Groupe scolaire intercommunal à Saint-Denis, 2011 |
Vincent Parreira défend une architecture qui se veut généreuse et sensorielle, et dont la dimension décorative est plus qu’assumée : revendiquée. À Paris et en Île-de-France – moins souvent ailleurs –, ses projets sont le reflet d’une personnalité enthousiaste et sans concession. Condensés d’affect, ses bâtiments refusent la discrétion sans jamais céder à la prétention. Face à l’adversité et à la complexité du métier, l’architecte franco-portugais préfère tenir l’ennui à distance en lui opposant depuis 2000, année de naissance d’AAVP architecture, une rage constructive et communicative. |
En guise de carte de vœux, Vincent Parreira envoya en
ce début d’année 2018 une photographie en noir et blanc, sérigraphiée sur un
papier aérien et transparent, jouant volontairement de l’équivoque avec le mot
« extase » ou toute autre interprétation laissée à l’appréciation de
chacun. En 2013, il publiait Dans le pli d’un drapé1, un catalogue raisonné en trois actes au format souple, impossible à
ranger dans une bibliothèque. Dans son agence, grigris et souvenirs en tout
genre s’accumulent et dopent son inspiration. Sur son site Internet, une photo
des rappeurs de Run-DMC s’affiche là où l’on attend celle de l’architecte.
Ainsi va Vincent Parreira, empruntant les chemins de traverse et partant du
principe qu’il n’est pas nécessaire d’être convenu et habillé en noir pour être
pris au sérieux. Son leitmotiv ? « Sensualité, envie, plaisir et
mouvement », auquel on pourrait ajouter l’engagement et l’énergie. Une
chose est sûre, il n’a pas envie de s’ennuyer et bénéficie en retour d’un
capital sympathie à toute épreuve.
Né en 1969, en Seine-Saint-Denis, Vincent Parreira a
hérité par son père artisan-maçon de la double nationalité franco-portugaise. Ce
dernier lui donnera le goût du chantier. S’ensuit un parcours atypique :
un lycée professionnel où il suit un BEP génie civil, puis un brevet de
technicien de collaborateur d’architecte, pour finalement atterrir dans
« la plus belle ville du monde », à l’École d’architecture de
Paris-La Villette, dont il sort diplômé en 1995. Un passage chez Périphériques
et un détour de trois années au Brésil plus tard,, il crée AAVP Architecture en
2000. Fin du premier acte.
Il s’installe dans un ancien garage qu’il réhabilite
dans le 11e arrondissement, cité de l’Ameublement. Dix-huit ans
après, il vient d’agrandir son agence en investissant l’étage du dessus,
fraîchement libéré par le déménagement de l’agence Hardel Le Bihan.
« Je manquais de place pour installer un babyfoot et un hamac »,
plaisante-t-il, bien qu’il y ait une certaine vérité dans l’anecdote. Une
trémie percée et un escalier plus tard, voilà les deux niveaux réunis, deux
salles, deux ambiances. Une façon de renouveler l’espace mais aussi de bousculer
les habitudes, de « remettre du sens dans la façon de travailler dans un
lieu qui appartient à tous ». Tout juste majeure, l’agence compte
aujourd’hui une petite vingtaine de personnes. « Vingt cerveaux qui
peuvent raconter une histoire. Je ne veux pas perdre cette richesse d’être
vingt. J’“achète” leur fraîcheur, leurs idées, pas leur capacité à dessiner un
détail. »
Tout ne tient qu’à un fil
Face aux difficultés du métier, pas plus qu’un autre,
Vincent Parreira n’échappe à la règle. « Il est de plus en plus difficile
de faire de l’architecture. Le marché bascule désormais vers la promotion
privée, la commande publique suit la tendance. Il faut sans cesse réexpliquer
son rôle, s’armer de pédagogie. J’ai l’impression de me battre tout le temps.
Pourquoi notre discours est-il si peu entendu ? Et pourquoi la confiance
est-elle si peu atteinte ? Ma génération, celle qui approche des
50 ans, a pourtant fait ses preuves. Étonnamment, ça ne suffit pas. Je
pense que nous devons être encore plus force de propositions. Même si c’est
difficile, cela reste intéressant d’être dans une reconquête perpétuelle de son
métier. »
En 2011, Vincent Parreira livre le groupe scolaire
intercommunal Casarès-Doisneau dans le quartier de la Petite-Espagne à
Saint-Denis, une opération de 7 000 m2. Un quartier au
contexte socioculturel complexe, un site industriel empreint de mémoire,
« un programme aussi magique que celui d’une école » : voilà en
somme l’équation qu’il a fallu résoudre. « Une vraie bataille »,
selon l’architecte, menée avec un projet « volontairement puissant »
pour affronter le contexte et « créer un lieu dans lequel les enfants vont
garder leurs plus beaux souvenirs ». Les écoles sont un sujet de
prédilection de l’agence. À Montévrain, elle vient de livrer le groupe scolaire
Louis-de-Vion. « Ce que nous demandons à l’architecture, dit Vincent
Parreira, c’est de garder sa naïveté, de se détacher de toutes les
manipulations et de donner à l’enfant l’espace qui lui est dû. » Un défi
dans les programmes d’équipements scolaires où les normes de sécurité vont
jusqu’à prendre le pas sur le bon sens. Il sait que dans ce métier tout ne
tient qu’à un fil et qu’il faut être pugnace. Comme à Mantes-la-Ville où, entre
barres de logements sociaux et zone pavillonnaire, la construction d’un groupe
scolaire s’est transformée en acte de résistance face, entre autres maux, à
l’élection d’un maire FN durant le chantier, en désaccord avec le projet. Il en
faut néanmoins plus pour le décourager. Il le dit souvent, la rage est son
moteur.
Du but à la manière
Avec l’Atoll en 2012 à Angers, Vincent Parreira
bouscule les poncifs du centre commercial. Cet écoparc commercial HQE prend la
forme d’une ellipse enveloppée d’une résille en aluminium perforée et nacrée,
tordant le cou à la fatalité de la France moche et de ces zones périphériques
systématiquement ratées. Il s’est associé pour l’occasion à Antonio Virga.
Depuis leurs débuts, l’architecte milanais et lui unissent régulièrement leurs
forces pour réveiller – par exemple – la Résidence du Portugal de la
Cité internationale universitaire de Paris, en 2007. Enveloppé d’une résille
dorée, le projet avait jeté les bases d’un goût pour l’ornement qui va
s’affirmer comme un élément déterminant de l’écriture de l’agence. Des
collaborations qu’il mène aussi avec les frères Aires Mateus, comme dans la ZAC
de Clichy-Batignolles où il vient d’achever une opération de 172 logements
avec des commerces et des espaces partagés en bordure du nouveau parc
urbain Martin-Luther-King.
À Saint-Denis comme à Angers ou à Montévrain, les
réalisations de Vincent Parreira savent attirer la curiosité du spectateur.
Apporter une valeur ajoutée à la ville lui semble « le minimum
obligatoire ». Chez lui, l’ornement n’est pas un crime et la beauté n’est
pas un mot tabou. « La matière n’a pas de honte à être décorative »,
dit-il. L’ornement engage une réflexion sur l’épaisseur, la matérialité. La
perception sensorielle d’un bâtiment est pour lui au moins aussi importante que
sa rigueur constructive.
Vincent Parreira fait partie des trop rares
architectes qui n’hésitent pas à s’enthousiasmer pour le travail de ses
confrères avec une admiration particulière pour les positions radicales,
engagées – Encore Heureux, Éric Lapierre, Lacaton & Vassal,
Mathieu Laporte, Francis Soler pour ne citer qu’eux. « Tant que ces gens
existent, je me dis que je peux encore rester vivant ! Ça me motive car
cela prouve que tout est encore possible. Je ne partage pas forcément leur
écriture architecturale – à chacun de nous de proposer des variations sur
le même thème – mais j’admire leurs démarches. » Il porte
l’enthousiasme en étendard, refusant de céder à la sinistrose ambiante et à la
banalité du quotidien. « L’architecture est un combat perpétuel mais
noble. Quand tu gagnes un concours, tu sais que la souffrance ne fait que
commencer. Parfois j’ai envie de tout envoyer balader. J’achète une bouteille
de vin et ça va mieux. J’ai même démarré une collection de poings
américains ! Même si j’ai l’impression de devoir faire mes preuves à
chaque fois, j’ai une immense motivation et un optimisme à toute épreuve. Je ne
suis pas du tout découragé. Je crois en une certaine rigueur et radicalité qui
confortent notre position d’architecte. Nous sommes vraiment utiles, nous
construisons l’image de la ville de demain. Je suis convaincu du bien-fondé de
mon métier. »
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