIMENTS BBC – SURFACE : 1 500 M2 SHON – COÛT : 2,59 MILLIONS
D’EUROS – LIVRAISON : 2008 ]
CENTRE
SPORTIF DE LA BRASSERIE, BREST
Radicalement
neutre ? Sur une friche industrielle située à la jonction de deux
ensembles urbains, une zone pavillonnaire et un espace ouvert, le volume
de la Brasserie s’inscrit comme un monolithe opaque au sud et vitré au
nord. Qualifier tout simplement les membres de Block de radicaux n’aurait
pas grand sens car au fond, « radical » chacun l’est ou aimerait l’être,
dans son art et dans sa pratique.
[ MAÎTRE D’OUVRAGE
: BREST MÉTROPOLE – MAÎTRES D’OEUVRE : BLOCK ARCHITECTES – PROGRAMME : DEUX
GYMNASES ET UNE SALLE POLYVALENTE. BÂTIMENTS THPE – SURFACE : 2 997 M2 SHON
– COÛT : 2,37 MILLIONS D’EUROS – LIVRAISON : 2007 ]
BLOCK… SOUMIS À LA QUESTION
> Quel est votre premier souvenir d'architecture ?
[Sans réponse]
> Que sont devenus vos rêves d'étudiants ?
Mangés par le réel.
> À quoi sert l'architecture ?
À contourner la construction.
> Quelle est la qualité essentielle pour un architecte ?
La bonne humeur.
> Quel est le pire défaut chez un architecte ?
Les chaussures pointues.
> Quel est le vôtre ?
Stéphane Lagré.
> Quel est le pire cauchemar pour un architecte ?
Construire.
> Quelle est la commande à laquelle vous rêvez le plus ?
Un projet sans programme.
> Quels architectes admirez-vous le plus ?
Étienne Louis Boullée, El Lissitzky, Marcel Breuer, Architecture
Principe, Archizoom et Superstudio, Hervé Potin.
> Quelle est l’œuvre construite que vous préférez ?
[Sans réponse]
> Citez un ou plusieurs architectes que vous trouvez surfaits.
Hervé Potin.
> Une oeuvre artistique a-t-elle plus particulièrement influencé votre travail ?
Nous sommes influencés par plusieurs champs artistiques. Aucune
réponse possible…
> Quel est le dernier livre qui vous a marqués ?
Le Grand Déchiffreur. Richard Hamilton sur
Marcel Duchamp.
> Qu'emmèneriez-vous sur une île déserte ?
Un bateau pour revenir.
> Quelle est votre ville préférée ?
Los Angeles.
> Le métier d'architecte est-il enviable en 2011 ?
Pas plus, pas moins qu’auparavant.
> Si vous n'étiez pas architectes, qu'auriez-vous aimé faire ?
Rien.
> Que défendez-vous ?
Notre intérêt.
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