Jürgen Nefzger |
Les images de Jürgen Nefzger ne dressent pas l'état des lieux d'un monde
toujours plus chaotique. Elles restituent une expérience d'un paysage
contemporain dont tous les éléments, même les centrales nucléaires, se
sont banalisés. Cet effacement du spectaculaire permet au spectateur
d'interroger l'essentiel, l'appropriation par l'homme de son
environnement et sa capacité d'adaptation aux situations les plus
diverses.
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Soumise à l'action de l'homme, la Terre change. Derrière la banalité absolue de cette affirmation se cache la transformation de nos imaginaires, souvent en décalage avec la réalité. Prenons un bois, un champ. Voici un paysage bucolique à la Hubert Robert, la correspondance parfaite avec un état nostalgique du territoire qui hante notre rapport au monde. Dans le fond de ce que l'on appellerait par défaut un tableau, se lève un nuage : en fait, une fumée échappée des tours de refroidissement d'une centrale nucléaire. C'est une photographie tirée de Fluffy Cloud, une série que Jürgen Nefzger vient de terminer. À travers l'Europe, il a examiné l'inscription de ces centrales dans le paysage, en Espagne, en Angleterre, en France... « Je suis influencé par une vision romantique, tout en reconnaissant qu'elle est aujourd'hui désuète. C'est le rapport au paysage qui m'intéresse, et les questions qu'il peut poser. Pour le cas des centrales nucléaires je voulais savoir ce qu'il y avait, au pied de ces centrales, disséminées partout sur le territoire – même à 50 kilomètres de Paris. » La coexistence avec ces objets honnis semble s'organiser pacifiquement. « En Angleterre, je suis tombé sur un terrain de golf au pied des tours de refroidissement. Que l'on vienne pratiquer un sport au bas d'un tel équipement m'a beaucoup interrogé. À mon avis, cela pose des questions sur notre monde, comment on l'habite, ce à quoi on s'habitue... »
Ces impensés du territoire et leur banalité sont des figures récurrentes dans les photos de Jürgen Nefzger : dans Les portes du royaume, série réalisée en 1997, il a photographié les étapes de construction de lotissements pavillonnaires jouxtant le parc d'Eurodisney. Le regard qu'il pose n'est pas une dénonciation directe et univoque de ces objets mais porte vers une polysémie de l'image : « J'ai mon point de vue sur les centrales nucléaires ou le pavillonnaire, mais je me tiens en retrait de mes propres opinions. Pour être réussie, une photographie doit avoir plusieurs niveaux de lecture, articuler une dimension esthétique à un discours. C'est un équilibre difficile. »
Les habitants du paysage
Après William Eggleston, en 2005, Jürgen Nefzger est allé photographier Dunkerque à l'invitation de la Ville, en 2007*. « Je connaissais déjà un peu le site, ses usines, sa zone portuaire... Je partais avec l'idée de faire des photos très noires, sous la lumière d'un ciel bas et lourd. » Il découvre au contraire une lumière très douce, qui prend une grande place dans les images de la série, et il s'intéresse de près aux habitants de la région. « J'ai photographié les gens durant leurs temps morts et leurs périodes d'inactivité. Je me posais la question : où va-t-on à Dunkerque pendant ses moments de loisirs ? Le grand absent de la série, c'est le travail. »
La réponse se trouve du côté des friches urbaines et des espaces intermédiaires évoquant les décors de films tels que Désert rouge d'Antonioni ou, dans une moindre mesure, Stalker de Tarkovski, la dimension dramatique en moins. Si les signes et les cicatrices de la civilisation industrielle sont présents dans les images, sous forme de déchets ou de ruines, la présence humaine les relègue au second plan et entraîne un changement de registre : « ce ne sont plus des photographies de paysages mais des images de l'homme dans le paysage ». En restituant les différentes expériences vécues dans ce paysage – l'attente passive du pêcheur ou les jeux guerriers des amateurs de paint ball –, les images illustrent les divers moyens qu'invente l'individu pour recréer son espace à travers sa pratique, selon un mécanisme observé par Michel de Certeau dans son ouvrage L'Invention du quotidien. On peut en dégager une note d'optimisme ou une réflexion sur la capacité d'adaptation de l'espèce humaine à son environnement : dès qu'il se décide à investir son espace, l'habitant prend toujours le dessus.
* Les travaux réalisés lors de cette résidence sont présentés à Dunkerque jusqu'au 2 mars 2008 dans deux expositions : War Games, LAAC, Jardin des sculptures (tél. : 03 28 29 56 00) et Jürgen Nefzger, Dunkerque, musée des Beaux-Arts, place du Général-de-Gaulle (tél. : 03 28 59 21 65). Catalogue éponyme aux éditions Musées de Dunkerque/Archibooks, 28 euros.
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