Bernard Plossu : « L’architecture est une autre partie de ma culture. »

Rédigé par Yasmine YOUSSI
Publié le 01/10/2004

Portrait de Bernard Plossu

Article paru dans d'A n°140

Connu pour ses photographies de voyage, considéré comme l'un des plus importants photographes de sa génération, Bernard Plossu travaille depuis plus de vingt ans sur l'architecture. Bourges lui consacre une exposition.


d'A : Comment êtes-vous venu à la photo ?

Bernard Plossu : J'ai commencé à en faire dès l'âge de 13-14 ans. C'est devenu un métier lorsque j'ai été engagé sur une expédition anglaise qui partait vivre chez les Indiens Lacandon, la dernière tribu maya dans la jungle du Chiapas. J'ai aussi fait beaucoup de photos de constructions en pisé. D'abord au Sahel, dans les années 1970, puis au Nouveau-Mexique. J'ai également photographié le musée des Arts d'Afrique et d'Océanie (MAAO) au début des années 1980. Mais c'est grâce à l'IFA que j'ai commencé à faire un vrai travail autour de l'architecture. Patrice Goulet m'a passé une première commande. Basilico, Senadji et moi devions alors travailler sur Jean Renaudie. C'était passionnant. Il y a eu ensuite Hondelatte, Fuksas, Ricciotti.


d'A : Vous avez déclaré un jour : « Les ingrédients de l'architecture sont les mêmes que ceux de la photo… »

B.P. : Il s'agit pour l'une comme pour l'autre de volumes dans l'espace. Quel que soit le genre de photographie que l'on fait, on est en rapport avec des lignes de force qui s'opposent. La composition d'une photo n'est pas forcément un exercice de style parfait et rigoureux. Ça peut simplement être des lignes qui se recoupent. Prenez les derniers tableaux de Braque. Ils n'ont l'air de rien : une barque, un nuage, un oiseau. Le côté cubiste de ses toiles est évacué. La force, pourtant, reste la même. Ce qui compte, c'est la manière dont on perçoit les lignes dans l'espace. On peut bien les composer, ou les laisser telles quelles.


d'A : D'autres arts influencent-ils également vos photos ?

B.P. : Pour moi, la photographie est une forme de littérature. Le cinéma aussi est très important. C'est toute ma culture. Mes maîtres sont d'abord Dreyer, Buñuel, Eisenstein. On a d'ailleurs souvent dit que j'étais le photographe de la nouvelle vague. Et puis, il y a la danse. C'est essentiel. Chaque photographe a la sienne. C'est le mouvement du corps qui fait la photo, et non pas l'objectif.


d'A : Comment travaillez-vous ?

B.P. : Pour comprendre l'œuvre d'un architecte, il faut photographier le plus simplement possible. Le choix du format est très important. Mais la clé en photographie, c'est la distance. C'est pour cette raison que je ne travaille qu'au 50 mm, l'objectif qui se rapproche le plus de l'œil. Il permet d'éviter toute forme d'effet, alors que le téléobjectif aplatit et que le grand angle déforme. En architecture, les guides sont aussi très importants. Patrice Goulet m'a emmené voir les œuvres de Renaudie, et Marc Donnadieu celles de Hondelatte. La manière dont ils m'ont montré leurs réalisations a beaucoup compté. J'essaie qu'un lieu m'apprenne vite, de façon immédiate, ce qu'il est. Il y a généralement, chez moi, un côté « compréhension rapide » qui se passe le premier jour. Pour le palais Jacques-Cœur, sur lequel le festival Images au Centre m'a demandé de travailler, je suis arrivé le premier jour pour rencontrer les gens. Je n'étais pas en prise de vues, mais j'ai quand même fait quatre ou cinq films qui représentent, au final, la moitié des photos retenues pour l'exposition. Mais c'est vrai que pour la Villa Noailles, j'ai travaillé dans la durée. Je savais que j'avais du temps devant moi (huit ans). Alors j'y suis allé mollo. Comme un luxe. Et à chaque fois que j'y retournais, j'avais de nouvelles images.


d'A : Vos photos du MAAO font apparaître le bâtiment à travers ses détails les plus infimes mais aussi les plus intimes.

B.P. : L'équilibre d'un lieu, c'est sa globalité et ses détails. En photo, je fais les deux. C'est ce qui me paraît être le ton juste. L'Art déco, ce n'est pas que l'ensemble d'une maison Mallet-Stevens, c'est aussi une poignée de porte.


d'A : Aborde-t-on un bâtiment historique de la même manière qu'une construction récente ?

B.P. : Oui. J'adopte la même approche visuelle, la discipline de l'œil au 50 mm. L'émotion dépend bien sûr du lieu et du poids de son histoire. Les grands astrologues arabes, les grands mathématiciens italiens, les grands philosophes européens se retrouvaient au Castel Del Monte, dans les Pouilles. Toutes les cultures s'y réunissaient, et cela a un très fort impact. Dans tous ces lieux il faut avoir le même silence, marcher délicatement. C'est une leçon d'humilité. On y vient pour essayer de comprendre, et partager ce que l'on comprend. Le poids du temps peut aussi être très angoissant. En Andalousie, par exemple, il y a une usine désaffectée, près d'Almeria, faite pour les photographes. Quand j'ai appris qu'on y torturait les prisonniers républicains, j'ai cessé de montrer la photo.


d'A : Comment cela se passe-t-il dans votre travail avec les architectes ? B.P. : Une relation humaine s'est développée entre eux et moi. Fuksas a tout de suite accepté que ça ne soit pas un photographe d'architecture professionnel qui fasse les photos, et il m'a fait confiance. Tout comme Hondelatte. Ricciotti l'a pris comme un jeu. Il a compris que c'était une aventure expérimentale, un propos sur son travail.


d'A : Qu'est-ce que le fait de photographier de l'architecture vous a apporté ?

B.P. : Je dirais autant que le paysage, le portrait ou une vue d'un train. C'est désormais une autre partie de ma culture. J'ai découvert que l'architecture était autre chose que ce que l'on voit. Ce qui m'a permis de comprendre les propos des architectes, la manière dont chacun réagit par rapport au volume et à l'espace, s'ils font quelque chose de nouveau ou pas, et en quoi ils contribuent à changer le paysage de tout le monde.


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