17 logements sociaux en pierre massive, rue Oberkampf, Paris

Architecte : Barrault-Pressacco
Rédigé par Loïc COUTON
Publié le 15/12/2017

Jusqu’au XIXe siècle et à l’avènement des chemins de fer, les possibilités d’approvisionnement en pierre de construction étaient rares et coûteuses. La constitution géologique des territoires exerçait alors une forte influence sur l’architecture, en caractérisant la morphologie et l’esthétique des édifices selon les régions. L’agence Barrault-Pressacco milite aujourd’hui pour une redécouverte des matériaux locaux au profit d’une architecture qu’on pourrait qualifier d’« appellation d’origine contrôlée Â».



L’histoire de Paris est indissociable de celle des constructions en pierre massive, depuis l’époque gallo-romaine jusqu’à l’éclectisme du Second Empire, berceau des grandes percées haussmanniennes. Si les progrès des matériaux industriels, le XXe siècle et son mouvement moderne ont peu à peu démodé son emploi dans l’architecture, on assiste depuis les années 2000 à un regain d’intérêt, de la part des concepteurs, mais aussi des maîtres d’ouvrage, pour ce matériau naturel, certes non renouvelable, mais bien plus durable que bon nombre de matériaux plus récents. Son abondance, sa faible empreinte énergétique lors de son extraction et de sa transformation, ses qualités écologiques pour l’architecture et un cycle de vie peu impactant convainquent de plus en plus de prescripteurs du rôle positif que la pierre de gros Å“uvre peut tenir au sein du métabolisme urbain.

 

Construire en pierre massive à Paris

L’agence Barrault-Pressacco vient de livrer pour la RIVP un immeuble de 17 logements sociaux, rue Oberkampf, au cÅ“ur du 11e arrondissement de Paris, qui met en scène la pierre massive au travers d’une réécriture originale de la modénature des façades historiques avoisinantes, qui conjuguent l’ornementation du bâti haussmannien à la frugalité du tissu faubourien. Dans cette apparente ode à la pierre, les architectes orchestrent différents principes constructifs par le biais d’une hybridation structurelle qui pallie les limites du matériau tout en l’inscrivant définitivement dans la contemporanéité. À la massivité de la pierre, ils associent la légèreté des planchers en bois massif (panneaux CLT), véritables diaphragmes de contreventement horizontaux. La finesse de la structure interne en acier, en libérant l’espace de tout refend, anticipe une possible réhabilitation future du bâtiment. Le rez-de-chaussée réalisé en béton banché apparent, judicieusement poncé pour en dévoiler les différents agrégats, ancre programmatiquement l’édifice dans la ville. En mariant ainsi la pierre à son « concurrent Â» le plus emblématique – le béton â€“, les architectes manifestent l’intérêt non dogmatique qu’ils portent depuis toujours à la matérialité de l’architecture. C’est encore grâce à la performance du béton qu’ils compensent la faiblesse de la pierre, lorsqu’il s’agit d’ouvrir de larges baies dans les séjours orientés au sud. La pierre naturelle ne pouvant guère franchir des portées supérieures à 1,30 m, les linteaux/allèges bordant les terrasses sud sont également réalisés en béton poncé, coulé sur place.

Une telle alchimie structurelle exige un mode de conception collaboratif qui implique autant l’équipe de maîtrise d’œuvre que l’équipe d’exécution. Dès les premières études, un plan d’assurance qualité a été mis en place par l’entreprise chargée de la mise en œuvre de la pierre. Celui-ci consiste à suivre un protocole précis d’essais en atelier, sous le contrôle du CTMNC (Centre technique de matériaux naturels de construction), et à s’engager à prendre un certain nombre de précautions sur le chantier, afin de réduire autant que possible les épaisseurs de pierre et de faire tendre les détails d’assemblage vers leur plus simple expression.

 

Stéréotomie contemporaine

Thibaut Barrault et Cyril Pressacco abordent la question de la stéréotomie en l’épurant de ce qui la relie trop directement à la tradition française, héritière de la Renaissance, c’est-à-dire en s’interdisant tout principe de quinconce dans l’appareillage des pierres, aussi bien au niveau des harpages, à l’angle des murs, qu’à celui des nus des façades, organisées en trumeaux successifs plutôt qu’en murs continus percés de baies. Par ce précepte conceptuel, ils tentent de réactualiser la pierre massive en réinterprétant le passé au sein du contemporain. Au prix d’une étude géométrique très précise, fondée sur les proportions des pierres – qui égalisent la largeur des trumeaux avec les hauteurs d’allèges et de linteaux â€“, ils poussent la relecture jusqu’à l’imbrication formelle des différents artefacts du classicisme, de sorte que jambages et linteaux participent tout autant à la modénature des façades qu’à l’encadrement de leurs ouvertures. Étonnement traités en creux, sorte de négatif contemporain de la tradition haussmannienne, l’inclinaison des jambages et des linteaux singularisent encore un peu plus la proposition architecturale des deux concepteurs. En déjouant ainsi les repères et en estompant les limites, ce jeu savant d’ordonnancement fusionne en un tout indivisible l’ornementation de la fenêtre avec celle de la façade tout entière.

Suivant une même logique d’écoconception, l’isolation intérieure des façades est assurée par un béton de chanvre (mélange de fibres de chanvre, de chaux aérienne et d’eau) directement projeté sur la pierre, taloché puis recouvert d’un enduit de finition à la chaux. Ce complexe isolant, naturel et perspirant, sert également de régulateur thermique et hygrométrique aux espaces « servis Â» des appartements. Les pièces humides et les gaines techniques sont regroupées dans une trame « servante Â» délimitée par les deux files porteuses de la charpente métallique. Ainsi, tous les logements, à l’exception des quelques studios, bénéficient d’une double orientation et d’un séjour donnant sur le cÅ“ur d’îlot situé au sud-ouest de la parcelle, pour y capter chaleur et lumière. La rugosité de l’enduit intérieur des murs de façade, le bois volontairement apparent des plafonds et les parquets en chêne massif qui recouvrent le chauffage par le sol stimulent la perception haptique des espaces, tout en accentuant leur destination domestique.

 

Ressources et territoire

Par leur approche constructive de la « projetation Â», plus systémique que radicale, Thibaut Barrault et Cyril Pressacco revendiquent une architecture qui assume sa modernité à travers une lecture raisonnée de l’histoire de l’architecture et des traditions constructives qu’elle véhicule ; mais ils développent également une pensée qui va bien au-delà de la simple production pour s’étendre à la question de l’appartenance au territoire traitée sous l’angle des ressources et, d’une manière plus générale, à celle d’un développement durable porté par la culture, la temporalité et l’économie de moyens.

Bien que l’on trouve de la pierre en grande quantité sur tout le territoire de la métropole française, celle mise en Å“uvre dans le projet provient d’une carrière souterraine située à Sireuil, près d’Angoulême. Les deux associés justifient cette décision par le fait que la filière régionale d’Île-de-France n’est plus suffisamment active pour l’extraire, la transformer et la mettre en Å“uvre localement. L’entreprise compétente finalement retenue lors des appels d’offres étant située près d’Angers, il devenait plus économique, en matière de temps de transport, qu’elle soit extraite au plus proche de son lieu de transformation. Conscients de cette contradiction, et forts de leur nouvelle expertise, les deux architectes se sont engagés depuis dans une démarche de recherche personnelle qui vise à vérifier si leur expérience de la construction en pierre à Paris est communément reproductible à l’échelle du territoire, particulièrement du point de vue des coûts de construction ; d’une part en sensibilisant les différents acteurs de la construction aux vertus de ce matériau, et d’autre part au travers d’une analyse poussée du cycle de vie (ACV) de la pierre calcaire, comparativement aux autres matériaux de gros Å“uvre. S’atteler à réactiver les filières locales endormies constitue, selon eux, le fer de lance d’un développement éthique, avant d’être durable, de la construction.

L’agence Barrault-Pressacco n’est pas particulièrement favorable à un objectif de labellisation systématique, trop souvent fondée sur une recherche de performance plutôt que de cohérence globale du projet primé. À l’initiative du maître d’ouvrage, ce projet atypique a pourtant obtenu le label « biosourcé Â» du fait de la forte présence du bois et du béton de chanvre, ainsi que le label BBCA – qui valorise toutes les démarches « bas carbone Â» d’un ouvrage – grâce à la nature par essence « décarbonnée Â» du matériau pierre et à l’utilisation d’un complexe photovoltaïque installé en toiture, en complément des chaudières individuelles au gaz.

Si l’image renvoyée par le projet peut surprendre, ou du moins questionner, par la vision très personnelle qu’elle illustre d’une réactualisation de l’architecture parisienne en pierre massive, elle démontre précisément, et sans fioritures, l’enjeu, pour les concepteurs d’aujourd’hui et de demain, de reconsidérer la matière, sa transformation et sa mise en Å“uvre comme l’un des fondements incontournables d’une architecture objectivement humaniste. « La pierre, après avoir été simplement matière, devient matériau, et assume son épaisseur théorique et cultivée, considèrent Thibaut Barrault et Cyril Pressacco. Elle se charge, après extraction de son sol et des carrières, d’une nouvelle mission porteuse de sens et de signification. Â»



Maîtrise d’ouvrage : RIVP
Maîtrise d’œuvre : Barrault-Pressacco architecte mandataire 
BET structure et thermique : LM Ingénieur
BET fluides : Atelux
Acoustique : QCS Services
Économie : ALP Ingénierie
Entreprise générale : Tempere Construction
Mise en Å“uvre pierre : Bonnel
Transformation pierre : Ateliers Lithias
Carrière : France-Pierre Poitou-Charentes/La Carrière de Brétignac
Programme : 17 logements sociaux et un commerce
Surface PLA : 1280 m2
Coût : 3,1 millions d’euros HT
Calendrier : concours octobre 2012, livraison 2017

-<br/> Crédit photo : DELVAUX Maxime La cour intérieure est traitée en simple jardin d'agrément sans jouissance particulière.<br/> Crédit photo : Giaime Meloni Le rez-de-chaussée en béton armé poncé réinvente le soubassement parisien, traditionnellement réalisé dans un autre matériau que les étages courants, tout en revendiquant la modernité de l'ouvrage.<br/> Crédit photo : Giaime Meloni Le bois apparent des plafonds en CLT fait écho à celui des parquets en chêne massif qui recouvre le réseau de chauffage par le sol.<br/> Crédit photo : Giaime Meloni -<br/> Crédit photo : GUILLAUME Clément

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