Au tournant du millénaire, Jean Nouvel livre sur l’île de Nantes un nouveau palais de justice, relié au centre historique par la passerelle piétonnière Victor-Schœlcher de Barto + Barto. Son architecture crée alors une controverse inédite dans la capitale des ducs de Bretagne, mais également à l’échelle nationale au vu de la renommée de son auteur. « Le zèle novateur d’AJN semble avoir engendré ici une rage comparable à celle occasionnée par l’adoption du nouveau franc il y a quarante ans [...]. Rarement architecture aura suscité un tel tollé et provoqué un semblable clivage, du moins à Nantes », relate ainsi Le Monde. En cause, la couleur, la trame répétitive, l’austérité ostentatoire, la géométrie implacable et l’esthétique jugée carcérale de ce parallélépipède noir de jais. Et en filigrane de la polémique, une question : quelle image la justice doit-elle donner ? L’architecte français, alors au sommet de sa gloire, défend son projet avec ferveur dans Libération : « La justice doit exprimer sa force. Rien de plus détestable que de faire croire à une justice bien gentille, anodine. Un palais de justice aux airs de maison de la culture trompe son monde. C’est même douteux au plan démocratique. Pour moi, la création architecturale n’a pas vocation au consensus. Seuls les bâtiments qui se font oublier ne provoquent pas de débat. »

Le projet de Jean Nouvel est à la croisée des époques. Témoin d’un temps où l’architecture devait clamer haut et fort ses références : l’outrenoir de Pierre Soulages, la Neue Nationalgalerie de Mies van der Rohe, mais aussi le passé industriel portuaire nantais pour justifier l’utilisation de 1500 tonnes d’acier. Témoin d’une ville amorçant sa métamorphose avec le début de la transformation de l’île de Nantes, portée par le trio formé par Jean-Marc Ayrault, Laurent Théry et Alexandre Chemetoff. Témoin, enfin, d’un changement de paradigme. Le palais de justice vient en quelque sorte clore la période des « grands travaux » entrepris par François Mitterrand durant les deux dernières décennies du XXe siècle. Tandis que, à quelques encablures, la même année, Patrick Bouchain ouvre le bal des transformations de friches en lieux culturels et brave le défi du siècle suivant – faire avec le déjà-là – en inaugurant le Lieu unique (voir p. 48).

Deux époques s’entrechoquent à Nantes, mais aussi deux façons de penser l’architecture. Figurant l’un comme l’autre dans cette sélection, les deux bâtiments ont affronté le temps avec virtuosité. Comme à Beaubourg, le palais de justice de Jean Nouvel a dû se plier aux nouvelles exigences sécuritaires. Son parvis plongeant vers la Loire est désormais stoppé dans sa course 

par des portails, certes élégants mais anéantissant cette absence de limites avec l’espace public autrefois si belle. À l’étroit dans ses murs, il fait par ailleurs l’objet d’une extension pour laquelle l’agence nantaise Mabire-Reich vient d’être retenue. Mais surtout, deux décennies plus tard, le bâtiment ne fait plus cavalier seul sur un territoire en devenir, cette île de Nantes aujourd’hui érigée en modèle de projet urbain. Le nouveau voisinage, dense et éclectique, n’a altéré ni la stature intimidante, ni la puissance plastique de ce palais de justice qui a observé sans flancher la ville contemporaine en train de se faire autour de lui. C’est sans doute sa plus grande force.

Maîtres d'ouvrages : Ministère de la Justice, Délégation générale au programme pluriannuel d’équipements 
Maîtres d'oeuvres : Ateliers Jean Nouvel; Isabelle Guillauic (chef de projet), Gaston Tolilia (assistant chef de projet), Jean- Pierre Bouanha, Anne Favry, Hafid Rakem, Michel Calzada (architectes), Aurélien Barbry, Henriette Denis (Jean Nouvel Design)
Surfaces : 15000 m2 (utile), 20000 m2 (SHOB), 18 900 m2 (SHON)
Coût : 73,1 millions d’euros TTC
Date de livraison : 2000