Camille Fallet « Mettre en valeur les signes de fermeture de l’espace »

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 01/09/2006

Camille Fallet

Article paru dans d'A n°157

Le travail de ce jeune photographe, venu à l’image par l’art contemporain, n’est pas si développé que l’on ne puisse en détailler les contours : il semble se caractériser par un net intérêt pour le logement de masse – social ou non – de la seconde moitié du XXe siècle, dont il dresse un inventaire mêlé de fascination et de répulsion.

Camille Fallet se destinait tout d’abord à la bande dessinée mais après avoir étudié le neuvième art à Angoulême, il s’oriente peu à peu vers la photographie. L’une de ses premières séries photographiques – des mises en scène nocturnes dont l’ambiance décalée évoque le travail de Gregory Crewdson –, qu’il réalise alors qu’il fréquente l’École des beaux-arts de Nantes, conserve encore de la bande dessinée le côté fiction et une structure narrative reliant entre elles des images isolées.


L’ inventaire Anglais

Devenu étudiant au Royal College of Art de Londres, section photographie, son travail va prendre une autre ampleur : à la manière de Walker Evans, il entreprend, avec Vernacular London, une sorte d’inventaire de l’architecture londonienne. On retrouve dans les premières prises de vues de la série toute la grammaire du langage photographique du maître américain : maisons en bande, magasins décrépis, gros plans sur les éléments architectoniques du style victorien, enseignes publicitaires… Progressivement, le regard se détache du vernaculaire pour dériver vers d’autres détails : fractures urbaines, dents creuses et logements sociaux des années 1960-1970.

Bien qu’il photographie la ville au hasard de ses déambulations, sans revendiquer une connaissance particulière de l’histoire de l’architecture, il finit par constituer, presque à son insu, un guide de l’architecture brutaliste anglaise en deux cents images. C’est sans le savoir qu’il fait défiler devant son objectif des bâtiments aussi symboliques que le Robin Hood des Smithson ou les tours d’Erno Goldfinger. Ce refus de l’érudition architectonique est plus une façon de mettre à distance les objets qu’il photographie que le signe d’un désintérêt pour toute tentative d’intellectualisation du bâti : il faut plutôt voir là une forme de « démocratie des images » qui refuserait d’adopter les hiérarchies de valeurs fixées par l’historiographie. Si le logement de masse l’intrigue, c’est – outre le fait que ces constructions véhiculent une esthétique parente de l’art contemporain à laquelle ses études l’ont sensibilisée – parce qu’il y perçoit les indices d’une utopie moderniste qui s’est conclue par un échec : « à travers les rampes, les sols artificiels, les balcons, on voit un projet futuriste qui reste reconnaissable malgré les dégradations ». Paradoxalement, les traces de la décrépitude, l’usure des bétons, sont bienvenues dans les photos de Camille Fallet. Elles apportent une dimension temporelle qui distingue ces décors vides de tout personnage de la maquette d’architecte. À côté de ces images en noir et blanc solennelles et implacables, une seconde partie de Vernacular London montre les habitants supposés de ces cités dans un environnement qui correspond davantage à l’image que l’on se fait des rues du centre de Londres.


Se substituer au spectateur

Après cette série, Camille Fallet s’est intéressé aux petites villes de France, photographiant notamment des lotissements du Sud - Ouest. Sa vision du monde périurbain est empreinte d’une tension déjà palpable sur le projet londonien, tension qui doit beaucoup aux descriptions apocalyptiques de Los Angeles – une ville avec des tours où les ghettos sont constitués de maisons – faites par Mike Davis dans son ouvrage City of Quartz. Avec ces images, il entend prolonger la critique sociale émise par l’écrivain américain. Comme lui, Camille Fallet est sensible aux moindres prémices de privatisation de l’espace et n’est pas loin de considérer chaque construction comme un rempart : village ou cité HLM, il perçoit l’implantation du bâtiment comme un jeu d’enceintes dans le paysage et cherche à mettre en valeur les signes de fermeture. L’effet d’enfermement est d’autant plus vif que Camille Fallet cherche toujours à adopter un point de vue plausible pour l’individu. S’il utilise une chambre à soufflet, il refuse de recourir aux échafaudages ou aux échelles qui complètent souvent l’équipement du photographe se servant de ce type de matériel, afin de « se substituer au spectateur, lui apporter une expérience de ce lieu proche de la présence physique, tout en le dispensant de se rendre sur place ».

Camille Fallet tente de développer, en compagnie de Florent Mulot – un plasticien avec lequel il collabore régulièrement depuis quatre ans –, une entreprise ambitieuse portant sur les villes de l’ensemble du pourtour méditerranéen. Cette version contemporaine du « Grand Tour » est une sorte d’état des lieux de l’urbanisation côtière, selon un fil conducteur qui reste encore à préciser. Les premières images portent aussi bien sur les délaissés urbains (cités des quartiers nord de Marseille) que sur l’architecture chantilly des villes balnéaires du peuple (La Grande-Motte) ou de la jet-set (Monaco). Une nouvelle fois, le thème du logement collectif sera au centre de la série.

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