Architectes : Archiplein – Texte : Stéphane Berthier – Photographies : Aurélien Poulat, 11h45
Marlène Leroux et Francis Jacquier, les architectes de l’atelier Archiplein, ont réalisé une halle de marché dont la charpente à l’allure asiatique constitue le point d’orgue d’un travail patient et modeste de réparation urbaine postindustrielle d’une petite ville de Haute-Savoie.
Scionzier est une commune de 10 000 habitants située dans la vallée de l’Arve, à mi-distance de Genève et Chamonix. Le déclin de cette région hier réputée pour son industrie du décolletage l’a conduit à n’être plus perçue que comme un lieu de passage sur la route des stations de ski. Les derniers aménagements urbains étaient surtout soucieux de gérer la sécurité routière et de disposer des parkings sur les aires urbaines que la désindustrialisation laissait vacantes. Depuis 2017, la mairie a confié à l’agence d’architecture genevoise Archiplein une réflexion globale sur la requalification de la partie sud de la ville, à l’arrière de la mairie.
Cet espace urbain abandonné à la voiture renaît aujourd’hui pour accueillir de multiples activités grâce à une reconfiguration soignée des espaces. Ces aménagements de réparation sont simples mais justes, fait de sols de béton poncés sur les parties accessibles aux véhicules ou, ailleurs, de grave perméable en calcaire gris, comme pour l’aire de jeux d’enfants ou le terrain de pétanque. Quelques plantations complètent le dispositif en cherchant à souligner sa nouvelle structure. Ici, on échappe heureusement à « l’aménagite » surdessinée, maladie chronique de trop de villes françaises aujourd’hui.
Deux édifices clés, une médiathèque et une halle de marché, occupent désormais cette partie de ville. La première s’installe dans l’ancienne usine Alpex le long du Foron, cours d’eau profond qui devient torrent à la fonte des neiges. Son nouveau portique en pierre d’Hauteville lui donne une façade urbaine qui délimite une grande place destinée à l’accueil du Festival Musiques en Stock. La halle, située sur une parcelle triangulaire, articule quant à elle l’espace public entre la médiathèque et la mairie. Elle accueille notamment un marché hebdomadaire qui peut, lors des périodes d’affluence, s’étendre alentour.
Sa forme en triangle équilatéral ne l’empêche pas d’être précisément orientée. Côté mairie, un portique de six travées, d’une longueur de 36 mètres et d’une hauteur de 7 mètres, forme un signal visible depuis la place historique du village et nous indique qu’il se passe quelque chose au-delà . Il oriente le regard vers les nouveaux aménagements urbains et révèle la partie sud de la ville, qui n’était plus considérée que comme un arrière d’agglomération. Depuis le parvis de cette halle, apparaît alors la nouvelle place qui s’étend jusqu’à la médiathèque, le long de la rivière. La toiture triangulaire en pente descend doucement de la rive de ce portique jusqu’à l’angle opposé du quai, qui constitue le point bas de l’édifice. Un bloc de services en béton, de 4 mètres de hauteur, clôt ainsi l’espace public du côté du tissu résidentiel. Le sol de la halle, en béton poncé, s’inscrit quant à lui de plain-pied dans la continuité de l’espace public alentour.
Couronnement
Au-dessus, sa couverture en polycarbonate translucide éclaire une étonnante charpente faite d’un réseau triangulaire de poutres croisées, comme tressées. Elles sont composées de trois membrures longitudinales entretoisées qui se coupent selon les trois directions parallèles aux côtés du triangle. Subtilement, la membrure supérieure des poutres déborde en porte-à -faux de 1,5 mètre au-delà des portiques de façades. Ce couronnement affine la toiture grâce à une frise de chevrons qui fait oublier l’épaisseur imposante des entablements en même temps qu’il les protège des intempéries.
Cette structure spatiale de 90 centimètres d’épaisseur repose sur ses trois portiques latéraux et sur un poteau central qui pourrait paraître a priori incongru dans notre culture occidentale de ce type d’édifices, marquée par le goût de la performance, par un art de l’ingénieur dont le premier réflexe aurait sans doute été de franchir l’espace d’un seul tenant. Force est de reconnaître que ce point vertical est plutôt le bienvenu dans l’organisation de l’espace, comme un daikokubashira (大黒柱) ou « centre absolu de la demeure » que l’on connaît dans l’architecture japonaise. Il supporte la charpente par l’intermédiaire d’un chapiteau hexagonal fait de trois épaisseurs supplémentaires de membrures en encorbellement qui répartissent les efforts de poinçonnement sur une large surface et magnifient le centre de l’édifice.
Les architectes expliquent que leur idée initiale était de concevoir une charpente en bois massif, dont la longueur maximale disponible chez les scieurs de la région est de 9 mètres. Cet appui intermédiaire devenait alors une condition sine qua non pour franchir toute la portée sans recourir à des bois collés. Andréa Voisin, ingénieur du bureau d’études Arborescence, précise que les assemblages entre les longueurs de 9 mètres se faisaient aux points de flexion nulle de la nappe. Malheureusement, les conditions post-covid d’approvisionnement de la filière n’ont pas permis de disposer d’assez de bois massif dans les délais du chantier. L’entreprise de charpente LPS a donc dû recourir à des bois collés en épicéa du Nord. Seuls les poteaux et les entretoises ont été réalisés en bois massif issu des forêts de Savoie. Ce « loupé » nous informe sur la difficile adéquation entre les conditions de production actuelles et nos ambitions écologiques. Mais le projet nous dit avec intelligence que la réflexion sur les matériaux naturels est aussi une belle occasion de revisiter nos conceptions architectoniques héritées du XXe siècle.
Maître d’ouvrage : commune de Scionzier
Maître d’œuvre : Atelier Archiplein
BET : Arborescence, structure bois ; Tectoniques, GC ; Uguet, VRD
Programme : rénovation du cœur de ville, halle de marché et place publique
Entreprise : LPS, charpente
Surfaces : halle, 680 m2 ; place, 1 ha
Coût : 4, 5 millions d’euros HT
Calendrier : concours, 2020 ; livraison, 2023