Architecte : Carl Fredrik Svenstedt Rédigé par Jean-François CAILLE Publié le 04/10/2019 |
À Tain-l’Hermitage, avec la construction d’un nouvel ensemble vitivinicole sur les bords du Rhône, Carl Fredrik Svenstedt poursuit le travail sur l’utilisation de la pierre massive qu’il avait entamé avec la maison de Saint-Philibert dans le Luberon et le chai des domaines Ott au château de Selle, à Taradeau dans le Var. Toujours en quête de techniques innovantes et de modénatures contemporaines pour valoriser un matériau millénaire et naturel, il travaille ici, comme au château de Selle, avec le calcaire coquillier des carrières d’Estaillade et de Fontvieille, dessinant un mur ondulant qui rappelle, toutes proportions gardées, le motif de la cimaise de bouleau de l’espace de réception du chai Ott. Cet imposant voile de pierre devient l’emblème du nouveau chai.
La petite cité de Tain-l’Hermitage se glisse entre un méandre du Rhône et des coteaux granitiques portant les vignobles. Bordée par l’autoroute du Sud, elle est traversée par une voie ferrée et par la nationale 7, aujourd’hui bien calme. L’extension de la ville a toujours été contrainte à la fois par le relief et par la sauvegarde de précieuses terres agricoles. Si la décision d’exploiter un chai moderne et performant en cœur de ville peut paraître surprenante aujourd’hui, les contraintes d’espace et de géographie n’ont cependant pas été les seuls paramètres présidant à cette localisation. Une situation privilégiée le long des grandes voies historiques de communication – ici l’axe antique de la via Agrippa –, la présence d’un nouveau port dédié aux navires de tourisme qui vient s’établir sur le fleuve et la notoriété croissante du terroir offrent une opportunité remarquable d’apporter au projet une forte dimension œnotouristique. C’est pourquoi le site de production proprement dit vient s’enrichir de bâtiments destinés à l’accueil du public : un caveau de dégustation complète l’hôtel particulier existant, dont la fonction domestique est conservée, et qui devient un lieu de réception et une maison d’hôtes réservée aux amateurs de grands crus.
Avec ce projet pour la maison Delas Frères, l’un des grands noms de Tain-l’Hermitage, Carl Fredrik Svenstedt réinvestit un enclos urbain occupé par un précédent domaine. Un hôtel particulier quelque peu délabré y domine un jardin clos de murs, et les anciens bâtiments du chai, trop vétustes et peu adaptés aux nouvelles pratiques de production sont démolis. Le projet s’organise autour d’un jardin dont le dessin est confié à Christophe Ponceau et Mélanie Drevet ; sur la rue, le mur de clôture prend discrètement de l’épaisseur pour accueillir le caveau de vente et de dégustation, un espace linéaire et sobre, bâti en pierres porteuses de Fontvieille ; dans la cour, les arbres existants, des marronniers ainsi qu’un ginkgo remarquable, sont conservés et viennent ombrer cet espace central bordé de noues pluviales végétalisées. Face à la colonnade de pierres dorées du caveau s’élèvent les courbes d’un long et imposant rideau de pierres qui dissimule le chai proprement dit. Ce voile ondulant de calcaire blond, haut de 7,6 mètres, dont le rythme vertical caractérise l’échelle et l’identité du lieu, est orienté plein sud ; il vibre de la lumière du matin et de l’après-midi qui vient accrocher les nervures du calepinage de la pierre d’Estaillade, choisie ici parce qu’elle est plus sobre et plus uniforme que celle de Fontvieille.
Inertie
Entre ces deux bâtiments nouveaux, l’hôtel particulier conserve la façade austère et régulière d’une bâtisse bourgeoise édifiée à la fin du XIXe siècle. Il fait face au mur mitoyen rénové du fond de la parcelle conservant les marques du temps et de l’architecture vernaculaire de la cité : moellons de granit, rangs de galets d’alluvions et briques. Il est à l’image du terroir.
La longue façade minérale du chai dissimule le cuvier et le chai à barriques. Elle réserve un accès aux locaux de travail et de production qui ouvrent également sur une arrière-cour. Cette plateforme d’accès est dimensionnée pour accueillir les engins agricoles et les poids lourds. Aux vendanges, on y reçoit les grappes provenant de la vigne toute proche. Le process de vinification peut alors s’engager : tri, égrappage et pressage d’abord, puis le circuit se prolonge en gravitaire vers les cuves de macération thermorégulées. La température des locaux est elle-même contrôlée : on utilise la géothermie avec un échangeur eau/eau qui profite de la nappe phréatique. Les salles sont ventilées et tirent profit de la porosité de la pierre, la masse des murs de calcaire et des dalles de béton des planchers venant apporter l’inertie thermique nécessaire à la bonne maturation du vin. Le chai est par ailleurs semi-enterré, avec une profondeur de 1,70 mètre limitée par le niveau de la nappe phréatique.
Ce bâtiment imposant, s’il est dévolu à la production, complète néanmoins le parcours œnotouristique : les visiteurs qui ont traversé le jardin peuvent se glisser derrière le voile de pierres et pénétrer dans le chai par la double rampe qui dessert les deux niveaux principaux du bâtiment. Cet espace est baigné de la lumière zénithale prodiguée par une longue verrière qui s’accroche au mur de pierre calcaire. Depuis les rampes, une paroi vitrée offre une vision privilégiée sur le cuvier et le chai à barriques. Dans cette longue galerie, les courbes blondes de la paroi de calcaire viennent faire écho aux ventres d’inox des cuves où le vin travaille. Plus haut, les visiteurs atteignent la terrasse végétalisée de l’édifice pour bénéficier d’un point de vue bienvenu sur les coteaux de l’Hermitage qui dominent la ville. Pour les invités du domaine qui désirent passer la nuit dans les lieux, une passerelle conduit ensuite vers l’hôtel particulier où onze chambres sobres et luxueuses les attendent. Le rez-de-chaussée est occupé par de vastes salles de réception et de dégustation, complétées d’une cuisine professionnelle ; en sous-sol, la cave voûtée abrite l’œnothèque de la maison. Des vendanges à la garde des meilleurs crus, le cheminement du raisin comme le parcours des visiteurs s’achèvent ici.
Stabilité géométrique
Élément emblématique du projet, le mur du chai, long de près de 80 m, fait la part belle à de multiples techniques pour sa conception. Carl Fredrik Svenstedt a travaillé en collaboration directe avec les carriers d’Estaillade, les tailleurs et poseurs de pierre, et la construction du mur a relevé d’un concept technique collectif. La pierre est choisie pour sa teinte claire, son grain régulier et homogène et des blocs presque exempts de marbrures. Les blocs de calcaire coquillier tendre de 0,80 mètre par 2 mètres ont d’abord été découpés au fil puis taillés à l’aide d’une machine à commande numérique pour façonner 274 monolithes, tous différents – le gabarit de chacun des éléments ayant été défini par le modèle 3D élaboré à l’aide du logiciel Grasshopper. Avec une épaisseur de 60 à 65 cm, ce mode de découpe a permis d’optimiser le temps de travail comme la quantité de matière pour une parfaite qualité finale. La paroi étant autoportante, l’équipe a choisi un système de postcontrainte en acier, qui allie des tirants verticaux en acier, ancrés dans le soubassement, et des chaînages horizontaux par câbles et clés inox, engravées dans chaque rang de pierre. Les ondulations procurent au mur sa stabilité géométrique. Il est posé sur une simple semelle de béton mais, pour des raisons sismiques, il est totalement indépendant de la structure principale du chai. L’ensemble des blocs a été posé en quelques semaines par deux compagnons.
Maîtrise d’ouvrage : Champagne Deutz Delas Frères
Maîtrise d’œuvre : Carl Fredrik Svenstedt Architecte, avec Carl Fredrik Svenstedt, Boris Lefevre, Pauline Seguin, Thomas Dauphant, Marion Autuori, Benoît-Joseph Grange
Structure béton : Beccamel Mallard
Structure pierre : Atelier de Graindorge / Stono
Développement durable : MAYA
Paysage : Christophe Ponceau et Mélanie Drevet
Surfaces : chai : 3 200 m2 ; caveau : 400 m2 ; maison de réception : 1 400 m2
[ Maître d’ouvrage : Groupement local de coopération transfrontalièreArchitectes : Devaux &… [...] |
Clermont-Ferrand[ Maître d’ouvrage : client privé – Maître d’œuvre : Récita architecture … [...] |
[ Maîtrise d’ouvrage : BAST, architecte mandataireMaîtrise d’œuvre : commune de Montjoire&nbs… [...] |
[ Maîtrise d’ouvrage : commune de VelainesMaîtrise d’œuvre : GENS ; BET TCE, BET2CSignalétiq… [...] |
[ Maître d’ouvrage : Legendre immobilier – Maîtres d’œuvre : Atelier Kempe Thill (mandatair… [...] |
Maîtres d'ouvrages :conseil départemental des Hauts-de-SeineMaîtres d'oeuvres : Mars archite… [...] |
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |