Le crépissage de la Mosquée de Djenné |
Djenné, cité malienne, est classée depuis 1988 au patrimoine mondial de l'Unesco, tout comme sa mosquée, aujourd'hui le plus grand édifice au monde construit en banco, depuis la destruction du palais de Baam en Iran, en 2004, par un tremblement de terre. Ces constructions en terre nécessitent un entretien régulier. Le 5 avril dernier, les douze quartiers de la ville ont participé en chœur au crépissage de leur mosquée, ce qui n'était plus arrivé depuis les échauffourées de 1957. |
En 1907, William Ponty, alors gouverneur colonial français, répondit favorablement à la demande du marabout Almamy Sonfo et permit la reconstruction à l'identique de l'ancienne mosquée du roi Koi Komboro (voir notre encadré ci-dessous). Avec ses 75 mètres de côté et ses 20 mètres de hauteur, la grande mosquée peut accueillir 1 000 fidèles. C'est un joyau du style « soudanais ». Elle est recrépie chaque année, avant la saison des pluies.
Selon Bara Diallo, secrétaire général de la Jeunesse, ce sont les Sages des douze quartiers de la ville qui fixent la date du crépissage, en fonction du niveau de l'eau du fleuve Bani, le banco étant en effet fabriqué le long de ses berges. Paille, son de riz et crottin d'âne macèrent durant quatre ou cinq jours dans de petites retenues que chaque quartier a aménagées sur les rives du cours d'eau, aujourd'hui presque tari puisque nous sommes à la fin de la saison sèche.
La veille du crépissage, enfants, adolescents et jeunes adultes se retrouvent au bord du fleuve. D'aucuns, enlisés jusqu'aux genoux, remplissent de banco les paniers tressés que les plus véloces hissent sur leur tête. Des hordes multicolores et bruyantes se forment alors et déferlent dans les rues par vagues successives. Des groupes singulièrement déterminés arborent fièrement le drapeau malien. Ils habitent Yobou Kaïna, le quartier à l'honneur cette année. Stimulés par les battements de tambour, les coups de sifflets et les chants des hommes de tête, les porteurs de banco, en vue de la mosquée, s'élancent dans une course endiablée pour gravir en tête les marches d'accès à la mosquée et déverser leur chargement.
Qu'ils soient résidents de Dioboro, Koïténdé Gabala, Algasba, Sorkotame ou d'autres quartiers encore, tous défileront en processions incessantes jusqu'à la nuit pour approvisionner les réserves. La ville tout entière s'imprègne de l'odeur du banco, cocktail d'effluves de terre, d'humidité et de paille séchée.
Courses, cris, poussière et musique
La lune est pleine, la prière du Sobh célébrée. De nombreux maçons ont pris place sur le minaret central de la façade est du bâtiment. Accrochés aux « terrons » de palmiers roumiers, les bareys, comme on les nomme ici, autant acrobates que maçons, attendent le banco à 20 mètres de hauteur.
Les porteurs s'engouffrent et se faufilent dans l'un des deux escaliers étroits et sombres qui débouchent sur le toit de l'édifice pour livrer leur précieux chargement. Recouvertes de banco renversé, les marches glissantes rendent les va-et-vient dangereux. Malheur au maladroit qui viendrait à perdre l'équilibre, il serait irrémédiablement piétiné par une foule survoltée.
Le jour se lève, les silhouettes funambules agrippées à leurs poteaux se découpent en ombres chinoises sur l'azur du ciel. La température est déjà caniculaire.
Près de l'entrée, les maçons les plus âgés, invités d'honneur, donnent le départ du crépissage. Les $bareys$ commencent alors à recouvrir les murs, étalant le banco à mains nues. Le sommet des tours est rapidement enduit. Les maçons dévalent la façade à la rencontre de leurs confrères qui ont dressé des échelles depuis le sol. Le chantier semble démesuré malgré les milliers de participants qui essaiment tout autour.
Un DJ affublé d'un bandana rose et de lunettes dorées harangue la foule. Posté sur le toit d'une maison voisine, il tonne des incantations qui se mêlent à la musique diffusée par les haut-parleurs accrochés un peu partout en ville. Musique traditionnelle et reggae se succèdent pour doper tous les participants. Tâche collective mais également expression de la ferveur religieuse et culturelle, le crépissage permet à tout Djennenké de manifester son attachement à sa cité. Quelques chérubins s'activent sur le mur sud, la relève pour les années futures est assurée. Les générations se côtoient et collaborent avec le même enthousiasme. Malgré la fatigue accumulée, l'ambiance reste festive ; ici et là , des adolescents se bousculent et s'arrosent ; plus loin, une armée d'enfants s'élève dans une joyeuse mêlée pour chiper les bonbons lancés par quelque spectateur. Les sarabandes des porteurs alimentent les maçons dans un tempo cadencé. Les troupes montantes du fleuve invectivent celles, aux paniers vides, qui dévalent les berges en quête d'un nouveau chargement. Courses, cris, poussière et musiques enveloppent la ville.
Un cortège d'adolescentes et de jeunes femmes apparaît. Cambrées, parées de bijoux, elles cheminent avec allure en une procession chamarrée. Protégées par un fichu, en un joyeux chahut, elles portent l'eau sur leur tête dans des seaux multicolores. De leur démarche si caractéristique, mélange de nonchalance, d'aisance et de grâce, elles progressent au milieu de la foule, sous l'œil inquisiteur des garçons. L'eau sera mêlée au banco ou remplira de gros fûts métalliques où chacun pourra se rafraîchir.
Malgré la chaleur insoutenable, le travail avance rondement. Bientôt l'effervescence décroît peu à peu, la tâche se termine. Des participants se regroupent sur le toit de la mosquée. Fourbus, maculés de terre, ils s'assoient à la recherche d'un peu d'ombre. Le regard dans le vide mais satisfaits du travail accompli, ils récupèrent des efforts fournis depuis deux jours. En moins de trois heures, la mosquée sera entièrement recouverte.
Un peu plus tard, tous se retrouveront pour un repas commun. Dans chaque quartier des familles choisies organisent les repas. Une participation financière est demandée à chacun des convives pour partager un plat de spaghetti au $maggi$, des galettes de riz ou des beignets de farine et un peu de viande. Les anciens préfèrent le thé, les jeunes une boisson à base de gingembre et de feuilles de menthe, mélangés à de la glace pilée.
Les habitants se dirigeront ensuite vers le Bani, à l'endroit où le bac dessert la ville, pour terminer la journée en ablutions et lessives. L'origine de Djenné, « génie des eaux » en bozo, prend alors toute sa signification.
Pour El Hadji Alman Korobena, imam de Djenné depuis 1994, le crépissage de 2007 aura été un excellent millésime, placé sous le signe de la réconciliation. Le financement du crépissage est assuré par des dons personnels, affirme-t-il, et : « si 50 francs CFA, ce n'est pas rien, 5 000 c'est pas trop ».
Et Djenné se convertit à l'islam :
la légende de la pépite d'or: En 1280, le roi Koi Komboro, confronté à la montée de l'islam, décida de mettre à l'épreuve l'imam de Djenné. Le marché était simple : si l'imam lui démontrait que sa foi était la plus forte, l'islam deviendrait la religion d'État. Sinon, tous les musulmans seraient exterminés.
Koi Komboro remit donc à l'imam sa plus grosse pépite d'or et lui en confia la garde. Le roi fit dérober la pépite durant la nuit par l'un de ses serviteurs et la jeta lui-même dans le Bani, affluent du fleuve Niger.
L'imam, convoqué le lendemain, avoua ne plus posséder l'or mais affirma que Komboro le retrouverait bientôt.
Le surlendemain, la femme du roi se rendit au marché de Djenné pour se réapprovisionner en condiments. Elle remarqua un superbe poisson sur l'étal d'une femme Bozo. Elle acheta le « capitaine », goûteux poisson des profondeurs du Bani. En le parant pour le cuisiner, elle retrouva la pépite qu'elle remit à son mari.
Koi Komboro se convertit à l'islam et fit don de son palais qui fut rasé. Les fidèles érigèrent sur le site la célèbre mosquée en banco.
Philippe Masson
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