Architecte : Herzog & de Meuron Rédigé par Jean-François CABESTAN Publié le 21/06/2022 |
C’est de longue date que les plus grandes signatures redonnent un second souffle à l’existant, et on découvre peu à peu que les modernes eux-mêmes n’ont pas dédaigné l’exercice. De son côté, la critique – sou- vent issue du monde de l’architecture et plus anciennement des Énsa, assez indifférentes à ces questions – est parfois mal à l’aise vis-à-vis de l’éthique et de la réinterprétation d’un déjà-là. Certains vont jusqu’à douter que le projet et l’invention architecturale puissent réellement se donner carrière à l’intérieur d’un cadre déterminé, opération qui implique une empathie avec l’ensemble dont on se propose de prolonger l’existence.
Rapiéçages, ablations, augmentations, détournements voire façadisme recouvrent des actions très contrastées sur l’existant, susceptibles d’engendrer un panachage vertueux ou calamiteux, selon les cas. Opposer le patrimoine et la modernité, les édifices protégés et ceux qui ne le sont pas, le passé et le présent est inopérant. À l’instar des maîtres d’œuvre qui s’y sont collés, et ce, depuis les origines, il s’agit aujourd’hui comme autrefois de se mesurer aux épaisseurs et stratifications d’une histoire longue et sinueuse. C’est la mission que s’est fixée l’agence Herzog & de Meuron à Colmar où, forts de leurs nombreuses expériences en la matière, les architectes ont eu à cœur de répondre de manière pondérée et savante à une commande qui, dans ce cas, n’aspirait nullement à la métamorphose de l’ensemble concerné en un flagship culturel.
Les intentions et la vraie réussite du projet d’extension du musée ont été détaillées lors de sa réouverture dans les colonnes du magazine d’a (n°242 – mars 2016). En résumé, l’opération a consisté à additionner et à réunir deux enclos. L’un est d’origine médiévale : l’ancien couvent de dominicaines, reconverti en musée dès 1853. L’autre a été créé de toutes pièces, à la faveur d’un dialogue institué entre des bâtiments hétéroclites réinvestis, désormais regroupés en une unité foncière indentifiable, close de murs habilement reconstruits selon d’anciens tracés. Une galerie muséale souterraine connecte les deux entités. Découverte et rendue à la vue, la portion de la Sinn canalisée et le traitement circonstancié des sols et des quais participent de la définition de tout l’espace public de l’entre-deux. Au centre de gravité de l’ensemble recomposé émerge le fantôme d’un ancien moulin, qui s’élevait jadis à cet emplacement. De l’ordre du capriccio architectural, sa double fonction de signal et de périscope pour la galerie enfouie contribue à l’ancrage de l’ensemble recomposé dans les stratifications de ce morceau de territoire. La grande aile construite en limite de parcelle, propre à contenir l’important linéaire de cimaises qui faisait défaut, offre le même caractère d’abstraction architecturale. En dépit de sa taille imposante, elle s’évanouit dans le rôle de fond d’écran, apte à fédérer les divers bâtiments réhabilités au-devant. On la croirait amputée au sud, tant sa terminaison caparaçonnée de tôle – mi-toiture, mi-éperon – relève à la fois de la ruine, d’une maçonnerie cautérisée, et de l’imaginaire poétique de l’inachèvement d’une campagne de travaux suspendue.
Ces actions de recomposition s’accompagnent de l’invention d’éléments d’écriture inspirés par la physionomie du couvent médiéval et de ses collections. On notera l’allusion transparente et l’interprétation à certaines formes du passé, dont l’arc brisé ou ogival. Disséminés dans tous les bâtiments, ces arcs trouvent une matérialisation surprenante – appareillés en tas de charge, ils ont donné lieu à des dessins d’exécution et des calepinages d’une étonnante complexité – qui relève d’une logique étrangère aux savoir-faire du Moyen Âge. Les deux escaliers hélicoïdaux à jour central qui se font écho d’un enclos à l’autre sont certes une citation de dispositifs anciens, si ce n’est qu’ils sont faits de matière coulée. Départ, limon, garde- corps, coquille et murs de cage se fondent en un continuum ascensionnel saisissant. La logique constructive de ces ouvrages relève du coffrage et du ferraillage, dont il résulte des formes sculpturales, d’une déli- cate sensualité. Visibles des seuls connaisseurs, ces mises en œuvre n’en participent pas moins à la puissance expressive et au caractère métaphysique des additions et interventions pratiquées.
À l’écart de la tradition italienne qui, sur le sol français, imprègne aujourd’hui encore très fortement la profession, les Bâlois proposent à Unterlinden un type d’intervention original, d’une douceur assez inédite chez eux, qui distingue notamment cette opération des sept autres projets de transformation remarqués. Faisant fi de tout ce qui, sous l’influence combinée de la charte de Venise et d’une forme de rationalité déconstructiviste, signe de manière démonstrative et parfois entêtante l’intervention en milieu bâti, l’agence Herzog & de Meuron invente à Colmar une manière dont on ne pourrait que se réjouir qu’elle fasse école.
Maîtres d'ouvrages : Ville de Colmar
Maîtres d'oeuvres : Herzog & de Meuron : Jacques Herzog, Pierre de Meuron, Christine Binswanger (associée en charge), Christoph Röttinger (associé, directeur de projet), Christoph Leblond et Marco Zürn (manageurs du projet) – BET : Artelia (structure) ; Échologos (acoustique) ; C2BI (économie) ; PP Engineering, Prof. Jäger (BET façade) ; Arup (consultant lumière) ; New ID (signalétique) ; Cap Vert Ingénierie (consultant paysage)
Surfaces : 14 385 m2 (totale), 7 700 m2 (construit)
Coût : 47 millions d’euros TTC
Date de livraison : 2016
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