Architecte : 51N4E et Bourbouze & Graindorge Rédigé par Karine DANA Publié le 06/12/2018 |
Est-ce
un bâtiment, un aménagement ? Difficile de qualifier cette opération qui est
avant tout un dispositif urbain programmé de l’intérieur appelant des logiques
d’incrémentation et de continuité et qui se propose de dépasser la temporalité
de la commande.
Implantée dans trois des quatorze alvéoles de l’ancienne base sous-marine de SaintNazaire, cette opération poursuit la dynamique de projet Ville-Port lancée en 1994 par la municipalité. L’architecte espagnol Manuel de Solà-Morales participa alors à la première phase de travaux reposant sur l’aménagement d’espaces publics et la construction d’équipements liés au tourisme et à la culture dans la base mais aussi autour. L’agence berlinoise LIN se vit quant à elle confier en 2002 la seconde phase de ce vaste projet de renouvellement avec l’installation d’autres programmes à vocation publique à l’intérieur de la base : le Life et le Vip, lieux d’expositions et de concerts très actifs, achevés en 2007. Dans la continuité de cette politique urbaine qualitative et prudemment échelonnée, la ville lance en 2013 un dialogue compétitif invitant l’agence 51N4E à une réflexion élargie sur le site afin d’y installer la salle des fêtes, auparavant implantée dans la salle Jacques-Brel, située juste en face, dans la zone portuaire. L’équipe remporte la procédure en abordant cette demande de relocalisation comme un projet urbain à part entière. Ils considèrent ainsi la salle et ses programmes connexes comme une pièce clé de liaisonnement, de cohésion et de stimulation pour les équipements déjà en place dans la base, comme pour les espaces publics attenants. La base sous-marine devient une infrastructure habitable recélant une chaîne d’espaces qu’il s’agit d’activer, de connecter, de confronter. Dans ses projets, 51N4E cherche presque toujours à redéfinir d’autres limites, d’autres points de vue : des conditions d’étrangeté. Il ne s’agit pas nécessairement d’élargir le contexte de travail mais de chercher ce qui peut faire résonner les éléments du programme et encourager le surgissement de relations inattendues, de nouvelles connivences qui pourraient agir sur le sens du lieu.
Nouvelle
couche
La réinterprétation du
programme s’est ici opérée comme une action collective, une phase de «
conception par le dialogue », en sollicitant commerçants et associations – un
tissu dense et extrêmement engagé dans la commune. Émerge ainsi l’idée d’une
salle multi-événement envisagée non pas comme une entité mais comme une
nouvelle couche active appartenant à la base sous-marine et rayonnant tout
autour grâce à la démultiplication de son nombre d’entrées, la mutualisation de
ses espaces connexes avec le Vip et le Life, son alvéole de services et toutes
ses formes de transparences. Au nord, l’alvéole 11, libre de toutes
constructions, fonctionne déjà comme un foyer surdimensionné pour la salle.
Elle dessert les accès à la salle marqués d’une signalétique lumineuse due à la
scénographe belge Nathalie Dewez. Par extension de cette commande, l’équipe
réfléchit à des pièces de mobilier spécifiques pour provoquer un impact urbain
et activer des possibilités d’appropriation et d’occupation de l’espace public
pour l’instant assez faibles : des sortes de « super meubles », comme cette
mégastructure lumineuse et diaphane en surplomb de la terrasse ou une
billetterie mobile. Le Life utilisait les murs et toitures du bunker – de
plusieurs mètres d’épaisseur – comme enveloppe. Le retour d’expérience est
cependant mitigé, l’espace est très long à mettre en chauffe et demeure assez
humide. Une logique de boîte dans la boîte a donc été préférée pour cette
nouvelle opération.
Implantés dans les alvéoles
12, 12 bis et 13, les trois nouveaux lieux sont traités distinctement. « Chaque
espace a été abordé de manière très adaptée aux besoins, suivant un système
constructif et des ambiances propres. Et chacun d’entre eux a été traité pour
que son activité soit visible depuis les rues intérieures de la base »,
explique Gricha Bourbouze, dont l’agence Bourbouze & Graindorge a suivi le
chantier et a rejoint le projet au moment des études. Les deux équipes travaillaient
déjà ensemble sur une résidence étudiante à Saclay (voir l’article dans le d’a
n° 259, décembre 2017-février 2018).
Conçue en parpaing brut et
structure métallique avec bardage nervuré en acier galvanisé, l’alvéole 13
abrite des équipements accessibles à toutes les structures présentes dans la
base : bureaux, locaux techniques et de stockage avec le Life. Dans le prolongement
de ces programmes mutualisés avec le Life et à l’initiative des architectes,
elle profite aussi d’un espace événementiel ouvert pour l’organisation de
spectacles et d’animations, et doté d’une jauge de gradins accueillant jusqu’à
300 spectateurs.
Juxtaposée à la grande salle,
l’alvéole 12 bis est réalisée en parpaing et brique, avec doublage Carrobric et
planchers hourdis en terre cuite. Elle accueille le foyer pour les artistes,
les loges et vestiaires, la cuisine, les sanitaires, les bureaux et l’espace
technique de la salle.
Modularité
hors-sol
Structure autonome –
acoustiquement et thermiquement déconnectée de la base –, la nouvelle salle
multi-événement installée dans l’alvéole 12 se destine à accueillir des
activités aux publics très variés : du thé dansant au loto, en passant par les
concerts, les salons, les réunions ou dîners en petit comité. Cette souplesse
du programme et des besoins a conduit les architectes à réfléchir à des formes
de modularité produites hors-sol, par suspension. Celles-ci répondent non seulement
aux nécessités fonctionnelles mais également à des qualités d’ambiances et de
relations spécifiques au bassin, à la rue, aux passants et autres acteurs
associatifs. Ainsi, une grande cloison escamotable et phonique de 17 m de large
est positionnée au premier tiers de la salle – conçue suivant le principe des
chariots élévateurs – et des lustres motorisés en laiton brossé vernis de 6
mètres de long sont variables en hauteur comme en luminance. L’ensemble de ces
dispositifs permet d’augmenter la capacité de la salle qui peut aller jusqu’à 3
350 personnes, de qualifier et configurer une multitude d’es paces sans
jamais impacter le sol. Celui-ci est caractérisé par son traitement continu et
filant – un béton rosé poli contenant trois types de granulats – offrant une
bonne conduction de la lumière et une certaine idée de pérennité douce et
diffuse, d’un espace flexible et amical, robuste et sophistiqué. À la
différence d’une configuration théâtrale, les fonctions scéniques sont donc
intégrées dans la salle même : en plénum et latéralement derrière une cimaise
en contreplaqué de teinte sombre. Couvrant 1 000 m2 hors scène, la salle est
conçue à partir d’une charpente mixte bois et métal reposant sur une succession
de portiques. En regard des bassins, elle est flanquée à l’est d’un mur-rideau
en aluminium anodisé. Celui-ci est recoupé en partie inférieure au moyen d’une
grande poutre afin de distinguer les parties ouvrantes aux menuiseries
métalliques de couleur « jaune portuaire » des parties fixes, et ainsi de
marquer l’accès au public. À l’ouest, la salle est percée d’une large fenêtre
donnant sur la rue intérieure de la base.
Pour l’architecte Freek
Persyn, de l’agence 51N4E, ce travail de mise en relation et de stratégie
d’occupation doit se prolonger dans l’espace public. Autour des équipements de
la base, il manque la prise en compte d’une échelle intermédiaire : celle du
petit groupe. « Aujourd’hui, les échelles demeurent institutionnelles. Il
manque celle du collectif informel qui rejoint la nécessité d’installer du
mobilier urbain, explique-t-il. Il y a certes de nouvelles possibilités
“d’infiltration” des usagers dans la base sous-marine, de mobilité, de
découverte, mais celles-ci dépendent de dispositifs du quotidien pour vraiment
permettre des usages de tous les jours. » Si les pratiques ordinaires sont
aujourd’hui encore difficiles, les conditions sont toutefois créées pour que
quelque chose de nouveau se produise dans ce spectaculaire espace public.
Maîtres d'ouvrage : Ville de Saint-Nazaire / Sonadev
Maîtres d'oeuvre : 51N4E et Bourbouze & Graindorge
Coût : 5,9 millions d'euros
Date de livraison : 2017
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