On forge des concepts, on définit des valeurs qui nous permettent d’élaborer un langage commun pour mieux comprendre les mécanismes de la ville et de l’architecture. Ainsi en est-il, par exemple, de la notion d’espace public. Et puis un jour, on prend conscience que ces mots ne recouvrent plus la réalité à laquelle ils étaient censés renvoyer et qu’ils ne sont plus opératoires – comme l’on dit aujourd’hui – pour une analyse pertinente et, si possible, anticipatrice. La chute intervient souvent après un emploi excessif et incantatoire du concept. C’est le sort qui paraît aujourd’hui réservé à l’espace public, ce concept paré de toutes les vertus de la démocratie et du « vivre ensemble » si cher aux langues de bois. Non pas que les valeurs qu’il incarnait – collectivité, partage, échange – soient devenues obsolètes mais plutôt que l’on peine désormais à définir les limites de ce qui est public ou non. La privatisation, ou tout du moins la prise en charge de pans entiers du territoire par des organismes privés, est l’une des évolutions majeures de ces dernières années. La rue, la maintenance, les musées ou l’aménagement de quartiers sont de moins en moins entre les mains d’une collectivité publique responsable devant ses électeurs. Parallèlement, la notion de $privé$ subit elle aussi de profondes mutations. C’est pourquoi l’opposer à celle de $public$ dans une vision manichéenne risque de nous faire passer à côté des nouveaux enjeux du développement urbain.
Si le dossier de ce mois, justement consacré à la financiarisation des villes, aura pour certains une allure de roman d’anticipation, il faudra pourtant se résoudre à admettre qu’il décrit la réalité actuelle. Corroborant ce constat, notre récit relatant l’inauguration du spectaculaire BMW Welt à Munich montre à quel point les lieux emblématiques de la ville sont désormais initiés et conçus par les grands acteurs du commerce mondial. L’architecture, pour le meilleur et pour le pire, dans sa conception et ses finalités, s’en trouve bouleversée. EC