Projet lauréat (Central). |
Comment concevoir un espace spécifique pour un lieu alternatif de la scène bruxelloise qui jusqu’à présent est venu s’immiscer dans des constructions existantes ? Ainsi c’est sur la rive nord du port fluvial endormi où les entrepôts tagués font penser à Berlin-Est après la chute du mur que de jeunes agences se sont essayées à dessiner un emplacement pérenne pour le Magasin 4, une scène alternative mythique mais toujours nomade malgré ses plus de vingt-cinq années d’existence… |
Lauréat : Central
Participants : Studio Muoto / Karbon’ architecture et urbanisme / Czvek Rigby & Laura Muyldermans / Zed Architects
Revenons d’abord cette association de bénévoles qui, depuis plus de vingt-cinq ans, produit des concerts de punk-rock de toutes tendances : métal, noise rock, grindcore, electronic body music… Une communauté formée dans les années 1990 autour de musiciens recherchant des lieux pour présenter des groupes émergents au public underground de la capitale belge. Elle a d’abord occupé l’immeuble du 4, rue du Magasin (d’où son nom), pour émigrer ensuite, chassée par la gentrification, dans les abords du port fluvial. Elle s’est alors installée dans un hangar désaffecté situé devant l’entrepôt royal, le monumental immeuble de brique et de pierre bleu datant de l’ère léopoldienne et de la colonisation du Congo, contigu à l’ancienne gare maritime ferroviaire, une pièce maîtresse de l’ancien site industriel Tour & Taxis.
Le long du canal de Charleroi, à proximité immédiate du centre historique, voilà un environnement idéal pour, en fin de journée sans gêner personne, boire une bière en écoutant le son saturé des guitares électriques. Cette structure associative semblait avoir trouvé le milieu optimal pour se développer et devenir une véritable institution. Un espace de détente où tout un chacun peut oublier les vicissitudes de sa vie quotidienne en plongeant dans une ambiance amicale et festive lui permettant de s’affirmer en chantant ou en dansant au rythme de la musique tout en s’investissant dans son apparence extérieure : tatouages, blousons noirs cloutés, jeans lacérés, minijupes en cuirs, bas résille et crêtes colorées…
D’autres lieux du même type – la Zinzinerie, le Barlok et l’Allee du Kaai, un parc associatif d’activités culturelles et sportives… – sont venus s’agréger, comme autant de bernard-l’hermite trouvant leur coquille dans cette bande hérissée de constructions industrielles abandonnées. Mais, là encore, la rénovation urbaine et un projet ambitieux de parc urbain ont eu raison de ces alternatives citoyennes.
La ville de Bruxelles a cependant décidé d’organiser un concours et de construire, un peu plus loin, une « vraie » salle de concert pour pérenniser les manifestations du Magasin 4. Toujours le long du port, mais dans un contexte industriel actif dominé par d’imposantes plateformes logistiques. Notamment, à l’ouest, l’immeuble des transports internationaux routiers, un gigantesque complexe composé de plusieurs unités dont le premier étage est relié à la voirie par un viaduc routier accessible aux semi-remorques ; et, à l’est, le village des matériaux de construction : des hangars récents aux toitures plissées en accordéon, longeant le bassin Vergote.
C’est dans ce nouveau contexte que les équipes retenues ont réussi, chacune à leur manière, à imaginer un lieu spécifique pour cette musique et cette culture jusqu’à présent nomades. Les lauréats de l’agence Central ont proposé une infrastructure capable de porter et d’accompagner les transformations progressives du lieu, tandis que le Studio Muoto a cherché à établir des relations fortes entre esthétique industrielle et culture rock en rangeant les différentes activités dans de gigantesques racks d’entrepôt. Les membres de Karbon’ ont chaussé d’autres lunettes, pour voir le site à grande échelle comme un territoire produisant des matériaux de construction afin de concevoir une architecture de circuits courts. Enfin Czvek Rigby & Laura Muyldermans, plus classiques, ont proposé un jeu de volumes et l’équipe de Zed Architects a utilisé de manière décalée la culture graphique qui accompagne cette culture musicale…
Exergue :
La ville de Bruxelles a décidé de construire une « vraie » salle de concert dans un contexte industriel actif dominé par d’imposantes plateformes logistiques
Alternatif et évolutif - Central (lauréats)
Les architectes lauréats de Central proposent un dispositif évolutif qui rappelle les demi-maisons construites par Alejandro Aravena au Chili : des constructions basiques conçues pour pouvoir être complétées par leurs occupants. Ainsi deux hautes barrettes servantes capables d’accueillir trois étages – l’une destinée au public, l’autre aux artistes et aux organisateurs – se dressent-elles sur le site pour soutenir et desservir la vaste toiture-terrasse de la salle de spectacle, offrant un belvédère ouvert à toutes formes d’appropriations et de transformations. Ce système distribue aussi en rez-de-chaussée deux extensions grillagées : à l’ouest, l’entrée des artistes et le garage de leur car de tournée ; à l’est, l’accueil du public et un espace de décompression permettant de passer de la salle bruyante et rigoureusement isolée à l’air libre et à la ville.
L’ensemble stupéfie par sa très grande cohérence : tout paraît pensé pour que le projet une fois livré puisse continuer à se développer et à germer. Ainsi les pignons des barrettes servantes décroissent-ils étrangement en montant. Leurs silhouettes trahissent que les sections des poteaux s’amenuisent en fonction des charges à porter. Le programme n’occupe qu’une partie de leur volume interne, en attente de nouveaux planchers. Cette structure pérenne en béton peut ensuite être équipée par toutes sortes de matériaux en réponse aux opportunités du marché, notamment de longs auvents en tôle ondulée qui se soulèveront pour offrir des espaces couverts en rez-de-chaussée ou en terrasse.
Punk-rock et racks de stockage - Studio Muoto
L’équipe française, très à l’aise dans ce contexte postindustriel, propose un volume simple strictement aligné sur la plateforme logistique qui se dresse à l’ouest et l’entrepôt situé derrière. Elle ménage aussi deux bandes non construites : l’une au nord, permettant le stationnement des vans des artistes et la desserte de la scène ; l’autre, à l’est, formant un parvis. Mais cet édifice se présente aussi comme un jeu de construction composé d’éléments clairement identifiables : une architecture à la fois montable et démontable. Ainsi sept portiques en béton, dont les poutres inversées suspendent la dalle de toiture, sculptent le vide minimaliste de la salle de concert. Tandis que deux structures métalliques à étage s’enchâssent dans les extrémités du parallélépipède allongé pour contenir les annexes, à l’instar des marchandises dans des racks d’entrepôt. La première est destinée au public : l’entrée, les sanitaires et les réserves du bar sont surmontés de deux terrasses, l’une accessible, l’autre technique. Tandis que la seconde, plus large et occupant deux travées, est réservée aux musiciens et aux organisateurs. Elle comprend un studio d’enregistrement et la desserte de la scène, des chambres des artistes en résidence et un grand espace de restauration largement vitré sur la salle. Ces espaces superposés sont desservis par des escaliers hélicoïdaux placés dans des cylindres de béton, seule entorse à cette architecture rigoureusement tramée et orthonormée.
Les portiques en béton largement surestimés pourront, si l’occasion se présente, supporter une extension métallique de deux niveaux posée sur les poutres inversées. Une extension qui surjouera l’effet d’addition qui est, avec la possibilité de démontage, l’un des principes de l’esthétique industrielle.
À l’intérieur, pas de second œuvre : les ossatures en béton et en métal sont complétées par des remplissages en parpaings bruts. Enfin le bâtiment se revêt au nord et au sud d’un épiderme de panneaux d’acier non traité, dont certains coulissent pour ouvrir de manière optimale la salle sur l’arrière ou sur l’avenue du Port et le bassin Vergote ; tandis que les façades latérales restent ouvertes pour mieux mettre en évidence la structure secondaire…
Culture bio et neutralité carbone - Karbon’ architecture et urbanisme
Comme son nom l’indique, l’agence Karbon’ pose d’emblée la question de l’origine des matériaux pour inscrire son projet dans une stratégie globale visant à long terme à la réduction des effets de serre. Elle se propose d’utiliser le moins de matière possible, de sélectionner des éléments recyclés ou biosourcés qui entreront dans la composition du nouveau bâtiment tout en privilégiant les circuits courts.
Contrairement à la proposition précédence, sensible au caractère sublime de ce paysage industriel piranésien, ces architectes militants abordent le contexte comme un territoire productif à exploiter : le visible passant au second plan. Ainsi ont-ils établi une carte des ressources recensant notamment une entreprise de fabrication de blocs de terre régionale crue fabriqués à 250 mètres du site et, plus loin, une menuiserie utilisant exclusivement les arbres issus d’une proche forêt. Le projet découle de ces matériaux. Une succession de portiques en bois de grande portée détermine le vide de la grande salle, qui sera ensuite fermée par une paroi de terre parfaitement qualifiée pour absorber les basses fréquences et isoler acoustiquement cet espace très bruyant. Autour de ce noyau s’étend, le long de l’avenue du Port et de la rue de l’Entrepôt, une zone tampon en l qui accueille les deux niveaux d’annexes et s’enveloppe de tôles recyclées pour stopper le vent et renforcer l’inertie thermique de l’ensemble.
Formes et articulation - Czvek Rigby & Laura Muyldermans
Plus formel, c’est à un jeu d’articulations et d’enchâssements de volumes chemisés de métal que se prêtent les architectes Czvek Rigby & Laura Muyldermans. Ainsi la salle de concert, dont les parois latérales se plissent pour élargir l’espace devant la scène, vient-elle en partie s’encastrer dans un bloc servant horizontal. Ce bloc s’aligne sur l’avenue du Port et absorbe les espaces annexes – sas acoustique, sanitaires, bar et restaurant à l’étage – tandis qu’une tourelle marque l’angle des deux axes principaux et arrime cette composition plastique à l’ordre urbain. Elle contient notamment le studio d’enregistrement comme les chambres des musiciens en tournée et permet la desserte du toit-terrasse planté.
Les portiques métalliques de la grande salle et leurs colonnes en V très élancées s’entourent d’une enveloppe acoustique composée d’éléments en béton remplis de sable. Tandis que les annexes sont portées par une structure en bois où s’encastrent d’épais panneaux composites qui assurent à l’ensemble une isolation thermique efficace.
Graphisme et signalétique - Zed Architects
Ce projet répond au programme comme au contexte et sait aussi employer des matériaux recyclés ou biosourcés comme la terre crue, produite à proximité du site. Mais on remarquera surtout l’attention apportée à l’enveloppe et à la signalétique. La première promet d’utiliser les briques graphitées issues de la déconstruction des fresques murales de l’ancien hangar voué à la destruction. Ces éléments récupérés composeront la nouvelle peau polychromique et pixélisée de la salle de concert. Quant à la seconde, outre le logo du Magasin 4 qui souligne avantageusement l’auvent de l’entrée, elle est surtout prise en charge par une haute extension grillagée qui marque l’angle des axes les plus empruntés. Cet édicule protège des activités en toiture – concerts improvisés, répétitions ou entraînements de basket – et sert de support, comme ces structures filiformes qui couronnent les gratte-ciel tokyoïtes, aux affiches lumineuses annonçant manifestations et événements. Un dispositif permettant de signaler efficacement, de jour comme de nuit, l’existence de ce haut lieu de la culture punk-rock bruxelloise.
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