Une Villa Médicis à Montfermeil ? Concours pour le bâtiment principal des Ateliers Médicis, Clichy-sous-Bois, Montfermeil

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 05/05/2022

Encore Heureux

Article paru dans d'A n°298

Non, ce n’est pas un concours pour une extension de la Villa Médicis à Rome, mais pour la construction principale d’une institution culturelle implantée dans un territoire considéré comme déclassé, à la fois très proche et très lointain...

Clichy-sous-Bois, Montfermeil, deux noms de communes de la région parisienne qui claquent immédiatement comme des noms de grandes batailles. Les lieux des émeutes retransmises dans le monde entier qui donnaient en 2005 l’image d’une France à feu et à sang, en guerre contre une partie de sa propre population. Ces banlieues s’étaient révoltées à la suite du décès dramatique de deux jeunes adolescents. Fuyant un contrôle de police, ils s’étaient électrocutés en se réfugiant dans un poste électrique à haute tension.

Ce sont ces territoires déshérités que les Ateliers Médicis, fondés après les événements, cherchent à désenclaver intellectuellement, en faisant le pari de sortir de son isolement, au moyen de l’action culturelle, une population repliée sur elle-même. Pendant plusieurs années s’est développée l’idée de construire un lieu d’initiation, de formation, d’exposition et de création, s’appuyant sur des artistes de toutes nationalités et de toutes disciplines, invités en résidence sur le modèle de la Villa Médicis romaine. Plusieurs ministres de la Culture ont porté ce projet d’associer la population locale afin d’opérer un grand métissage culturel.

Après une gestation longue et difficile, une construction provisoire et démontable a été édifiée en 2018 pour préfigurer celle qui devra être mise en service en 2025, quand ce territoire relégué sera directement connecté à la région par la ligne 6 du Grand Paris Express. 

Le nouvel établissement sera situé à l’emplacement de la tour Utrillo – un immeuble de bureaux de treize étages construit par Jean Sebag en 1976 et spectaculairement sacrifié à coups de pelleteuse en 2017 –, en face de la future station de métro. Il sera entouré par un corridor végétal au nord, le tram à l’ouest, le grand axe arboré, l’avenue Paul-Cézanne, au sud, et une zone piétonne à l’est le liant à la cité des Bosquets de Bernard Zehrfuss, récemment requalifiée par Vincen Cornu. 

Quelles que soient les qualités des projets en lice, la plupart n’échappent pas à une certaine monumentalité qui les dote par défaut d’une signification presque coloniale, comme s’il s’agissait de reconquérir et de réannexer des territoires perdus de la République. Seuls, sans doute, les lauréats, par ailleurs auteurs de la construction provisoire de 2018, parviennent à enrayer ce phénomène et à offrir une structure en perpétuel devenir dans laquelle la population locale peut immédiatement se projeter... 

 

Accumulation 

Encore Heureux architectes (lauréats) 

Ce qui frappe d’emblée dans le projet des lauréats, quand on le compare à ceux des autres candidats, c’est qu’il se donne plus comme la réhabilitation d’un existant, d’un déjà là, que comme un bâtiment ex nihilo. 

Sans choisir ni trier, il semble se présenter comme une infinité d’intentions superposées, de corrections, de repentirs, et appeler les appropriations, les transformations, les customisations des artistes en résidence et de la population locale sans pour autant renoncer à être lui-même. Comme s’il s’agissait d’effacer le sentiment d’intimidation qu’un bâtiment neuf de cette ampleur ne peut qu’engendrer et d’affirmer avant tout son habitabilité. 

Ce projet se présente ainsi comme accumulation – un tas – d’éléments programmatiques : salles publiques, jardins suspendus, ateliers de création, salles de répétition. Une accumulation encore amplifiée par la diversité des enveloppes superposées et les matériaux utilisés pour leur mise en œuvre. Ainsi, les murs se composent d’abord de pierre massive puis de parois plissées en brique de réemploi, puis de bardages en bois et de sheds recouverts de zinc. Cette architecture non unitaire et non hiérarchique dans laquelle le « et » est toujours préféré au « ou » – elle n’est pas en pierre ou en brique, mais en brique et en pierre, et même en bois... – semble illustrer parfaitement le concept de struction tel que le définit Jean-Luc Nancy : un mot sans préfixe qui désigne des créations notamment architecturales contenant et dépassant les termes antagoniques de construction et de destruction... 

 

Plateau modulable 

Studio Muoto 

Beaucoup plus abstraite et architecturée, la proposition du Studio Muoto se présente comme une infrastructure, mais aussi comme une réflexion sur les trames génératives. Ainsi, l’édifice semble résulter de l’extrusion d’un carré de 55 mètres de côté environ, rigoureusement ponctué tous les 15 mètres par des éléments porteurs en béton. Son rez-de-chaussée s’offre comme un gigantesque plan libre, alimenté par des passerelles techniques et des faux-grills qui permettent d’en amplifier les transformations. Cette place couverte, à la fois accueil, salle de théâtre ou de concert, espace de répétition, atelier de création, plateau de tournage et salle d’exposition, peut se diviser au moyen de grands rideaux coulissant sur des rails. Autour de sa nef centrale en double hauteur et en partie éclairée zénithalement se distribue le premier étage, qui forme une nappe placentaire composée de bureaux et d’espaces servants nourrissant les activités du bas, au moyen de quatre plots de circulations. Tandis que la toiture, accessible, se déploie comme un espace supplémentaire ouvert à toutes formes d’expérimentations. 

Les façades carroyées et vitrées laissent apparaître les grands voilages argentés chargés de contrôler les échanges thermiques avec l’extérieur. Leurs savants drapés, qui veulent renvoyer aux rideaux de scène, donnent aussi des informations sur la destination du bâtiment. Ils dérobent ou dévoilent à la vue des passants l’espace piranésien de ce vaste atelier de création où tout semble possible. 

 

Ruche 

Sou Fujimoto architects 

Sou Fujimoto propose une construction iconique, presque carrée, de 40 mètres de large et de 30 mètres de haut, qui n’occupe que 40 % de la parcelle et rend possible le déploiement d’une séquence d’entrée. Cette structure se compose de poteaux et de dalles en bois sur lesquelles viennent se ranger, comme sur des étagères, des volumes en terre crue. Une collection de formes simples – cubes, cylindres ou pyramides tronquées... – qui savent cultiver un air de famille avec les pueblos mexicains. 

Les salles publiques se distribuent en spirale au rez-de-chaussée et à l’entresol, autour d’un vaste atrium central où la lumière tombe en cascade par les interstices entre les volumes contenant les ateliers de création et les espaces de répétition, ainsi que par une grande ouverture zénithale. Ce vide est animé par les volées droites où hémicirculaires des escaliers qui s’élancent entre les niveaux en présentant parfois d’audacieux porte-à-faux. Protégés de l’extérieur, les différentes salles s’ouvrent amplement ici sur des coursives, des passerelles, des balcons et des terrasses aménagées, parfois plantées, qui cherchent à favoriser croisements, rencontres et sérendipité. En toiture, des espaces de détente et de restauration s’ouvrent en belvédère sur la forêt de Bondy toute proche. 

Cette fragmentation, cette profusion d’éléments, accentue la profondeur de l’espace comme s’il s’agissait d’amplifier le moindre mouvement, le moindre geste pour donner à l’ensemble l’effervescence d’une ruche en activité. Un procédé récurrent qui porte la marque de fabrique de l’architecte japonais. 

 

Logo 

Marjan Hessamfar & Joe Vérons architectes associés 

Marjan Hessamfar et Joe Vérons optent pour une certaine verticalité et dissocient les espaces d’exposition et de représentation des ateliers de création et des salles de répétition. Les premiers viennent s’établir dans un socle presque carré – de 60 par 50 mètres environ – de part et d’autre d’une rue intérieure qui relie les deux entrées : face à la future station et sur l’avenue Paul-Cézanne. Les seconds s’enchâssent quant à eux dans une barre signal de 37 mètres de hauteur qui s’adresse au territoire alentour. Avec ses sheds en toiture, elle épouse très graphiquement la forme d’un lieu de production industrielle. L’ensemble est unifié par une ossature monumentale, composée de piliers et de poutres recouverts de panneaux de béton noir, qui tend à annihiler toute notion échelle. Un parti qui rappelle celui des lauréats, mais exprimé dans une écriture plus sèchement corporate.

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