Pour qui veut réinventer une nouvelle modernité en architecture, la conception d’un musée consacré à l’une des ave n t u res qui ont le plus profondément contribué à ébranler l’idée que nous nous faisions de nous-mêmes est un défi des plus stimulants. En nous montrant que le monde pouvait être appréhendé de façon radicalement différente, les anthropologues nous ont fait prendre conscience de notre ethnocentrisme, nous poussant notamment à remettre en question nos modes de représentation. Avec le quai Branly s’ouvre un musée consacré aux objets collectés lors de cette aventure ethnographique, ainsi qu’aux cultures vivantes qui en infléchissent ou en prolongent le sens. Au sein d’une société française qui s’ interroge non sans malaise sur son passé, c’est, pour la communauté scientifique et a rtistique, l’ opportunité d’un formidable renouvellement. Pour y répondre, on attendait de l’ architecture des propositions inédites: devait-elle se faire l’écho d’une supposée altérité des mondes non-occidentaux en tentant d’ échapper–mais est-ce possible?– aux codes qui la régissent depuis toujours? Ou devait-elle tenter de témoigner, dans ses formes ou son processus de conception, de ces interrogations? En d’autres termes, devait-elle produire des images, aussi nouvelles soient-elles, ou privilégier l’instauration d’un lieu d’accueil pour une pensée en mouvement, instable, ouverte? En choisissant de jouer avec notre imaginaire d’Occidental chargé des mythes du «jardin-forêt, sombre et mystérieux» (sic) et en opérant ce qu’il a appelé une «dématérialisation sélective», Jean Nouvel a privilégié la première solution. Cédant à la tentation de nous émerveiller, n’a-t-il pas pris ainsi le risque de s’enfermer dans la boîte magique qu’il a créée et de s’oublier dans la contemplation de ses chimère s? Emmanuel Caille