Corinne Vezzoni & Pascal Laporte - Le travail sur l’intériorité pour mieux voir au dehors…

Rédigé par Françoise ARNOLD
Publié le 01/08/2003

Portrait © Favret/Manez

Article paru dans d'A n°131

Depuis Marseille, le duo Vezzoni-Laporte conçoit des projets, de Vence à Montpellier. Ouvert à toutes les influences, leur travail leur a permis d'accéder à une dimension nationale.

Le chauffeur de taxi a dit : « Ah ! vous allez à "Corbusier"… » quand je lui ai donné l'adresse du boulevard Michelet. L'agence Corinne Vezzoni et associés est en effet installée dans l'unité d'habitation. Elle occupe un logement familial, et celui-ci n'a, pour ainsi dire, pas été touché, hormis la discrète installation de quelques panneaux de rangement en médium dans la salle à manger. « L'espace ouvert convient bien à une agence. Ce bâtiment nous nourrit », disent les architectes. Ils sont deux associés : Corinne Vezzoni et Pascal Laporte. Au début, l'agence a porté leurs deux noms. Il y a trois ans, lorsqu'ils ont fait évoluer les statuts en société, Pascal a choisi de rester dans l'ombre. Il dit se méfier de la « tradition de l'ego de l'architecte », et préfère la vision nord-américaine qui valorise la pérennité de la structure. En faisant ce choix, il a également voulu signifier l'ouverture, à terme, de l'agence aux salariés, pour élargir l'association. Sa configuration actuelle - celle d'un couple à la scène mais pas à la ville - est en tout cas convaincante : Corinne Vezzoni reconnaît préférer le stade du jaillissement des idées à celui du long et patient travail de mise au point ; Pascal Laporte, plus théoricien, se dit plus à l'aise dans la durée. La réalité est un travail de conception partagé, ce n'est pas « chacun ses projets, précisent-ils. L'un prend le dessus selon les cas et les étapes, mais, quoi qu'il en soit, on tient toujours compte de l'avis de l'autre ». Depuis trois ou quatre ans, ils ont stabilisé l'agence autour de neuf / dix personnes (eux compris). Dans le contexte marseillais qui a été longtemps fermé aux jeunes architectes, où la Ville est un donneur d'ordres faible, ils font partie de la poignée de jeunes professionnels qui ont émergé au cours des années quatre-vingt-dix et conquis leur droit à exister en prenant d'assaut le syndicat de l'architecture, derrière André Jollivet, une figure marseillaise. Ils font partie de ceux qui réussissent à construire, devrait-on dire, même s'il leur a fallu, jusqu'à présent, sortir de Marseille même. Leurs opérations émanent à 98 % de la commande publique car, venus tous deux « d'ailleurs » (Corinne de Casablanca, au Maroc, et Pascal de la région parisienne), elle a pallié l'absence de réseau relationnel. Cette situation a sans doute été leur chance, compte tenu de la faible qualité architecturale des bâtiments issus du privé ; ce qu'ils n'ont pas forcément l'air de réaliser. La structure est aujourd'hui en train de passer un cap, après avoir été invitée à participer à des concours nationaux, comme celui des archives diplomatiques et du service de la valise, pour le ministère des Affaires étrangères, à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), ou du lycée français du Caire, mais aussi avec la livraison des 11 000 mètres carrés du lycée de Vence et la construction des 27 000 mètres carrés des archives et de la bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône. L'annonce de leur victoire à ce concours, en 2001, a été saluée par leurs confrères comme une reconnaissance par la commande publique de la valeur des agences marseillaises. Euromed distille en effet la commande aux locaux, et se comporte largement comme une enclave parisienne… Vivant à Marseille, ils baignent dans l'atmosphère de leur ville où les bâtiments modernes de l'après-guerre tiennent lieux de patrimoine, tant la cité phocéenne s'est employée à détruire ceux du XIXe siècle et de la première moitié du XXe. Vezzoni et Laporte déplorent que la dimension programmatique tende de plus en plus à être remplacée par l'expression artistique. Membres de jurys de concours, ils militent pour que l'on continue à donner du travail aux « anciens » plutôt que de céder au jeunisme… Il est vrai que les « vieux » leur ont fait un joli cadeau à leurs débuts : l'architecte Mario Fabre, qui a réalisé de gros projets privés à Marseille dans les années soixante-dix, souhaitait s'associer, à la fin des années quatre-vingt, avec de jeunes équipes, pour peu à peu passer la main (un peu dans la tradition du mandarinat). Sur les conseils de Raymond Perrachon, alors un des enseignants phares de l'école de Marseille-Luminy (aujourd'hui à la retraite), il choisit quelques jeunes équipes, dont Vezzoni-Laporte, un tandem qui, tout en n'étant ni du même âge ni dans la même année d'études, avait pris l'habitude de travailler côte à côte, puis ensemble, dans une petite salle de la cité universitaire. Le concours fut gagné ; il a été suivi par un deuxième… Un duo de plus en plus sensible à la mode Modernes dans l'âme, ils se sont montrés plutôt « après-modernes » dans leur production, dans la mesure où le contexte est un élément déterminant de leur travail. Ils se saisissent du projet d'architecture pour établir un micro-projet urbain et révéler le paysage. Ils travaillent également sur l'espace public : après des restructurations de cités et des interventions sur des places de villages, ils planchent actuellement sur le tramway de Marseille, aux côtés du designer Charlie Bové et du paysagiste Alfred Peter. Ils ne sont pas insensibles à la mode – de moins en moins assurent-ils -, comme en témoignent les verres travaillés, sérigraphiés ou acidés, avec inclusion de tissu blanc, comme celui qu'ils projettent sur les archives, ou d'aiguilles de pins comme pour l'aéroport de Marignane, où il leur faut relever le défi de relier les bâtiments de Pouillon et de Rodgers.

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Archives et bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône (2000)

Le projet se situe sur le territoire d'Euroméditerranée, à proximité des ports, inscrit entre deux voies rapides. Le concours proposait deux terrains et deux programmes distincts ; les architectes ont superposé ces derniers, allant au maximum de la hauteur autorisée. Ce choix a permis de dégager un parvis latéral, et surtout un jardin, bienvenu dans ce secteur très minéral. L'équipement se présente comme un gigantesque caillou, apparaissant en ombre chinoise derrière une façade laiteuse et émergeant en toiture. Il est en béton poli teinté dans la masse en rouge-brun, et abrite 80 kilomètres d'archives, soit un stock presque aussi important que celui de la BNF, son opacité permettant de contrôler l'hygrométrie des locaux. À l'intérieur, autour de ce volume, se trouvent une salle d'exposition, une salle de lecture orientée au nord et des bureaux. L'effet laiteux des façades est obtenu par l'inclusion d'une toile entre deux vitrages, avec la volonté d'évoquer les paquebots tout proches. (Maître d'ouvrage : Département 13. Bet : OTH. Paysagiste : Hydrap).


Entrepôts Chiri (2000)

Après le siège social en 1991, l'agence a livré, en 2000, un entrepôt de 1 500 mètres carrés pour cette même entreprise spécialisée dans la fabrication et la pose d'éléments en aluminium. Celui-ci a été conçu pour mettre en scène son savoir-faire. L'ossature est métallique et l'enveloppe constituée de clins d'acier rivetés, dont la mise en œuvre, particulièrement délicate en termes d'étanchéité, a été réalisée sans volonté démonstrative ; seuls ceux qui connaissent le travail du métal, mesurent la performance accomplie. De petits carrés vitrés fixes, aux menuiseries invisibles, sont disposés de manière aléatoire sur les façades, évoquant un carton d'orgue de barbarie, sauf lorsqu'ils composent le nom de l'entreprise en grandes lettres, ce qui permet de se passer d'enseigne. À l'intérieur, les bureaux sont organisés de part et d'autre d'un puits de lumière longiligne, à la fois pour bénéficier de cet apport lumineux et pour mettre en place des traversée visuelles.


Lycée de la Montagne, Valdeblore (Alpes-Maritimes, 2002).

Ici, dans la vallée de la Vésubie, au-dessus de Nice, le site est exceptionnel. Les architectes sentent qu'il faut avant tout s'y adapter, le mettre en scène. Ce concours, malheureusement perdu, marque une étape dans leur réflexion, en les conduisant à développer le thème de l'intériorité, et à travailler de manière très fine sur le calage au sol et l'altimétrie.


Lycée de Vence (1999)

Le bâtiment se cale dans la topographie pour préserver l'ambiance encore largement dominante de belles maisons début de siècle. Il s'encastre dans la pente, reconduit un parcours transversal préexistant au travers d'une pinède, puis installe une grande cour en creux, dans la coupe. Le piéton est, quant à lui, invité à suivre un parcours très scénographié : il emprunte tout d'abord une belle allée rectiligne en béton, striée de lais de brique, celle-ci faisant écho aux jardins de la Riviera. Elle est aussi bordée, d'un côté, par un alignement de palmiers, et ouverte sur une terrasse en brique qui fait office de cour avant. On pénètre alors dans le bâtiment par sa partie haute, avant de gagner la cour en creux, où l'on retrouve l'alignement de palmiers. Magnifiquement dessiné dans sa géométrie, le bâtiment souffre d'une très mauvaise mise en œuvre, dont la « traçabilité » est emblématique de difficultés particulièrement aiguës en région Paca : budgets rognés par la non-prise en compte du retournement de conjoncture économique - encore aggravé par les contraintes non budgétisées du label HQE et par la générosité des espaces collectifs -, et qui a conduit, par exemple, à remplacer le lait de chaux des façades par un enduit bas de gamme ; délais de conception trop courts pour affiner les détails constructifs ; déqualification et mauvaise volonté de certaines entreprises ; course contre la montre pour livrer le bâtiment pour la rentrée des classes, qui a interdit de faire casser les ouvrages et refuser leur réception. Autant de difficultés dont les architectes tirent aujourd'hui les leçons dans la conduite du chantier des archives. (Maître d'ouvrage : Région Paca / Semader.)


Biographie

> 1957, 1963 : naissances à Paris et Casablanca.

> 1979 : diplôme des arts appliqués pour Pascal Laporte.

> 1986, 1987 : diplômes DPLG.

> 1988 : livraison du premier bâtiment, le lycée Blaise Pascal, à Marseille, avec Mario Fabre.

> 1990 : création de l'agence Vezzoni-Laporte.

> 1991 : « 40 architectes de moins de 40 ans » / province à l'Ifa.

> 2000 : ils remportent le concours pour l'extension de l'aéroport international de Marseille-Marignane.

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