BAUKUNST, vue du projet lauréat |
Sous la dalle de La Défense, les parkings, les
zones techniques comme les tunnels du RER A et ceux de l’A14 et de ses
affluents ne s’organisent pas vraiment rationnellement et ont laissé entre eux
des centaines de mètres carrés d’espaces interstitiels non utilisés
et à peine accessibles. Paris La Défense s’est donc tourné vers cinq
équipes internationales pour repenser de fond en comble cette dalle qui
continue de diffuser les promesses des années 1950, malgré le large dépassement
de leur date de péremption. |
La dalle de La Défense a permis la réalisation d’un sol totalement libre, sans circulation automobile ni commerce, sans trottoir ni banc. Elle a réalisé ainsi l’utopie d’une surface abstraite n’obéissant aux tracés d’aucune rue ni d’aucune place et uniquement ponctuée par les flux des employés sortant le matin des bouches d’accès aux parkings et aux transports en commun pour rejoindre leur bureau avant de refaire, le soir, le parcours inverse pour rentrer chez eux. Une surface sur laquelle se dressent aléatoirement les gratte-ciel de verre et d’acier placés de part et d’autre d’une zone non ædificandi qui poursuit à plusieurs kilomètres de distance l’axe historique de Paris. Ce plan surélevé du sol réel – pour intégrer au-dessous de lui les infrastructures de dessertes bruyantes et polluantes – est tatoué et scarifié de multiples interventions déplaçant le rapport de l’art à l’architecture. Ainsi le plan d’eau « op art » composé de segments colorés de Yaacov Agam ou celui de Takis ponctué d’étranges sémaphores, tout comme les sculptures – notamment le stabile de Calder et les silhouettes colorées de Miró – ne soulignent pas l’espace urbain comme le faisait la statuaire classique mais renforcent simplement la planéité de l’ensemble de l’esplanade. Tandis que, plus à l’ouest, devant l’Arche de Spreckelsen, le parvis quadrillé renvoie aussi bien aux Supersurfaces de Superstudio qu’à la Grosse Strasse d’Albert Speer à Nuremberg.
Une scénographie implacable où tout
élément contingent a été éradiqué, soutenu par le cycle quotidien de la lumière
solaire. Ses rais glissent, dans la journée, à travers les interstices des alignements
de hauts prismes vitrés, proches parfois jusqu’à se toucher, pour mieux
révéler, le soir à contrejour, la skyline de cette île de béton. Un espace activé
par les grands mouvements de foule qui semblent chorégraphiés par Meyerhold ou
ironiquement filmés par Jacques Tati…
Un monde très pictural et sculptural dans
lequel la ville de tous les jours regagne peu à peu ses droits. De nouveaux
modes de transport – bicyclettes et trottinettes – font leur
apparition en surface pour concurrencer les circulations piétonnes et des foodtrucks
viennent ponctuellement y créer des pôles d’attraction éphémères. Tandis qu’en
sous-sol les voies des Sculpteurs et des Constructeurs, connectées à l’A14 et
strictement réservées aux livraisons et aux taxis, sont de plus en plus utilisées
par les piétons qui les empruntent pour se protéger du vent et de la pluie. Une
reconquête largement soutenue et favorisée par les édiles qui ont déjà mis des
espaces verts à la disposition du public et surtout qui, en plusieurs endroits,
ont déjà cherché à inséminer des activités dans l’épiderme de la dalle :
des restaurants – Table Square notamment –, à proximité de la fontaine
d’Agam, et des espaces de coworking – comme Comsquare – devant la
place basse.
Voyage au centre de la terre
Mais essayons de décrire les territoires
souterrains – étendus sur une bande de 350 mètres de long et de 80 mètres
de large – que Paris La Défense cherche à coloniser pour amplifier
cette nouvelle animation du quartier par son sol. Un sol qui s’affirmera avec
ses nouvelles porosités comme une « sixième façade », après les
toitures qui selon Le Corbusier en sont les cinquièmes.
À
l’est, les réserves du Fonds national d’art contemporain, qui devraient libérer
les lieux en 2022. Des salles d’exposition et de stockage – partiellement
éclairées par la boîte de verre marquant l’entrée de l’institution –
s’alignent sans y être connectées, le long de la voie des Sculpteurs, qui
n’entre pas dans le périmètre de l’opération. Puis l’Atelier Moretti qui
s’enfonce à plus de 17 mètres dans les profondeurs. Un espace qui jouxte la
« Cathédrale » : une haute faille sculptée par la courbure d’un
tunnel de l’A14 et creusée à l’une de ses extrémités par un décaissé qui en
fait un amphithéâtre naturel. Ce grand vide s’étend sous la place de La Défense,
le square en contrebas conçu pour accueillir jusqu’en 2017 le bronze de Louis-Ernest Barrias La Défense
de Paris (1883), qui a donné son nom au quartier d’affaires. Enfin Ã
l’extrémité ouest, enfouis sous les quatre couches du parking central, s’étendent
les « Bassins », une nappe partitionnée par de hautes poutres retroussées
disposées à même son sol.
Tous ces vides sombres vibrent et
bruissent en suivant le rythme pulsatoire de la circulation automobile qui
alimente le quartier. Ils composent
une succession d’espaces oniriques qui ne sont pas sans rappeler les découvertes du professeur Lidenbrock
dans Voyage au centre de la Terre. Le héros du roman de Jules Verne traverse
en effet une mer et des forêts souterraines occupées par des animaux
préhistoriques auxquels sait répondre Le Monstre de Raymond Moretti,
l’installation proliférante qui gît toujours au fond de son puits.
Les équipes en lice ont chacune
développé une des caractéristiques de ce site. Leurs projets constituent un
apport non négligeable à la réflexion sur les stratégies de recyclage des
espaces résiduels qui hantent les sous-sols de nos villes et qui constituent
autant de gisements à exploiter pour établir les règles d’un urbanisme plus
dense et plus vertueux.
MOBILITÉ
Architectes : Baukunst (Adrien
Verschuere) Bruxelles, lauréat
Urbanistes : AWP
Programmistes : Attitudes Urbaines
Paysagistes : Catherine Mosbach & Zefco
BET :
SETEC (fluides & économie), GREISCH (structure), Studio DAP (acoustique)
& Licht Kunst Licht (lumière)
« Mobilité »
est sans doute le mot-clé – qui se conjugue sur plusieurs échelles –
pour entrer dans le projet d’Adrien Verschuere. Ainsi la structure qui
maintient la dalle est-elle nettoyée de ses cloisonnements, et des interventions
chirurgicales très ciblées permettent de relier les espaces interstitiels hétéroclites
autour d’un parcours structurant. Un cheminement linéaire qui part naturellement
à l’est de la place basse s’ouvre sur la place de la Statue avant de se scinder
pour rejoindre d’un côté les bassins, de l’autre, la gare centrale située sous
le parvis de la Grande Arche.
Une
traversée qui sait employer à bon escient les escalators et les passerelles, les
ascenseurs et les plateformes mobiles. Un arsenal de prothèses qui protège les corps
plongés dans ce continuum de nappes, de failles et de puits piranésiens tout en
maximalisant leurs impressions sensorielles.
La création
de ce parcours souterrain induit des émergences qui permettent d’assurer l’interface
entre le monde du dessous et celui du dessus. D’abord, une grande promenade circulaire
vient flotter sur le vide de la place de la Statue pour permettre l’accès
direct aux principaux espaces : l’Atelier Moretti, la Cathédrale et les salles
du FNAC. Une figure simple et évidente qui aurait pu être dessinée par Ellsworth
Kelly et qui entre en résonance avec les interventions d’artistes qui
scarifient la dalle – comme la fontaine d’Agam ou le stabile de Calder –
tout en interpellant les grands volumes emblématiques du quartier : le cube
de l’Arche et la voûte du CNIT. Ensuite le pavillon Agam se dresse en bordure de la fontaine, une élégante lame métallique qui cache
les locaux techniques nécessaires à la ventilation des sous-sols. Puis les
prises de lumière s’égaient alentour et une tonnelle, « l’allée des Platanes »,
découpe la dalle pour apporter des cascades de lumière et de végétation aux
espaces du FNAC.
L’anneau en
suspension nous invite à une véritable traversée du miroir. À la lumière
aveuglante succède celle filtrée des puits et des patios qui creusent la dalle ainsi
que les possibilités promises par l’éclairage artificiel. Au jardin classique
dessiné par Dan Kiley dans les années 1960 répondent les interstices
inutilisables qui seront saturés de végétation, tandis qu’aux sculptures objets
qui scandent la surface s’oppose l’œuvre informe et en perpétuel devenir de Raymond
Moretti. Une Å“uvre processus qui va donner le la de la programmation des
espaces. Une programmation évolutive qui mettra d’abord en scène le chantier de
la réhabilitation, avant de s’ouvrir aux demandes labiles des usagers, tout en
pouvant offrir des supports d’activité adaptés aux lieux, comme des murs
d’escalade et d’autres parcours de sports urbains.
STRUCTURE
Architectes : Kaan Architecten (Rotterdam, São Paulo, Paris)
Conseil : Virginie Picon-Lefebvre
Programmiste : Orénoque
BET :
Bollinger+Grohmann (structure), INEX (fluides), CDS (accessibilité), VPEAS (économie),
Méta (acoustique)
L’équipe
réunie autour de Kees Kaan a cherché à donner rétroactivement à cet amas
d’espaces mal connectés et mal proportionnés, surgis du hasard et de la nécessité,
toute la cohérence d’un acte prémédité.
C’est sur
la structure qui soutient la dalle que les architectes se sont appuyés pour
trouver le dénominateur commun à ce bestiaire de vides en tout genre. Celle-ci
garde en effet une grande lisibilité : des portiques aux colonnes ou aux
piles massives déterminent des travées d’une vingtaine de mètres, régulièrement
scandées par les nervures qui portent la dalle. Ces éléments, parfois très
délabrés, seront ragréés pour apparaître comme neufs dans toute leur puissance
cyclopéenne. Tandis que les cloisonnements seront déposés, les murs en
parpaings enduits d’une couche de béton projeté et les sols recouverts de
nouvelles chapes lissées à l’hélicoptère. Dans cette ossature transfigurée, des
adjonctions en béton rouge, teintées dans la masse, rendront compte des
nouvelles affectations des lieux. Les deux niveaux de la cathédrale sont ainsi
reliés par des gradins de manière à pouvoir accueillir des spectacles, même
stratégie pour les bassins qui accueilleront des salles de sport. Tandis que l’Atelier
Moretti pourra recevoir d’autres installations d’artistes.
Quant aux
anciens locaux du FNAC, ils se vitreront et s’ouvriront largement sur la rue
des Sculpteurs, transformée en voie piétonne. La couverture de cette voie,
découpée par de multiples trémies, lui apportera de la lumière naturelle et des
vues sur le ciel. Des édicules sortiront du sol à plusieurs reprises pour
desservir les espaces réhabilités, notamment la place de la Cathédrale, située
sous la place de La Défense. Tandis que, hors des limites de l’opération,
les quatre niveaux du parking central seront transformés dans une phase
ultérieure. Débarrassés d’un plancher sur deux et creusés d’un patio descendant
jusqu’aux bassins, ils se métamorphoseront en centre commercial pour connecter
directement les nouveaux espaces reconquis à la gare centrale.
OMBRE
Architectes : Tezuka Architects (Tokyo) + Ciel Rouge
Création (Tokyo, Paris, Marseille)
Paysagistes : Paju Landscape
Programmistes : Embase, Sport Management
Conseil
BET : Pacte Ingénierie (structure, fluide, thermique), Vanguard (économie),
CSD (accessibilité)
Ce n’est
pas la mobilité, ni le béton, comme dans les propositions précédentes, mais
l’ombre qui constitue la véritable matière première du projet de l’équipe
japonaise. Une ombre dont l’importance est d’emblée révélée par la
programmation : des activités liées au numérique nécessitant des écrans et
des projections qui fuient la lumière naturelle pour la considérer comme une
nuisance. Un numérique qui contamine de nombreux domaines : les arts, les loisirs et
les sports. Ainsi Le Monstre de Moretti – avec ses ombres
peintes – est-il considéré comme une œuvre annonciatrice de l’art immersif
auquel sera consacré l’atelier de l’artiste ainsi que locaux laissés vacants
par le départ du FNAC. Les concerts et leurs projections viendront coloniser la
Cathédrale, ainsi que le e-sport et le sport connecté ; tandis que les Bassins
seront plutôt réservés aux sports urbains, notamment le skateboard.
Ces
activités sont desservies par une rue centrale délimitée par des commerces, et
qui serpente à travers les vides hétérogènes. Un dispositif qui invoque les
bazars orientaux et fédère ce chapelet de cavernes pour le relier à l’est à la station de la ligne 1
« Esplanade de La Défense » et à l’ouest à la grande gare
centrale, avec à mi-parcours une grande ouverture sur la place la Statue. Un dispositif
rhizomatique appelé à se complexifier pour se connecter aux lobbies des tours
voisines afin de se constituer comme un grand centre de loisir où les employés
pourront venir se détendre et se distraire dans la journée, lors de leurs
pauses, ou le soir avant de rentrer chez eux.
En surface,
une trame aléatoire de hautes cheminées végétales – inspirées des tours Ã
vent iraniennes – permet de ventiler et de climatiser les sous-sols, l’air
entrant pouvant être rafraîchi par des bassins. Elles traversent la dalle et
témoignent la nuit, comme des phares, de l’intensité des activités
souterraines.
POTENTIALITÉ
Architectes :
Lacaton & Vassal + Dadour de Pous
Architecture
Paysagistes :
360
BET :
Bollinger+Grohmann (structure), INEX (fluides), BMF (économie), CSD (accessibilité),
ATMOS lab (HQE), Gui Jourdan (acoustique)
Anne
Lacaton et Jean-Philippe Vassal se retournent d’abord vers la maîtrise
d’ouvrage pour questionner le bien-fondé de sa demande. Ces espaces délaissés
ne sont-ils pas fascinants parce qu’ils n’obéissent à aucune rationalité et
qu’ils échappent à toute rentabilité ? Dans un contexte où chaque
construction est parfaitement préméditée et où le moindre mètre carré de
plancher vaut de l’or.
Ils se
proposent ainsi de préserver les qualités de ces entre-deux résiduels et de les
conserver comme ces grottes préhistoriques que l’on découvre périodiquement et
qui ne peuvent résister à trop grande ouverture au public et à la lumière. Le protocole présenté est simple :
d’abord libérer ces espaces de leurs cloisonnements intempestifs
tout en les laissant le plus possible en l’état pour leur permettre de
conquérir une ampleur sans pour autant changer de nature. Puis, renforcer leur existence
singulière en accordant à chacun un accès particulier. Des puits de mine
carrés, de 8 mètres par 8 mètres, traversent ainsi la dalle et
parfois les couches supérieures affectées à d’autres usages pour les desservir.
Dans ces vides porteurs d’air et de lumière se glissent les escaliers et les
rampes PMR, les ascenseurs et les monte-charges permettant à un public réduit
d’accéder à ces nappes enterrées parfois à plusieurs mètres de la surface.
Ces
différents espaces reçoivent ensuite chacun une coloration programmatique. Les
bassins peuvent ainsi accueillir des bains et être investis d’une masse d’eau
chaude recouverte d’un nuage de buée, la Cathédrale peut s’ouvrir à des
concerts et à des expériences musicales, tandis que l’Atelier Moretti conserve
sa sculpture et les locaux du FNAC se destinent aux expositions. Mais cette
programmation reste provisoire et labile pour que ces interstices puissent
rester avant tout des espaces des possibles, des lieux potentiels.
Enfin
l’équipe, fidèle à sa légende, propose de réhabiliter la totalité des volumes
pour le prix destiné à la phase de préfiguration, soit 12 millions d’euros.
Un budget très serré restant pour elle le verrou le plus sûr pour éviter la
dénaturation de ces vides secrets et cachés porteurs de multiples promesses.
ARCHITECTURE
Architectes : Tuñón & Ruckstuhl architects + Monsieur Vilo Bach Architecture
Programmiste :
C-oS
Conception
d’événements artistiques et culturels : ARTER
BET : Edeis
(structure, fluide), VPEAS (économie)
Sans doute la proposition la plus plastique. Son dispositif d’entrée est très spectaculaire et sait répondre
pertinemment au disque en lévitation marquant l’accès à la tour EDF de Ieoh Ming Pei.
Une longue rampe en hélice s’enroule ainsi autour d’un bassin circulaire posé sur
le sol de la place de la Statue. Tandis qu’un escalier hélicoïdal vient s’y inscrire
et traverse le plan d’eau pour desservir directement les espaces souterrains.
LÃ , le parcours
se poursuit et se connecte à une grande galerie publique linéaire, très
dessinée et même siglée : elle est fermée latéralement par des panneaux rectangulaires
alternativement blancs et transparents, la signature d’Emilio Tuñón. À l’ouest, ce passage s’enfonce
à travers la cathédrale, dont il surplombe les fosses où art et information se
conjuguent pour définir un « territoire apprenant ». Il s’achève par un
faisceau de circulations verticales montant vers la surface et descendant vers
les bassins où une végétation souterraine stagne dans l’ombre. À l’est, le
passage remonte vers l’Atelier Moretti et traverse le plateau du FNAC pour rejoindre
la place basse. Dans ce dernier segment désormais dédié à la musique un
auditorium vient habilement se glisser entre les piles de la lourde
structure en béton.
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