Projet lauréat : Kengo Kuma |
Les édifices
religieux sont-ils désormais plus des lieux de culture que de culte ? Voici
un concours qui permet, entre autres, de réfléchir à la question. |
Que se cache-t-il donc
derrière ce concours ? Son intitulé très technique est conforté par son
coût prévisionnel relativement modeste – 2 millions d’euros – mais
immédiatement démenti par le choix des maîtres d’œuvre en compétition. Parmi
eux, en effet, un architecte japonais bénéficiant d’une reconnaissance
internationale, un spécialiste de l’architecture militaire du XVIIe siècle,
un membre de l’Académie des beaux-arts et deux lauréats du Grand Prix national
de l’Architecture – l’un très porté sur la structure, l’autre sur les
rapports entre architecture et cinéma.
Mais revenons à Angers et à sa cathédrale. Une élégante construction à une seule nef des XIIe et XIIIe siècles, placée sur une éminence dominant la Maine. Sur des bases romanes s’élancent en effet des voûtes d’ogives dont les croisées s’élèvent à plus de 3 mètres au-dessus des arcs formerets et doubleaux, une caractéristique du rare gothique angevin. Sur un plan très pur, fondé sur des carrés composant une croix latine, viennent se greffer des adjonctions que l’on dirait aujourd’hui kahniennes, comme le trésor, la sacristie et la chapelle. Quant à la façade, d’une finesse inhabituelle, elle s’élance vers le ciel, emportée par les flèches de ses deux clochers. Elle semble a priori très unitaire mais sa compacité lui est donnée par une tour centrale octogonale plus tardive, élevée au XVIe siècle sur la galerie des personnages datant de la même époque. Le portail monumental est remarquable par les sculptures de son tympan. La polychromie de celles-ci, très dégradée après la suppression au début du XIXe siècle de la galerie médiévale qui la protégeait, a retrouvé une partie de son éclat en 2009 après une campagne de restauration au cours de laquelle ont été notamment retirés les badigeons blancs dont elle avait été enduite au cours du temps. Le peu de documents concernant la galerie du XIIIe siècle, comme la dispersion de ses matériaux, rendant impossible toute velléité de reconstruction, la question d’une intervention contemporaine a donc été décidée, entraînant l’organisation de ce concours.
SEUILS
La DRAC des Pays de
Loire a ainsi prescrit la construction d’un ouvrage de protection de la sculpture
et de ses couleurs fragiles. Un édicule garantissant l’œuvre en péril des
intempéries mais correctement ventilé pour la prémunir aussi contre les sels
contenus dans les pierres mêmes du portail et risquant de provoquer des
cristallisations. Un ouvrage léger ne requérant pas de fondations profondes sur
un sol composé de multiples strates archéologiques et ne devant en aucune façon
s’appuyer sur la façade du monument historique, ni même la toucher.
Un bon exercice pour
ces architectes émérites qui à travers la question de cette nouvelle entrée se
sont interrogés sur ce que peut représenter une cathédrale aujourd’hui. Elle
reste un édifice religieux pour Kengo Kuma qui propose un engawa, un entre-deux séparant le monde profane du monde sacré. Tandis
que Pierre-Louis Faloci tend à la considérer comme un espace public en élaborant
une série de filtres permettant de passer sans rupture du parvis extérieur à la
nef sombre. Bernard
Desmoulin érige une petite chapelle pour que puisse éternellement se remettre
en scène la bénédiction du Christ polychrome, alors que Philippe Prost et Rudy
Ricciotti font des propositions a priori plus techniques et assez semblables.
NARTHEX
Architecte : Kengo
Kuma (lauréat)
Est-ce parce qu’il
est
étranger ? Kengo Kuma a observé
avec beaucoup de sérieux les rituels catholiques, qui pouvaient apparaître
désuets à ses concurrents. Il semble s’engager dans
la poursuite de ce projet patrimonial inachevé, comme s’il s’agissait de le
terminer. Son adjonction vient ainsi occuper la totalité de l’emprise de l’ancienne
galerie. Elle s’élève sur un plan formé de trois carrés pour offrir trois
nouveaux porches très profonds composant un nouveau narthex. Ces arches formées
par l’emboîtement de 13 archivoltes très fines – dont les lignes voudraient
rappeler celles des drapés et des plissés de la statuaire gothique – s’avancent
en V vers la place pour permettre l’encastrement de deux arcs latéraux
rigoureusement identiques. L’assimilation à l’existant est encore renforcée par
le choix du matériau, une pierre blanche proche du tuffeau angevin, sans en
avoir la fragilité. Mais aussi par la géométrie : les trois arches plein
cintre s’inscrivent parfaitement dans les tracés régulateurs qui ont présidé Ã
travers les siècles au dessin de la façade.
Mais cette volonté d’intégration est immédiatement
pondérée par un mouvement de désintégration. Marqué d’abord par la pierre, qui n’est
pas brute mais renforcée par une armature en béton haute densité fixée à une
structure métallique invisible. Un choix constructif qui rend possible de très
faibles épaisseurs, en contradiction avec la nature même de ce matériau. Ainsi
les porches, quand ils sont vus à 45°, se révèlent infra-minces comme s’ils formaient
un origami posé devant l’édifice religieux. Une impression d’immatérialité
corroborée par un dessin volontairement plus graphique qu’architectural :
seuls quelques centimètres séparent les arcs de la partie haute de l’édicule
qui ne présente aucune protection contre les coulures.
Ce petit édifice lisse d’apparence simple – presque
art déco sans en avoir la lourdeur – s’avère ainsi beaucoup plus profond
et complexe. Il affirme sur plusieurs registres une chose et son contraire, comme
s’il prenait soin de dénouer ce qu’il avait patiemment noué pour apparaître tout
en disparaissant.
BALDAQUIN
Architecte
: Pierre-Louis Faloci
À l’opposé du précédent, Pierre-Louis Faloci
reste totalement laïque et joue sans faux-semblant le contraste avec l’édifice religieux.
Son adjonction exprime d’emblée la légèreté et l’apesanteur quand le monument
historique affirme au contraire la massivité et la verticalité. C’est un plan
libre composé de quatre piliers précieux qui, lancés aléatoirement dans l’espace,
s’affinent à leur base et à leur sommet pour porter et suspendre une enveloppe composée
de trois couches. D’abord un caillebotis de bois qui accorde une certaine
intimité à cet abri. Puis une membrane de verre qui assure la protection contre
les intempéries et, seule, descend jusqu’au sol. Enfin, un claustra composé d’éléments
en fonte d’aluminium couleur bronze qui s’oppose à la blancheur de la pierre. C’est
un baldaquin dressé devant la cathédrale et utilisant les matériaux adéquats
pour définir la lumière juste capable de révéler les fragiles colorations de la
sculpture, tout comme l’orgue du XVIIIe siècle suspendu en
porte-à -faux de l’autre côté de l’entrée a trouvé dans le mélange de plomb et d’étain
de ses tuyaux la matière capable de donner un souffle à l’édifice de pierre.
Mais c’est surtout un dispositif qui évite aux
visiteurs d’être éblouis ou aveuglés en basculant brutalement de la lumière à l’ombre.
Un système de filtres se substitue aux grandes portes qui resteront ouvertes – comme
l’autorise le programme du concours – pour les faire passer de manière
fluide du parvis exposé vers la pénombre de la nef où ils pourront admirer les
vitraux du XIIe siècle. Un agencement qui entretient des
correspondances avec les écrans de papier et les caillebotis de bois mis en
place par Kengo Kuma dans ses musées japonais, notamment dans le musée
Hiroshige, pour entraîner le public de manière très fluide des vastes paysages
extérieurs jaillissant dans la lumière vers leurs représentations fragiles
plongées dans une ombre absolue.
THÉÂTRE
Architecte : Bernard Desmoulin
Après le narthex et le baldaquin, c’est un
objet à la fois précieux et énigmatique que Bernard Desmoulin place devant le
portail de la cathédrale. Un édicule qui ressemble bizarrement à un entonnoir
et se détache très nettement de la façade de l’église par un ruban de verre en
porte-à -faux qui permet à la lumière naturelle de se frayer un chemin pour
éclairer la sculpture. Cette composition plastique qui pourrait rappeler
certaines installations en acier Corten de Richard Serra est recouverte de carreaux
de fonte d’aluminium, un matériau déjà utilisé pour le pavillon d’entrée du musée
de Cluny, livré à Paris en juillet 2018. À l’intérieur, les parois latérales qui
s’ouvrent en V et le toit en pente forment un petit théâtre à caissons qui
cadre avec une incertaine emphase le geste inaccoutumé de bénédiction du
Christ, nimbé dans une hallucinante couleur bleue.
RELIQUAIRE
Architecte
: Philippe Prost
Philippe Prost s’est attaché à concevoir une
protection qui affirme son caractère réversible pour ne pas interférer avec l’architecture
pérenne de la cathédrale. Il vient poser sur le parvis un édicule dont la forme
semble avoir été extrudée de l’ogive du portail. Une pièce d’orfèvrerie dans laquelle
vient s’enchâsser comme une relique la sculpture fragile et précieuse. Sa coque
extérieure poreuse laisse passer l’air et la lumière. Composée de béton fibré Ã
ultra-haute performance, elle assure la stabilité et l’étanchéité de l’ensemble
tout en se doublant, comme une veste, d’une membrane intérieure en albâtre
chargée de diffuser uniformément la luminosité infiltrée. Un ensemble qui semble
s’inspirer de ces vêtements en Gore-Tex, isolant tout en ventilant, pour
produire et maintenir le milieu le plus favorable à la conservation de la
sculpture polychrome.
INFRASTRUCTURE
Architecte
: Rudy Ricciotti
Acteur polymorphe, Rudy Ricciotti ne prend pas cette
fois la posture christique du catholique exalté comme il l’avait fait pour de
concours de Notre Dame du Laus, mais se drape dans celle de l’ingénieur suisse
et calviniste. Sa proposition, qui se refuse a priori à toute symbolique et
suit à la lettre l’énoncé de la commande, reste très proche de celle de
Philippe Prost, tout en étant plus encore plus radicale. Des arches ogivales s’enchâssent
les unes dans les autres comme pour une vulgaire canalisation et viennent s’ajuster
au millimètre près au portail existant. Réalisées en BFUP, elles apportent la protection
demandée contre le soleil, le vent et la pluie tout en restant des éléments
légers, qui ne s’interposeront pas à la moindre velléité de fouille archéologique
sous le parvis. Mais ce sont surtout des éléments structurels qui permettent
une relecture critique de la cathédrale, appréhendée non comme un générateur d’ombre
et de lumière colorée mais comme l’expression d’une pensée constructive ayant
su utiliser les ressources technologiques les plus avancées de son temps.
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