Architecte : Atelier Seraji, ECDM, Éric Lapierre Rédigé par Richard SCOFFIER Publié le 03/05/2018 |
La
rénovation du dépôt de bus de la RATP de Montrouge témoigne de l’habile politique
urbaine de la RATP, qui consiste à maintenir au cœur de la capitale les zones de
maintenance indispensables à l’entretien de son réseau tout en répondant à la
pression foncière. Elles sont ainsi enrobées de constructions nouvelles introduisant
une mixité programmatique et favorisant l’insertion de ces enclaves
industrielles dans l’espace urbain.
Après plusieurs années de gestation, le
centre de bus de la porte d’Orléans totalement rénové et paré de ses nouvelles
constructions vient d’être livré. Ce site, conçu pour le garage et la
maintenance des hippomobiles puis des tramways, est depuis longtemps affecté aux
autobus. Retranché en cœur d’îlot, il conservait avant sa réhabilitation des zones
de contact avec les espaces publics : l’entrée du dépôt, précédée d’une
cour sur la rue du Père-Corentin ; un mur percé de hautes prises de
lumière sur le boulevard Jourdan, et des ateliers sur la rue de la Tombe-Issoire.
Une étude de faisabilité a d’abord été commandée à l’agence ECDM (Emmanuel
Combarel et Dominique Marrec), qui avait déjà collaboré avec la RATP, notamment
pour le centre de bus de Thiais. Cette étude prévoyait de préserver l’une des
grandes nefs métalliques et de construire autour. Rue du Père-Corentin, deux
immeubles de logement au-dessus des voies d’accès des autobus, boulevard
Jourdan, des logements sociaux sur une partie du dépôt reconstruit, et enfin rue
de la Tombe-Issoire une longue barre destinée à accueillir une résidence
universitaire…
Une
organisation centrifuge
Les trois projets portés par Logis Transports,
la filiale immobilière de la RATP, ont pratiquement été conçus chacun dans leur
coin. Le marché du premier a été signé avec les architectes en charge de la
faisabilité, tandis que les deux autres ont trouvé leur concepteur à la suite de
concours organisés séparément. Ainsi ces extensions ne se sont pas développées
autour de leur socle commun – le dépôt des bus –, avec lequel elles
auraient pu entretenir des relations quasi organiques afin d’obtenir une
composition homogène et centripète (la grande nef longtemps préservée a
pourtant disparu en cours d’étude, impliquant la reconstruction de la totalité
de l’emprise). Mais chacune a été happée par son contexte, comme s’il lui
fallait trouver impérativement sa raison d’être dans les ambiances urbaines
très différenciées dans lesquelles ce Léviathan était immergé. Aussi Emmanuel
Combarel et Dominique Marrec ont-ils réfléchi à une construction à la fois furtive
et imposante pour répondre aux différences d’échelles importantes des
constructions qui l’entourent : d’un côté, des immeubles des années 1960, de
l’autre, des maisons ouvrières. Au-dessus du boulevard Jourdan, marqué au sud
par l’ample scansion des blocs en brique des HBM, Nasrine Seraji organise un
fragment de tissu urbain composé d’un plot mitoyen et d’une construction
massive autour de sa cour carrée. Tandis que sur la rue de la Tombe-Issoire – dont
l’angle sur le boulevard est marqué par un garage Citroën Art déco et qui
débouche sur le Collège néerlandais de Marinus Dudok –, Éric Lapierre se
lance dans une réflexion sur les fondamentaux de la modernité.
Le
visible et l’invisible
L’agence ECDM a conçu les deux
immeubles de logements qui se succèdent pour franchir en pont les voies d’accès
au dépôt des autobus. Leurs morphologies sont similaires, elles prennent l’aspect
de hautes pyramides sculptées par la réglementation urbaine et renvoient aussi
bien aux études des gratte-ciel d’Hugh Ferriss pour New York qu’aux
gradins d’Henri Sauvage et à son travail sur la profondeur. Ici les bases de
ces pyramides font parfois plus de 23 mètres de large, ce qui a suscité
une réflexion sur les zones d’ombre pouvant être affectées à certaines pièces
pour des activités qui ne réclament pas d’éclairage naturel.
Mais ces deux constructions restent
cependant distinctes. La première, blanche, est pensée pour être vue ;
tandis que la seconde, noire et massive, semble presque tactile. Ce qui frappe
d’emblée dans la première, c’est la manière dont on la perçoit selon que l’on
descende ou que l’on remonte la rue : d’abord presque arrogante, elle devient
très modeste comme dans un tour de prestidigitation ou dans une composition
Op Art. Elle s’inscrit très précisément sur l’alignement alors que l’immeuble
des années 1960 et les maisons ouvrières qui l’entourent sont en retrait et s’orientent
anarchiquement. Cette position lui permet d’un côté d’être presque vue de trois
quarts et de s’affirmer comme un volume contre les dix étages existants pour
mieux les contenir. Tandis que, de l’autre côté, les grandes terrasses
orientées au nord viennent interférer avec le retrait régulier des jardinières
afin que seule la base vienne toucher les maisonnettes d’un autre âge, pour
mieux les rappeler dans l’ordre urbain.
La seconde construction frappe par sa
puissance. Conçue à l’origine pour habiller la façade de la halle qui devait
être préservée, elle a su se développer, une fois celle-ci supprimée, pour
persévérer dans son être et trouver sa plénitude. Une masse tellurique tranchante
comme un couteau qui se baisse à l’ouest pour permettre l’ensoleillement de la
face arrière de l’immeuble sur rue et s’avance à l’est en porte-à -faux
au-dessus du dépôt. Un mouvement érectile souligné en coupe par le tracé de l’escalier
droit qui monte en oblique et coupe le bâtiment sur toute sa longueur. Cette
organicité est encore renforcée par le revêtement d’écailles en zinc prépatiné
qui se modifie en fonction des variations de la lumière, tandis que de
profondes loggias viennent creuser comme autant d’ouïes les parois latérales.
Comme si cette forme déterminée à l’origine par de multiples contraintes
extérieures – constructives, contextuelles, réglementaires – trouvait
in fine au fond d’elle-même le
secret de sa propre existence.
Ville
haute
L’étude de faisabilité et la plupart
des réponses de la consultation lancée en 2007 – notamment les projets de
Manuelle Gautrand, Abalos & Herreros ou Dietmar Feichtinger –
prévoyaient des doubles barres, des plots en quinconce ou des peignes
soulignant l’interface entre le centre de maintenance et l’espace public.
Nasrine Seraji prenait le problème autrement en considérant les locaux de la
RATP non comme une construction contre laquelle il fallait s’adosser mais comme
un sol sur lequel il fallait se fonder. Un sol actif, comme l’est désormais
partout le sol parisien avec ses réseaux, ses canalisations, ses tunnels…
Sa proposition s’épanouit comme un
fragment de tissu urbain composé d’un plot et d’une place carrée, tandis que
les différentes strates programmatiques qui composent son socle s’affirment
comme autant de couches géologiques visibles depuis le boulevard. D’abord, les
grilles de ventilation – qui permettent l’aération des zones de
maintenance – scandée par les halls d’entrée, puis la crèche de la Ville
de Paris, en partie construite en placard devant les deux plateaux de parking
public. Enfin, les garages à vélos largement ouverts qui marquent le niveau de
la place en belvédère au-dessus de laquelle s’élèvent les logements et leurs
balcons plissés. Cette place accessible aux vélos mais pas aux autos est connectée
au boulevard par une rampe pompier en hélice qui assure aussi la desserte des
parkings. Elle cherche à s’affirmer comme un véritable espace public, traversé
par les occupants des ailes est, ouest et nord qui n’ont pas d’accès direct Ã
la voirie.
C’est aussi un projet protéiforme capable
de renvoyer des images différentes de lui-même en fonction des contextes et de mettre
ainsi en abyme l’ensemble de l’opération. Sur le boulevard, il se présente
comme une puissance tellurique qui dessine une ligne de crête coupée par un col
pour mieux se raccorder aux bâtiments existants. Au nord, sur le jardin, la
masse principale sait s’affirmer comme un objet aux façades galbées et chemisées
de métal pour dialoguer avec la lame d’ECDM et la machinerie
néo-constructiviste d’Éric Lapierre. Enfin la cour avec ses balcons et ses loggias
en saillie se donne comme un espace de convivialité. Sa fermeture est tempérée
par plusieurs ouvertures sur l’extérieur, dont une grande faille qui lui imprime
un mouvement spiral inverse de celui de la rampe d’accès.
Générateur
social
Le projet d’Éric Lapierre répond
encore à un autre contexte, plus intellectuel, plus mental : celui du
parcours moderniste du 14e arrondissement. Un parcours qui se
donne pour cet architecte, à la fois enseignant et auteur, comme une remontée
aux sources de la modernité. Plus bas, avenue Reille, dort toujours l’atelier
Ozenfant, tandis qu’à l’embouchure de la rue sur le boulevard se dresse le Collège
néerlandais de Marinus Dudok et qu’enfin des profondeurs ombragées de la Cité universitaire
surgissent les Pavillons de la Suisse et du Brésil.
Son projet s’inscrit ainsi résolument
dans le monde des Cités radieuses et autres Générateurs sociaux, comme la très
radicale maison commune des étudiants de l’industrie textile réalisée par Ivan
Nicolaïev à Moscou en 1930. Un ensemble dont les chambres étaient réduites au
minimum – 6 m2 – pour permettre le déploiement de
multiples équipements publics intégrés – vestiaires, bains, cantine,
salles d’études – et reconstruire socialement les individus. Mais
rassurez-vous, bien que tout aussi implacablement précis, le projet d’Éric
Lapierre reste cependant moins militaire et plus festif que celui du
constructiviste russe.
La largeur des chambres a été réduite
à 2,5 mètres pour une profondeur de 8 mètres, et on pourrait dire que
tout le reste découle de cette décision fondamentale. Cette faible largeur
induit des cellules-couloirs réclamant, pour être éclairées, d’être
complètement ouvertes sur l’extérieur. D’où la façade uniformément vitrée et
plissée pour individualiser chaque habitation. Un dispositif qui implique à son
tour le système des frontons inversés pour répondre à la réglementation
concernant la propagation des incendies. Mais l’étroitesse des cellules permet surtout
une grande compacité et libère des surfaces pour multiplier les espaces
communs. Ainsi cette accumulation de presque 400 chambres est obliquement découpée
en deux par une grande faille oblique composée d’une cascade de salles de
réunion en gradins, largement éclairées par la lumière de l’est et de l’ouest.
Cette faille appelle ensuite l’un des ascenseurs à sortir de sa gaine pour
desservir ces paliers à la manière d’un funiculaire. Ces espaces sont
poursuivis à l’extérieur par de petites cours fermées et carcérales,
recouvertes de bitume comme tous les sols publics du bâtiment.
Tous les éléments sont étroitement
solidaires : aucun carénage et (presque) aucun masquage. Ce qui n’empêche
pas ce squelette d’établir de nombreuses correspondances avec d’autres champs
artistiques. L’architecte, lui, veut y voir un hommage à La Jetée de Chris Marker. Ainsi le texte du film vient-il
laborieusement s’inscrire sur les contremarches de l’escalier extérieur… D’autres
établiront des relations avec les gravures de Piranèse, avec les installations
de Gordon Matta-Clark ou avec Prisonniers
volontaires de l’architecture, la dystopie de Rem Koolhaas.
Mais en fin de journée, les étudiants
semblent y voir encore autre chose quand ils montent sur la terrasse et
viennent s’asseoir sur les cheminées pour regarder le soleil se coucher comme
autant d’anachorètes new age. Et
l’on peut se demander avec curiosité quel type de vie sera favorisé par cet
étrange générateur qui semble, comme le Golem de la fable, avoir déjà échappé Ã
son maître…
Atelir Seraji
Maître d’ouvrage : Logis Transports
Maîtres d’œuvre : Atelier Seraji Architectes et Associés (ASAA)
BET structure : Khephren Ingénierie
BET fluides : Alto Ingénierie
Économiste : MDETC et Bureau Michel Forgue
Sécurité incendie et accessibilité : Casso &
associés
BET ingénieur acoustique : LASA
BET façades : VS-A Robert-Jan Van Santen
Éric Lapierre :
Maître d’ouvrage : Logis Transports
Maîtres d’œuvre : Éric Lapierre Expérience
BET structure : Batiserf Ingénierie
BET fluides : Alto Ingénierie & Inex
Économiste : Bureau Michel Forgue
Calendrier : consultation 2007 ; livraison
2018
Maître d’ouvrage : IMMOBILIERE 3F / EPA ORSAEquipe de maîtrise d’œuvre :ARCHITECTE : DE JEAN … [...] |
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