BERNARD DESMOULIN: Nouvel accueil du musée de Cluny, Paris 5ème

Architecte : Bernard Desmoulins
Rédigé par Alice Weil & Alison Gorel Le Pennec -
Publié le 03/10/2018

Le musée de Cluny est l’improbable assemblage de deux éléments a priori sans commune mesure, des ruines de thermes romains et un palais médiéval parfaitement préservé. Appelé à son chevet pour tenter de lui conférer une unité, Bernard Desmoulin lui propose simplement de se réconcilier avec lui-même et d’accepter sa double identité. Visite guidée…


Le musée de Cluny se présente en contrebas du boulevard Saint-Michel comme une fouille archéologique à ciel ouvert, une fosse qui pondère l’animation de cette artère très passante. Tandis que plus loin, place Paul-Painlevé, il prend la forme d’un palais médiéval. L’ancienne résidence parisienne des abbés de Cluny semble, à l’inverse des thermes, avoir franchi les siècles sans altération. Ses tourelles, ses toits pointus, sa porte ogivale et son mur d’enceinte crénelé renvoient à un Moyen Âge tout droit sorti de l’imaginaire de Viollet-le-Duc ou de Walt Disney. Ces deux images mémorielles inconciliables sont encore amplifiées par le chef-d’œuvre emblématique des collections du musée : la tapisserie La Dame  à  la  Licorne, qui représente une autre construction chimérique, cette fois composée d’un cheval et d’une dent de Narval… Il s’agissait de créer une nouvelle entrée plus proche du boulevard afin d’obtenir un parcours plus fluide, pour remplacer celui discontinu qui commençait autrefois place Paul-Painlevé, par la cour et les anciennes cuisines de l’hôtel. Le pavillon d’entrée s’ouvre maintenant directement sur la rue du Sommerard. Il promet une odyssée à travers le frigidarium à l’impressionnante voûte et les diverses salles de la construction médiévale présentant les collections d’objets du Moyen Âge. Lors du concours de 2014, les équipes en compétition avaient presque toutes proposé de rassembler cet ensemble composite autour d’une nouvelle construction unitaire. On se souviendra notamment du cube clair et massif de K Architectures, de la maison de verre de Philippe Prost ou encore de l’exosquelette doré de  Francisco Mangado. Tous semblaient chercher une figure dominante capable de dépasser l’opposition des deux constructions existantes pour s’affirmer face au boulevard dans une autre matérialité. Plus pondérée, plus subtile, plus ambiguë et peut-être même plus perverse, la proposition de Desmoulin semble juste venir se poser, s’additionner, comme s’il s’agissait d’une construction éphémère, tout en cherchant dans le patrimoine génétique des édifices antique et médiéval une souche commune qu’elle pourra croiser et développer.

 

Géométrie :


Et ce n’est pas dans leur matière, ni non plus dans leur mode de construction mais dans le plissement de leurs toitures – formant des angles obtus ou aigus – que l’architecte a trouvé le gène commun aux deux édifices historiques. Sa proposition est avant tout un projet de toiture. Lors du concours, de vastes pans en polycarbonate venaient protéger les ruines des thermes. Le toit plissé de la nouvelle entrée esquisse ainsi deux pignons inégaux renvoyant aux proportions des constructions romaines et aux dimensions des constructions médiévales. Pour l’emprise au sol, même principe : la proposition découle des lignes de force qui organisent le site. Si la façade principale s’arrête à la limite de l’ancien caldarium, celle sur la rue du Sommerard hésite entre la continuité avec le bâtiment auquel elle s’adosse et l’alignement sur la voie. Elle se plisse ainsi pour répondre à ces deux exigences et trouve son identité dans cette pliure circonstancielle…

 

Alchimie :

 

Pour incarner cette figure abstraite, Bernard Desmoulin semble plonger directement dans la matérialité des choses. Il joue librement avec structures et textures en opérant les rapprochements les plus inattendus comme les transmutations les plus byzantines, des pratiques impures que l’on pourrait plus attendre d’un alchimiste que d’un architecte. Cette hétérodoxie se retrouve d’abord dans les choix structurels. Des micropieux périphériques viennent traverser la zone de fouilles. Ces éléments soutiennent une dalle nervurée qui correspond au rezde-chaussée. Elle reprend les charges des quatre pieds porteurs d’une table en béton dessinant un entresol qui par endroits porte une charpente et à d’autres se suspend à elle : une véritable cage d’acier qui dessine en filaire la silhouette de la partie supérieure de l’édifice. La table en béton sera coulée dans un coffrage dont les planches ne seront pas réutilisées afin d’imprimer profondément leur veinure à cet agglomérat solidifié et de tatouer le processus de formalisation à même sa masse. Tandis que la structure métallique disparaîtra complètement sous le plâtre ou sous le revêtement extérieur. Et dans le hall d’entrée, ce béton rugueux et scarifié jouxtera la rampe d’un Corian sans traçabilité qui emmaillote l’escalier, ses joints soudés et poncés ayant été totalement effacés. L’ensemble relève ainsi paradoxalement d’une affirmation de l’élan structurel et d’une dissociation fonctionnelle entre la charpente, appelée à disparaître, et son enveloppe ornementale. Une démarche hérétique empreinte d’une vraie jouissance à trop montrer d’un côté pour mieux cacher de l’autre et perdre le visiteur attentif qui chercherait un fil d’Ariane pour sortir de ce labyrinthe. Pour le revêtement extérieur, le bronze semblait s’imposer, mais le poids de ce matériau restait incompatible avec la légèreté requise par les fondations fragiles sur les ruines romaines. Aussi, après avoir évoqué le Corten, le choix s’estil porté sur la fonte d’aluminium, un matériau assez peu utilisé, si ce n’est par Jean  Nouvel à la Philharmonie de Paris ou Francis Soler pour ses logements de la porte d’Auteuil. Chaque élément est unique et coulé avec un relief singulier par un fabricant de pièces de moteur. Il a été ensuite laqué comme une carrosserie d’automobile pour changer de couleur en fonction de la lumière et rester mystérieux sur ses origines. Les ouvertures viennent découper aléatoirement le bâtiment et brouillent toute notion d’échelle afin d’éviter qu’il ne ressemble à une habitation. Elles sont encore atténuées par une résille du même matériau qui renforce la continuité de la paroi. Son motif reprend celui de la dentelle de pierre qui enveloppe l’escalier descendant de l’ancien oratoire de l’hôtel de Cluny vers le jardin. Le projet, dont la silhouette découle du contexte, sait aussi s’en différencier en jouant sur l’opposition des technologies de construction. Au béton romain encoffré par des parois composées de lits de moellons et de briques comme à la parfaite stéréotomie médiévale, s’opposent les pièces moulées par des fabricants de moteur. Ce troisième élément, comme la synthèse de la dialectique hégélienne, parvient ainsi à dépasser les deux premiers tout en les conservant en lui-même.



Maître d'ouvrage : Ministère de la Culture et de la Communication  Maître d’ouvrage délégué : Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, OPPIC –

Maître d'oeuvre : Bernard Desmoulin – BET : Scoping ingénierie ; Venatehc acoustique – Entreprises : structure clos et couvert, Lefèvre ; aménagement intérieur : Bonnardel ; électricité : ERI

Surface SHON :  600 m²

Cout :  4 millions d’euros HT 

Date de livraison :  concours, juin 2014 ; livraison, juillet 2018

Façade principale du nouvel accueil du musée de Cluny, Paris 5ème <br/> Crédit photo : Denancé Michel Détail de façade<br/> Crédit photo : Denancé Michel Vue de la banque d'accueil<br/> Crédit photo : Denancé Michel Vue de l'accueil<br/> Crédit photo : Denancé Michel Coupe transversale<br/> Crédit photo : Denancé Michel

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