Culte et culture : Concours d’architecture pour la construction d’un ouvrage de protection du portail occidental de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 23/03/2021

Projet lauréat : Kengo Kuma

Article paru dans d'A n°288

Les édifices religieux sont-ils désormais plus des lieux de culture que de culte ? Voici un concours qui permet, entre autres, de réfléchir à la question.

Que se cache-t-il donc derrière ce concours ? Son intitulé très technique est conforté par son coût prévisionnel relativement modeste – 2 millions d’euros â€“ mais immédiatement démenti par le choix des maîtres d’œuvre en compétition. Parmi eux, en effet, un architecte japonais bénéficiant d’une reconnaissance internationale, un spécialiste de l’architecture militaire du XVIIe siècle, un membre de l’Académie des beaux-arts et deux lauréats du Grand Prix national de l’Architecture – l’un très porté sur la structure, l’autre sur les rapports entre architecture et cinéma.

Mais revenons à Angers et à sa cathédrale. Une élégante construction à une seule nef des XIIe et XIIIe siècles, placée sur une éminence dominant la Maine. Sur des bases romanes s’élancent en effet des voûtes d’ogives dont les croisées s’élèvent à plus de 3 mètres au-dessus des arcs formerets et doubleaux, une caractéristique du rare gothique angevin. Sur un plan très pur, fondé sur des carrés composant une croix latine, viennent se greffer des adjonctions que l’on dirait aujourd’hui kahniennes, comme le trésor, la sacristie et la chapelle. Quant à la façade, d’une finesse inhabituelle, elle s’élance vers le ciel, emportée par les flèches de ses deux clochers. Elle semble a priori très unitaire mais sa compacité lui est donnée par une tour centrale octogonale plus tardive, élevée au XVIe siècle sur la galerie des personnages datant de la même époque. Le portail monumental est remarquable par les sculptures de son tympan. La polychromie de celles-ci, très dégradée après la suppression au début du XIXe siècle de la galerie médiévale qui la protégeait, a retrouvé une partie de son éclat en 2009 après une campagne de restauration au cours de laquelle ont été notamment retirés les badigeons blancs dont elle avait été enduite au cours du temps. Le peu de documents concernant la galerie du XIIIe siècle, comme la dispersion de ses matériaux, rendant impossible toute velléité de reconstruction, la question d’une intervention contemporaine a donc été décidée, entraînant l’organisation de ce concours. 

SEUILS

La DRAC des Pays de Loire a ainsi prescrit la construction d’un ouvrage de protection de la sculpture et de ses couleurs fragiles. Un édicule garantissant l’œuvre en péril des intempéries mais correctement ventilé pour la prémunir aussi contre les sels contenus dans les pierres mêmes du portail et risquant de provoquer des cristallisations. Un ouvrage léger ne requérant pas de fondations profondes sur un sol composé de multiples strates archéologiques et ne devant en aucune façon s’appuyer sur la façade du monument historique, ni même la toucher.

Un bon exercice pour ces architectes émérites qui à travers la question de cette nouvelle entrée se sont interrogés sur ce que peut représenter une cathédrale aujourd’hui. Elle reste un édifice religieux pour Kengo Kuma qui propose un engawa, un entre-deux séparant le monde profane du monde sacré. Tandis que Pierre-Louis Faloci tend à la considérer comme un espace public en élaborant une série de filtres permettant de passer sans rupture du parvis extérieur à la nef sombre. Bernard Desmoulin érige une petite chapelle pour que puisse éternellement se remettre en scène la bénédiction du Christ polychrome, alors que Philippe Prost et Rudy Ricciotti font des propositions a priori plus techniques et assez semblables.

 

NARTHEX

Architecte  : Kengo Kuma (lauréat)

Est-ce parce qu’il est étranger ? Kengo Kuma a observé avec beaucoup de sérieux les rituels catholiques, qui pouvaient apparaître désuets à ses concurrents. Il semble s’engager dans la poursuite de ce projet patrimonial inachevé, comme s’il s’agissait de le terminer. Son adjonction vient ainsi occuper la totalité de l’emprise de l’ancienne galerie. Elle s’élève sur un plan formé de trois carrés pour offrir trois nouveaux porches très profonds composant un nouveau narthex. Ces arches formées par l’emboîtement de 13 archivoltes très fines – dont les lignes voudraient rappeler celles des drapés et des plissés de la statuaire gothique – s’avancent en V vers la place pour permettre l’encastrement de deux arcs latéraux rigoureusement identiques. L’assimilation à l’existant est encore renforcée par le choix du matériau, une pierre blanche proche du tuffeau angevin, sans en avoir la fragilité. Mais aussi par la géométrie : les trois arches plein cintre s’inscrivent parfaitement dans les tracés régulateurs qui ont présidé à travers les siècles au dessin de la façade.

Mais cette volonté d’intégration est immédiatement pondérée par un mouvement de désintégration. Marqué d’abord par la pierre, qui n’est pas brute mais renforcée par une armature en béton haute densité fixée à une structure métallique invisible. Un choix constructif qui rend possible de très faibles épaisseurs, en contradiction avec la nature même de ce matériau. Ainsi les porches, quand ils sont vus à 45°, se révèlent infra-minces comme s’ils formaient un origami posé devant l’édifice religieux. Une impression d’immatérialité corroborée par un dessin volontairement plus graphique qu’architectural : seuls quelques centimètres séparent les arcs de la partie haute de l’édicule qui ne présente aucune protection contre les coulures.

Ce petit édifice lisse d’apparence simple – presque art déco sans en avoir la lourdeur â€“ s’avère ainsi beaucoup plus profond et complexe. Il affirme sur plusieurs registres une chose et son contraire, comme s’il prenait soin de dénouer ce qu’il avait patiemment noué pour apparaître tout en disparaissant.

 

BALDAQUIN

Architecte  : Pierre-Louis Faloci

À l’opposé du précédent, Pierre-Louis Faloci reste totalement laïque et joue sans faux-semblant le contraste avec l’édifice religieux. Son adjonction exprime d’emblée la légèreté et l’apesanteur quand le monument historique affirme au contraire la massivité et la verticalité. C’est un plan libre composé de quatre piliers précieux qui, lancés aléatoirement dans l’espace, s’affinent à leur base et à leur sommet pour porter et suspendre une enveloppe composée de trois couches. D’abord un caillebotis de bois qui accorde une certaine intimité à cet abri. Puis une membrane de verre qui assure la protection contre les intempéries et, seule, descend jusqu’au sol. Enfin, un claustra composé d’éléments en fonte d’aluminium couleur bronze qui s’oppose à la blancheur de la pierre. C’est un baldaquin dressé devant la cathédrale et utilisant les matériaux adéquats pour définir la lumière juste capable de révéler les fragiles colorations de la sculpture, tout comme l’orgue du XVIIIe siècle suspendu en porte-à-faux de l’autre côté de l’entrée a trouvé dans le mélange de plomb et d’étain de ses tuyaux la matière capable de donner un souffle à l’édifice de pierre.

Mais c’est surtout un dispositif qui évite aux visiteurs d’être éblouis ou aveuglés en basculant brutalement de la lumière à l’ombre. Un système de filtres se substitue aux grandes portes qui resteront ouvertes – comme l’autorise le programme du concours â€“ pour les faire passer de manière fluide du parvis exposé vers la pénombre de la nef où ils pourront admirer les vitraux du XIIe siècle. Un agencement qui entretient des correspondances avec les écrans de papier et les caillebotis de bois mis en place par Kengo Kuma dans ses musées japonais, notamment dans le musée Hiroshige, pour entraîner le public de manière très fluide des vastes paysages extérieurs jaillissant dans la lumière vers leurs représentations fragiles plongées dans une ombre absolue.

 

THÉÂTRE

Architecte  : Bernard Desmoulin

Après le narthex et le baldaquin, c’est un objet à la fois précieux et énigmatique que Bernard Desmoulin place devant le portail de la cathédrale. Un édicule qui ressemble bizarrement à un entonnoir et se détache très nettement de la façade de l’église par un ruban de verre en porte-à-faux qui permet à la lumière naturelle de se frayer un chemin pour éclairer la sculpture. Cette composition plastique qui pourrait rappeler certaines installations en acier Corten de Richard Serra est recouverte de carreaux de fonte d’aluminium, un matériau déjà utilisé pour le pavillon d’entrée du musée de Cluny, livré à Paris en juillet 2018. À l’intérieur, les parois latérales qui s’ouvrent en V et le toit en pente forment un petit théâtre à caissons qui cadre avec une incertaine emphase le geste inaccoutumé de bénédiction du Christ, nimbé dans une hallucinante couleur bleue.

 

RELIQUAIRE

Architecte  : Philippe Prost

Philippe Prost s’est attaché à concevoir une protection qui affirme son caractère réversible pour ne pas interférer avec l’architecture pérenne de la cathédrale. Il vient poser sur le parvis un édicule dont la forme semble avoir été extrudée de l’ogive du portail. Une pièce d’orfèvrerie dans laquelle vient s’enchâsser comme une relique la sculpture fragile et précieuse. Sa coque extérieure poreuse laisse passer l’air et la lumière. Composée de béton fibré à ultra-haute performance, elle assure la stabilité et l’étanchéité de l’ensemble tout en se doublant, comme une veste, d’une membrane intérieure en albâtre chargée de diffuser uniformément la luminosité infiltrée. Un ensemble qui semble s’inspirer de ces vêtements en Gore-Tex, isolant tout en ventilant, pour produire et maintenir le milieu le plus favorable à la conservation de la sculpture polychrome.

 

INFRASTRUCTURE

Architecte  : Rudy Ricciotti

Acteur polymorphe, Rudy Ricciotti ne prend pas cette fois la posture christique du catholique exalté comme il l’avait fait pour de concours de Notre Dame du Laus, mais se drape dans celle de l’ingénieur suisse et calviniste. Sa proposition, qui se refuse a priori à toute symbolique et suit à la lettre l’énoncé de la commande, reste très proche de celle de Philippe Prost, tout en étant plus encore plus radicale. Des arches ogivales s’enchâssent les unes dans les autres comme pour une vulgaire canalisation et viennent s’ajuster au millimètre près au portail existant. Réalisées en BFUP, elles apportent la protection demandée contre le soleil, le vent et la pluie tout en restant des éléments légers, qui ne s’interposeront pas à la moindre velléité de fouille archéologique sous le parvis. Mais ce sont surtout des éléments structurels qui permettent une relecture critique de la cathédrale, appréhendée non comme un générateur d’ombre et de lumière colorée mais comme l’expression d’une pensée constructive ayant su utiliser les ressources technologiques les plus avancées de son temps.

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