Vers la privatisation de la ville?

Rédigé par isabelle BARAUD-SEFARTY
Publié le 05/12/2007

Plan voisin de Paris - 2004 © Alain Bublex

Dossier réalisé par isabelle BARAUD-SEFARTY
Dossier publié dans le d'A n°169 Vers la privatisation de la ville ?

Privées, privatisées, corporate city
Il y a plusieurs manières d'aborder la privatisation de la ville. D'emblée, nous voudrions souligner que cette notion est à la fois plus large et plus spécifique que la notion des « villes privées Â» (gated communities), avec laquelle on peut avoir tendance à la confondre.

Les gated communities renvoient davantage à une opposition entre l'individu (ou un groupe d'individus) et le collectif, alors que, en un sens, la privatisation de la ville renvoie surtout à l'idée d'une corporate city, une ville dont la fabrication serait entièrement contrôlée par les entreprises.  
Aborder la question de la privatisation de la ville supposerait alors qu'on examine les différents mécanismes contractuels à l'œuvre dans le domaine de la gestion des services urbains ou de l'aménagement et de la promotion et qu'on puisse mesurer les rapports de force entre acteurs publics et privés. Ce travail est à entreprendre. Mais en attendant, il est essentiel de montrer que la distinction public/privé est de plus en plus délicate. Car en même temps que la ville se modifie, il faut renouveler nos grilles de lecture.

Public/privé : une distinction dépassée ?

La place plus importante prise par les acteurs privés entraîne assurément un brouillage de la distinction entre public et privé, à tel point que certains considèrent que les espaces publics sont désormais « instrumentalisés Â» par le secteur privé. Il faut pourtant oublier tout manichéisme et admettre que la distinction public/privé en jeu ici est complexe et intervient sur plusieurs registres. Le premier est d'ordre institutionnel : les acteurs sont publics ou privés selon leur statut juridique. Le deuxième est lié à la nature de l'activité : certaines activités sont considérées, en raison de la loi ou de la jurisprudence, comme d'« intérêt général Â». Un troisième registre concerne l'accessibilité, voire la visibilité (accessibilité du regard) et renvoie également à la distinction intérieur/extérieur.
Jusqu'à présent, ces différents registres coïncidaient : une activité d'intérêt général était à la fois maîtrisée et gérée par un acteur public et accessible à tous ; aujourd'hui, on constate des chevauchements de plus en plus forts. Certaines activités d'intérêt général peuvent ainsi être confiées à des acteurs privés, comme c'est le cas avec les délégations de service public, tandis que des espaces appartenant à des acteurs privés et gérés par eux, notamment les centres commerciaux, sont accessibles à tous.
La question est sans doute encore plus complexe dans le cas des équipements publics, en particulier ceux construits et réalisés dans le cadre des récents contrats de partenariat. Pour le visiteur ou l'usager, un musée, un hôpital ou un palais de justice forme chacun un tout indissociable. En réalité, les modes de gestion de ces activités sont de plus en plus éclatés. La gestion d'un hôpital peut être décomposée de manière fonctionnelle en plusieurs tâches : soins donnés aux malades, restauration, blanchisserie, fournitures des fluides… Certaines d'entre elles sont qualifiées d'intérêt général et seront nécessairement prises en charge par l'acteur public, tandis que les autres pourront être confiées à plusieurs prestataires privés, selon leur spécialité. D'un point de vue patrimonial, le cas est également complexe : le propriétaire des murs de l'hôpital peut être une entreprise privée durant toute la période d'exploitation, mais au terme d'une durée convenue à l'avance, d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années, les bâtiments reviennent à l'acteur public en charge du service. Ainsi, la segmentation des activités s'ajoute à la multiplicité des registres.
L'enjeu est d'importance et appelle en particulier une nouvelle réflexion sur la notion d'espaces publics. Il faut se détacher du mythologique espace-public-forcément-vertueux : en particulier, « il faut appréhender de façon différente la question des espaces publics, en dépassant une limite de l'analyse classique de cet objet telle qu'elle s'est développée, de façon surabondante, depuis une quinzaine d'années, dans la littérature architecturale et urbanistique : une approche qui dresse a priori l'espace public en espace vertueux de la citoyenneté, porteur intrinsèquement des vertus de l'échange interpersonnel1. Â»

Public/privé : une distinction évolutive

En tout état de cause, ces glissements entre public et privé ne doivent pas surprendre. Ainsi, si l'on quitte le domaine institutionnel pour le domaine sociologique, le terme « public Â» s'oppose à ce qui est de l'ordre de la sphère privée, de la famille, et l'opposition public/privé recouvre alors largement l'opposition intérieur/extérieur. Or elle est assurément évolutive, liée aux contextes historiques et culturels. Ainsi, une partie des usages « rentre Â» à l'intérieur des maisons : usages sociaux des réceptions privées, internalisation des fonctions domestiques (lessive, toilette, cuisine, etc.) et aussi, plus récemment, le cinéma (avec le home cinéma) et le bureau (avec le télétravail). Dans le même temps, d'autres pratiques sociales « sortent Â» de l'habitat et donnent naissance à des bâtiments et des « lieux publics Â» d'un type nouveau : les écoles et les lycées, les crèches, les hôpitaux… Cette évolution suit celle des modes de vie et des technologies ; l'essor d'Internet entraînera notamment de nouveaux glissements entre les sphères privée et publique.
Enfin, la distinction public/privé répond à des ancrages culturels. Le concept d'espaces publics n'a pas par exemple le même sens au Japon, où les notions « individu/collectif Â», « dehors/dedans Â» ou « intérieur/extérieur Â» sont très différentes des nôtres. Le rapport dedans-dehors y sera déterminé plutôt par des formes immatérielles ou temporelles (les usages) que par des formes matérielles ou spatiales (le bâti)2.

Notes
1. Michel Lussault, in Réinventer le sens de la ville : les espaces publics à l'heure globale, sous la direction de Cynthia Ghorra-Gobin, L'Harmattan, 2001.
2. Augustin Berque, Du geste à la cité, Gallimard, 1993.

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