Portrait des architectes |
L'un est connu, il vient de Suisse, l'autre, français, l'est moins. L'aîné a collaboré avec les plus grandes stars de l'architecture et de l'ingénierie, le benjamin a fait ses premiers pas d'architecte dans l'agence dont il est devenu l'associé. Le premier rencontre son épouse française chez Piano-Rogers, sur le chantier de Beaubourg, le second se marie avec une Zurichoise, architecte depuis onze ans au bureau parisien de Renzo Piano. Leurs parcours se rejoignent, en 1998, pour mener des projets en France, Autriche, Suisse, tout en permettant à Cuno Brullmann d'assumer ses responsabilités de professeur à l'École polytechnique de Vienne. |
L'agence est nichée au rez-de-chaussée d'une cour du 5e arrondissement de Paris, à deux pas de la place Monge. Le lieu est calme, ordonné. Une façade vitrée toute hauteur au dessin japonisant, de longues tables en épis, au fond, une paroi file, entièrement lumineuse. Cet aménagement est déjà une déclaration d'intention : utilisation de la lumière naturelle et artificielle comme matériau essentiel au bien-être de l'homme dans l'architecture, transparences et réflexions pour amplifier les perspectives, clarté de l'organisation du plan. Sous la houlette du chef d'agence Daniel Durassier, un fidèle parmi les fidèles, une quinzaine de personnes, d'une dizaine de nationalités différentes, travaillent ici. Ce cosmopolitisme tient sans doute à la conviction ancrée dans l'esprit de Cuno Brullmann, lui-même polyglotte, que le maniement de plusieurs langues et le mélange des cultures est le passage obligé pour saisir la complexité du monde contemporain.
Chez les Suisses, le voyage fait partie de la formation. Dès l'âge de 21 ans, Cuno Brullmann s'échappe de son petit pays pour entreprendre un tour du monde – ou presque. Les Pays-Bas d'abord, le Japon ensuite, où il travaille près d'une année et où il se familiarise avec la flexibilité modulaire de l'espace domestique traditionnel. Puis ce seront les États-Unis, où il visite systématiquement les œuvres de Wright et de Mies van der Rohe. Enfin, en 1970-71, après avoir terminé ses études à l'ETH de Zurich, il débarque en Angleterre. À l'agence d'ingénierie et d'architecture Arup Associates, filiale d'Ove Arup and Partners, il découvre une organisation très efficace du travail pluridisciplinaire. Chaque membre de l'équipe joue strictement son rôle dans une complémentarité active avec les responsabilités bien définies de l'autre... Sa rencontre avec Richard Rogers le conduit ensuite jusqu'à Gênes, dans l'agence de Renzo Piano, l'associé de ce dernier, où il assume un rôle important, puis à Paris, sur le chantier du Centre Beaubourg. Là , il a la charge des espaces en communication avec la Ville, depuis la piazza jusqu'à l'aménagement du rez-de-chaussée, de l'ancien forum et des salles en sous-sol.
Des espaces flexibles
Cette formation riche de rencontres et d'enseignements décide des traits récurrents caractéristiques des travaux qu'il va mener avec Arnaud Fougeras Lavergnolle, de 1983 à 1993. Intérêt affirmé pour ce qu'il est convenu d'appeler « l'architecture mobile », dans la lignée des travaux d'Archigram, recherche de flexibilité des espaces, conception de systèmes constructifs légers conçus pour être montés et démontés, ou de structures rétractables qui couvrent et découvrent les espaces. Ainsi la couverture de la salle de bains, perchée au dernier étage de la maison de Cuno Brullmann, glisse pour permettre de profiter d'un bain à ciel ouvert. Le toit vitré d'un centre de loisirs avec piscine et restaurants, situé à Levallois, est automatiquement rétractable en fonction des conditions atmosphériques. Ce projet très abouti, qui ne sera jamais construit – au grand regret de ses auteurs –, reste le projet fétiche de l'agence. Le système modulaire Canva, installé à la Cité des Sciences et de l'Industrie, à Paris, est développé pour répondre aux multiples exigences liées à l'exposition d'objets. Le procédé autorise des portées libres de 12 mètres et des superpositions de niveaux, avec intégration des ascenseurs et de tous les fluides. L'agence étudie aussi des programmes plus traditionnels, tels que l'extension de l'École spéciale d'architecture, dont la proue fait signal sur le boulevard Raspail à Paris, le centre commercial de Franconville, le Centre polytechnique Saint-Louis de Cergy-Pontoise... En 1987, au sortir d'UP 1, Jean-Luc Crochon rejoint l'agence B+FL comme chef de projet. Il a suivi l'enseignement d'Aymeric Zublena, dont il vante l'exigence autoritaire et formatrice. Cuno Brullmann, qui l'a remarqué à son diplôme, lui confie notamment la responsabilité du projet de parking Méditerranée, à la gare de Lyon, à Paris. La conception de ce parking renverse l'image lugubre souvent associée à ce type de programme : transparence totale des plateaux ; volume entièrement vitré pour les cheminements piétons verticaux, qui fait pénétrer la lumière naturelle jusqu'aux niveaux bas ; mur de lumière coupe-feu, dont les parois éclairées désignent clairement l'axe principal de circulation ; emploi d'une gradation de l'intensité lumineuse pour contribuer à l'orientation ; utilisation systématique de la signalétique signée, comme bien des projets de l'agence, de l'ami graphiste Jean Widmer ; couleurs claires du sol et des murs… En 1993, l'agence Brullmann-Fougeras Lavergnolle est au creux de la vague et les deux associés décident de se séparer. Jean-Luc Crochon part monter sa propre structure à Suresnes. Commence alors une période très formatrice pour le jeune architecte. Il devient consultant chez RFR Peter Rice, chargé du dessin des pièces de façades. C'est une plongée dans la culture du boulon, la familiarisation avec les secrets de la technologie de la construction mécanique, l'entrée dans l'échelle 1/1 et le détail grandeur. Il réalise pour son propre compte des projets d'aménagements intérieurs pour Air France, le Bureau des voyages de l'Assemblée nationale, qui le fait connaître, un petit ensemble de logements à Montreuil, une maison…
Une architecture humaniste
En 1998, les projets affluent à l'agence de Cuno Brullmann, très engagé par ailleurs dans ses fonctions de directeur d'un département d'architecture de l'école de Vienne. Il monte une association avec son jeune comparse dont il a pu apprécier l'esprit d'entreprise. Il partage avec lui la conviction qu'il faut privilégier la dimension perceptive et psychologique dans la création de l'environnement construit, donner ce qu'il faut d'air, de lumière, de nature pour assurer le confort, le bien-être, le sentiment de sécurité. L'agence a livré, en 2002, l'usine de microtechniques de Gals en Suisse (voir d'A n° 128, avril 2003), alors saluée par toute la presse. Aujourd'hui, elle se concentre sur d'importants projets hospitaliers et des bâtiments tertiaires. Avec, notamment, le dernier concours pour l'hôpital Avicenne de Bobigny ou la rénovation et l'extension de l'hôpital Foch, à Suresnes, où leur réponse décalée – plus architecturale et urbaine que technique – a séduit le jury. Dans une étude de 12 000 m2 de bureaux situés à Rungis, ils cherchent par ailleurs à faire évoluer l'espace de travail pour aller vers plus de transparence et de communication entre les différents plateaux.
Zone centrale et parking P5
de
l'aéroport de Nice
L'agence n'en est pas à son coup d'essai en matière de parking. Avec ceux de la gare de Lyon ou la Silic à Rungis, elle a déjà démontré que des principes simples d'éclairement, de dégagement et d'orientation assurent le confort et, par voie de conséquence, le sentiment de sécurité de l'automobiliste devenu piéton. Le programme de 2 900 places de parking à relier au terminal 2 de l'aéroport niçois pousse le concept plus loin encore. Les quatre niveaux, tous éclairés naturellement, sont entaillés de deux grands jardins plantés d'arbres en pleine terre. Ces ouvertures déterminent une taille relativement modeste de trois aires de parkings indépendantes. L'accès des voitures se fait au niveau 1, en montée par rampes directes, la sortie s'effectuant par le niveau supérieur à l'air libre. Il n'y a pas de sous-sol, on pénètre à pied dans les bâtiments par le rez-de-jardin. Les circulations verticales et horizontales des voitures, concentrées à l'ouest, sont totalement séparées de celles des piétons. Pour se rendre au terminal, ceux-ci se dirigent naturellement vers les jardins mis en valeur la nuit par des éclairages de lumière artificielle. Les thématiques contrastées des deux environnements végétaux, luxuriance des bambous ou ordonnancement plus hiératique des palmiers, participent activement à l'orientation du visiteur.
(Maîtrise d'ouvrage : CCI de Nice-Côte d'Azur - Maîtrise d'œuvre : Cuno Brullmann architectes, avec Thomas Krähenbühl, Éric Hugel, Daniel Durassier, Nicolas Kondracki, Nathalie Mercé-Laval, Philippe Normier, Amel Ounadi - Bureau d'ingénierie TCE : Sudequip - Bureau d'études espaces végétalisés : Sol Paysage - Bureau d'études signalétique : Visuel design - Bureau de contrôle : APAVE. OPC et SPS : SOMERCO - Surface : 70 500 m2 - Montant HT des travaux : 40 millions d'euros - Concours : 1998 - Chantier : 2000 à 2003)
Parking Silic
Réhabilitation de 1 500 places de parking, à Rungis, recoupées en cinq entités distinctes. (Cuno Brullmann Jean-Luc Crochon + Associés, 2001)
Canva
Système Canva, cité des Sciences de La Villette, à Paris.
(Cuno Brullmann-Arnaud Fougeras Lavergnolle, 1986)
Réhabilitation du centre commercial Chêne pointu, Clichy-sous-Bois
Le centre commercial du Chêne pointu, flanqué d'une tour d'habitation de dix étages, a été construit dans les années 70 par Bernard Zehrfuss. Ses façades aveugles, où rien ne filtre des activités intérieures, ne sont guère avenantes. Peu à peu délaissé, le « bunker » en vient à stigmatiser la déshérence de cette petite ville de banlieue, privée de métro et de centre, où vit une population paupérisée et fortement insécurisée. La réhabilitation en centre commercial de proximité est l'un des points forts du projet de rénovation urbaine. La municipalité mise sur l'animation engendrée par le commerce pour créer la centralité qui lui fait défaut. L'intervention architecturale clarifie l'organisation. Un seul niveau est dévolu à l'activité commerciale, deux accès sont maintenus et l'ensemble s'ouvre largement sur une nouvelle place par des rampes douces. L'espace intérieur s'articule autour d'une rue traversante, protégée par une couverture de méthacrylate supportée par des structures en forme d'arbres. Une peau de verre enveloppe les façades qui perdent de leur matérialité. Le grand geste de l'auvent d'entrée fait signal.
(Maître d'ouvrage : SEM Clichy-Montfermeil - Maîtrise d'œuvre : Cuno Brullmann architectes, avec Thomas Krähenbühl, Éric Vovos - Bureau d'ingénierie TCE : Séchaud et Bossuyt - Concours : 1998 - Chantier : 2000-2001 - AMO Chantier : CD Cités - Montant HT des travaux : 5 millions d'euros)
Piscine de Levallois Centre aquatique, Levallois-Perret
(Cuno Brullmann-Arnaud Fougeras Lavergnolle, 1992, non-construit)
Usine Gals Usine de microtechniques, Suisse.
(Cuno Brullmann Jean-Luc Crochon + Associés, 2002. Voir d'a-128)
60 logements avec bureaux intégrés, Vienne (Autriche)
L'immeuble, dont le chantier s'achève, est implanté dans le quartier Wienerberg dessiné par Massimiliano Fuksas. Il vient en avant de tours de bureaux et d'habitation, dont les belles tours jumelles que l'urbaniste ordonnateur vient de livrer. Il s'agit d'une opération expérimentale comprenant des logements couplés avec des cellules de travail librement associables et des surfaces d'activité aux niveaux inférieurs. Elle mêle appartements aidés en location et, dans les étages supérieurs, logements en accession. Sur une trame très régulière, les plans sont organisés librement. L'immeuble se décompose en quatre bandes. Dans la première, au nord, cohabitent des espaces de travail et d'habitation qui peuvent être reliés par des espaces tampons. La deuxième correspond aux espaces communs, c'est un lieu de rencontre baigné de lumière naturelle. La partie sud est dévolue à de petites unités d'habitation au plan très ouvert (une seule porte pour les toilettes), où l'espace se configure librement au moyen de meubles cloisons mobiles. La quatrième bande est celle des balcons devant lesquels glissent de grands panneaux d'aluminium perforés aux larges ondulations qui filtrent la lumière, tels des rideaux. Des panneaux solaires photovoltaïques forment auvents sur les terrasses des duplex des derniers niveaux.
(Maître d'ouvrage : Kallco construct bauplanungs und errichtungsges m.b.h - Maîtrise d'œuvre : Cuno Brullmann architectes, avec Leonhard Coreth, Michael Quixtner, Thomas Krähenbühl, Gilles Burst, François Emelina ; Architectes associés : Holodeck, Vienne (Marlies Breuss) - Ingénieurs structure : Ziviltechniker DI Juvarek & DI Schweiger. Acoustique : DI H.J. Dworak. Fluides : Zivilingenieurbüro Dr Schütz. Électricité : Büro Ing. Künzl - Projet lauréat d'un concours architecte-promoteur : 1999 - Chantier : 2002-2004 - Surface hors œuvre : 4 700 m2 - Montant HT des travaux : 5,5 millions d'euros)
Biographie
> 1945 : naissance de Cuno Brullmann.
> 1963 : naissance de Jean-Luc Crochon.
> 1977 : créataion de l'agence Cuno Brullmann. > 1983-1993 : association de Cuno Brullmann avec Arnaud Fougeras Lavergnolle au sein de B+FL SA
> 1992 : Jean-Luc Crochon monte sa propre agence à Suresnes.
> 1998 : création de Cuno Brullmann Jean-Luc Crochon + Associés.
> 2002 : livraison de l'usine de
microtechniques de Gals en Suisse, mention spéciale du prix AMO.
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Dernière livraison : parking P5
de l'aéroport de Nice
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