Architecte : Metek Rédigé par les architectes Publié le 17/01/2018 |
Dans cet ensemble immobilier, conçu et réalisé par l’agence d’architecture Metek (Sarah Bitter avec Christophe Demantké), l’intention architecturale est avant tout sociale : réinventer une cour urbaine partagée par tous les habitants tout en individualisant chaque pas de porte. Créer des circulations qui favorisent les rencontres entre voisins, qui relient - à l’image des habitants - des bâtiments d’origines et de natures différentes : un immeuble faubourien et une ancienne halle industrielle (du 19e siècle) ainsi que trois bâtiments nouvellement érigés. Ces derniers revêtus de cuivre gold reprennent la pose traditionnelle du zinc parisien tout en inscrivant l’opération dans la modernité.
Les locataires chanceux de la rue de Crimée. Anticipations après une fin de chantier.
Texte de Jean Attali
Si le beau titre littéraire Paris est une fête pouvait avoir conservé son sens dans la ville du 21e siècle, ce serait par déplacement de son centre de gravité, depuis les cafés de Montparnasse vers cet ancien quartier industriel à travers lequel le cinéaste André Sauvage suivit autrefois l’entrée des barges et des péniches, au coeur du quartier de la Villette. A deux pas du pont élévateur enjambant le canal de l’Ourcq, et derrière un ensemble faubourien rénové, un coeur d’îlot étroit et long est bordé désormais d’un immeuble et de deux pavillons neufs. Ils illuminent de leur couverture brillante et de leur peau de cuivre les fenêtres de leurs proches façades, suspendant leurs balcons, leurs terrasses au-dessus de la cour pavée, comme penchés vers le creux intime d’un univers à la fois domestique et urbain. Dans la polyphonie parisienne nulle part aussi riche peut-être qu’en ce milieu du 19e arrondissement, les fenêtres des immeubles voisins regardent en plongée vers cette scène collective, tandis que la cour de l’îlot semble aspirer tout le concert de ses appartements superposés et emboîtés, vers le ciel de la ville et ses lumières alternées.
Le projet réunit les cours situées à l’arrière de deux lots contigus de la rue de Crimée. Il comprend la rénovation complète de l’immeuble faubourien le long de la rue et la réhabilitation d’une ancienne imprimerie en fond de parcelle. Entre ces parties anciennes, plusieurs constructions nouvelles donnent à l’ensemble son style et son éclat.
Au centre de la composition, un immeuble à R+4 présente une volumétrie dont les profils sont soulignés par une enveloppe qui couvre les toitures et les murs de façade, faite de feuilles de cuivre et d’aluminium assemblées à joints debout, selon la technique des couvreurs zingueurs de Paris – technique récemment inscrite à l’inventaire national des biens culturels immatériels. L’immeuble neuf est constitué de deux volumes joints par un escalier extérieur et des paliers en balcons sur la cour. Le premier volume est disposé en équerre de manière à ouvrir son pignon nord vers la cour de la parcelle voisine. Son revêtement est percé de grandes échancrures dégageant les balcons et terrasses donnant sur la cour principale et orientés au sud. La façade ouest communique avec le bâtiment sur rue par des plates-formes et un escalier commun.
Les circulations sont toutes placées en extérieur et regardent vers la cour, ménageant à la fois des continuités horizontales et des accès privatifs. Le second volume qui, comme le premier, présente une géométrie à pans coupés, voit ses balcons fixés en saillie au-devant de la façade, il est comme emboîté à son extrémité dans un socle secondaire supportant une terrasse ouverte à l’est de la toiture et aux vues bien dégagées.
La toiture à cinq pans et trois orientations souligne la volonté de faire écho à la variété des profils des immeubles voisins. La vêture dorée souligne l’originalité du projet, ses articulations multiples en plan et en coupe expriment le souci de se placer sans solution de continuité à l’intérieur d’un ensemble urbain plus vaste, fait de toutes les composantes du paysage architectural ancien ou récent, visible ici de tous côtés.
Face à cet immeuble double, deux pavillons à R+2, accolés au mur mitoyen et offrant plusieurs appartements en duplex, ouvrent sur des terrasses aux deux extrémités opposées, à l’est et à l’ouest. En rez-de-chaussée, les appartements aux baies généreuses semblent inviter à vivre de plain-pied avec la cour: on imagine sans peine les jeux, les fleurs en pot, les signes de vie partagée qui viendront en border les contours. Des deux côtés de la cour et se faisant face, l’immeuble et les pavillons se renvoient les reflets de leur robe dorée, les plis de la vêture descendent jusqu’au soubassement, celui-ci traité en parements de brique de couleur anthracite.
Suis-je venu en voisin, en ami, en philosophe, en critique d’architecture? Pendant les quelques deux années de la construction, l’architecte Sarah Bitter (Metek) m’a convié à des visites de chantier: la cour, les ateliers et les logements neufs ou rénovés de et îlot parisien, le 168 rue de Crimée. J’y ai vu l’ancien immeuble faubourien évidé comme une carcasse, le hangar du fond de cour ne conserver un temps que les traces sur ses murs de l’escalier détruit, et la charpente ouverte au-dessus du vide comme un large parapluie. J’ai vu s’élever les premiers murs de béton et s’arrimer les coursives de métal. J’ai compris peu à peu les figures dévoilées d’un dessin en plan, celui là si médité, si varié dans ses distributions, que mes venues successives m’y exposaient à des aventures spatiales à chaque fois nouvelles et surprenantes. Ce fut une lente métamorphose. Car qu’ai-je appris sur le chantier? Contrairement à un préjugé tenace chez les projeteurs superficiels ou idéalistes, le chantier n’exécute pas les plans comme si ceux-là n’avaient qu’à se concrétiser d’eux-mêmes dans l’épaisseur de la matière. Non, la construction n’est pas la projection d’un dessin, elle est la lente émancipation d’une oeuvre, depuis le milieu collectif et houleux où viennent se mesurer les unes aux autres les opérations de l’entreprise du bâtiment et de ses corps de métiers, du maître d’ouvrage et de ses représentants, du chef de chantier, du géomètre, de l’économiste, du vérificateur, sous la responsabilité continue et harassante de l’architecte. La construction arrache l’oeuvre à l’irréalité du projet, elle accomplit ce qu’aucun plan ne saurait produire par lui-même. Le chantier est action, il est aussi oeuvre de connaissance et de pensée, il donne forme, vie et sens à l’architecture, tandis que le projet, aussi longtemps qu’il reste séparé de son milieu de concrétisation, court le risque de s’étioler dans les limbes de l’intention, de ses rendus, de ses tracés et de ses images. N’avez-vous jamais vu la différence entre un dessin d’esquisse (il en est de très beaux, mais leur sens tient tout entier à leur virtualité) et un dessin d’exécution (qui assume l’âpreté du dialogue des matériaux et les rigueurs de la mise en oeuvre) ? De l’un à l’autre, on assiste à un retournement de l’attention, à un renversement de l’agencement : vient un moment où l’on ne peut plus regarder le bâtiment qui se construit d’après ses plans initiaux. Car ces mêmes plans s’interprètent désormais d’après le bâtiment lui-même, tout au long des étapes qui scandent le temps de l’édification. Le chantier est devenu la matrice du projet même. Visiter un chantier et le visiter plusieurs fois, c’est y faire l’épreuve du temps, c’est comprendre non seulement les contraintes du planning, mais l’étirement des durées propres à la fabrication et la stratification lente des constituants matériels du bâtiment : la structure porteuse, la vêture et ses différents registres tectoniques, les détails sans nombre qu’appellent tour à tour la composition des murs, l’étanchéité des baies et des façades, les qualités thermiques ou phoniques des planchers et des parois, la distribution des flux, l’efficacité des équipements techniques, etc.
Observer un chantier, c’est regarder ce que bientôt l’on ne verra plus : l’architecture est en bonne partie, invisible. Du moins son art est de livrer par les moyens de son langage constructif une idée suffisante de ses constituants revêtus ou masqués, une idée aussi nécessaire que difficile à saisir, des formes primaires et secondaires d’une ossature comme de ses attaches aux éléments de l’enveloppe. Mais la métaphore organique est trompeuse. Car ce que le chantier rend visible pour le visiteur, c’est d’abord la somme des travaux qui s’y accomplissent – et l’incompressible système de spécialisation qui distribue ses cahiers des charges dans l’espace et dans la durée. La création des ateliers, la construction de l’immeuble et des deux pavillons qui cernent la cour, l’ordre ingénieux des appartements, l’ouverture des balcons, des terrasses, disposant d’un étage à l’autre et d’une rive de la cour à ses bords opposés, la multitude de leurs plateformes et l’orientation de leurs vues, la pose des premiers vitrages, la brillance des façades dorées illuminant tout l’espace, le bois ligneux rythmant la devanture des ateliers, le grain rouge ou anthracite des parements de brique et le gris de galets des pavés de la cour, celle-ci peu à peu désencombrée de son énorme grue, de ses échafaudages, de ses machines, de ses lots de matériaux : tous ces mois de chantier, j’en ai suivi les étapes, dans un devenir lent, difficultueux, mais depuis le début tendu vers l’accomplissement. Dans l’étroitesse de la cour, en arrière de l’ancien immeuble sur la rue, trente et une habitations nouvelles, non pas reléguées mais honorées et magnifiées, festoyant aux quatre côtés d’un espace commun de souriante urbanité. Oui, le chantier est le précurseur d’une fête, quels que soient les imprévus, les retards, les déconvenues. Il met le courage en tête et l’espérance de la prochaine installation des habitants.
L’architecture de ces immeubles, pavillons et ateliers de cet îlot de la rue de Crimée, invente un théâtre familial et festif. Les appartements visités un à un pendant le temps de leur construction, et jusqu’aux dernières phases du chantier, m’ont offert mainte occasion d’interpréter l’architecture, d’en lire la partition, d’en comprendre les rythmes, d’en imaginer les vertus pour la vie des familles. Chaque locataire sera chez lui comme en sa maison, tous se sentiront proches, autour du portail d’entrée, de la cour principale et de la cour voisine élargissant encore ce partage de l’espace, de ces escaliers ouverts et de ces coursives privées. Les artistes, attributaires des ateliers aménagés dans l’ancienne halle réhabilitée, seront les commensaux actifs de cet espace commun. Car la dimension collective de cet ensemble d’habitations et de lieux de travail est ici volontairement assumée ; la signification publique de ce type de programme délibérément soulignée et défendue. Le principe des HLM ne se limite pas à la fourniture de logements aux ayant-droit. Il perpétue dans la ville la présence de locataires aux revenus modestes, préserve entre les mailles du marché immobilier l’espace nécessaire à la vie de ceux qui n’accéderont pas à la propriété. De sorte que se trouve posée en des termes renouvelés la question essentielle, si souvent travestie par l’économie marchande: qu’est-ce qu’être chez soi ?
Le discours public sur l’immobilier est dominé, voire confisqué, par la publicité commerciale, par le ratissage de l’épargne, par des slogans qui ne visent jamais d’autres allocutaires que les candidats à l’investissement et de futurs propriétaires. Le bonheur d’être locataire est un sujet tabou. Habiter Paris est un luxe, y être bénéficiaire de droits de location, a fortiori dans les programmes architecturaux novateurs favorisés par la Ville de Paris, un privilège plus grand encore. Sarah Bitter délivre ici un message puissant, fait de raffinement dans la composition et la construction, joint à une dédicace intime à l’adresse de chacune des familles attributaires. De sorte que le cumul d’appartements fraîchement livrés et d’une cohabitation urbaine, au milieu d’une rue populaire qui relie le canal de l’Ourcq et l’avenue de Flandre, le marché de Joinville et les commerces voisins, le parc de la Villette et le 104 à peine moins proches, forme une conjoncture exceptionnelle et une promesse de bonheur urbain pour le simplehabitant. Avec Sarah Bitter, au fil de mes visites, nous avons posé les termes d’une conversation qui place en vis-à-vis nos deux rôles opposés: le dialogue de l’architecte qui a construit et habite sa propre maison face au philosophe bien logé mais sans maison. Entre nous deux, l’habitat social collectif insère sa fonction médiatrice et son programme politique de mixité urbaine. Or, il n’est pas dit que le plus mal loti soit celui qui renonce à la propriété, dès lors qu’il est pourvu des garanties qui atténuent pour lui les risques du lendemain. Avoir un toit sur la tête, selon l’expression populaire, tel est le premier des besoins éprouvés par ceux qui ne détiennent aucun gage sur l’avenir. Mais la question n’est pas celle des rôles sociaux. Ceux-ci ne font que biaiser une discussion plus essentielle, et c’est à elle qu’implicitement participe le choix d’une architecture, à la fois sophistiquée et populaire.
Il faut admettre qu’être « chez soi » ne dépend pas premièrement d’un statut (propriétaire, locataire), mais d’une architecture; que ce « chez soi » n’a pas tant besoin d’une norme (un type formel, une conformité à un état de l’art) que d’un ensemble de qualités spatiales, lesquelles sont un rapport à un milieu de vie, à la fois « naturel » et social. Naturel, en raison des rapports de l’habitation à un milieu élargi, à l’air, à l’eau, à la présence de la lumière et des arbres… Social, parce que l’habitation n’est pas l’aménagement d’une solitude mais le seuil à partir duquel s’ordonnent l’une par rapport aux autres la sphère de la vie privée et les appartenances collectives.
Chaque individu a besoin d’un socle constituant – enfance et adolescence – sur lequel édifier les parois de son univers intime, et où percer les ouvertures de son commerce avec autrui. De ce milieu et de cette ouverture, l’architecture n’est pas le principe ni la condition. Elle en est plutôt l’accompagnement et l’expression. Elle fait suite à l’expérience de l’habitation, elle la signifie, elle en facilite voire en magnifie l’épanouissement. Concrètement, l’architecture est la pourvoyeuse de ces qualités attendues : au sein de l’habitation, recevoir les lumières du matin, du midi et du soir, hautes ou basses selon les saisons, directes ou indirectes selon les orientations. Goûter aux plaisirs de l’eau dans la clarté du jour et non dans un réduit humide. Cuisiner près des vues qui donnent sur le voisinage, et laisser flotter l’attention entre aliments préparés et miroitements du paysage urbain. Jouir des surfaces en dépit des normes qui en prédéfinissent les affectations, les usages : on le sait, chaque mètre carré se gagne de haute lutte. Le nombre de mètres carrés sert de base de référence pour l’établissement du prix, c’est aussi le total duquel sont retranchés les espaces fonctionnels aux dimensions imposées par les règlements. Les règles d’accessibilité au logement sont d’autant plus rigides que l’habitat locatif doit prévoir en principe la succession de ses occupants. Il faut les satisfaire, quel que soit leur âge, quelle que soit leur condition. Comment sont réglés alors les rapports dimensionnels entre les espaces de repos, de réflexion, de jeu, d’hospitalité? Et pourquoi les chambres devraient- elles toujours subir les rétrécissements qui s’ensuivent du partage inégal du jour et de la nuit, de la veille et du sommeil? Quels sont les lieux privilégiés de la vie d’un couple ? d’un adolescent ? d’une famille ou d’un célibataire ? On aimerait tant voir s’engager le dialogue de l’architecture et de l’ameublement: les jeux de l’espace et du confort de vie. A travers les appartements dessinés et réalisés par Sarah Bitter, le visiteur peut parcourir toute une gamme de pièces, et les dispositions finement négociées de leurs intervalles et de leur étagement. Le logement a besoin de hauteur et de profondeur. Ici, il s’étire d’une exposition à l’autre et parfois d’une terrasse à l’autre. Là, son organisation en duplex facilite la répartition des espaces entre les membres d’une famille, une distribution des temps selon les rythmes de la vie… Dans le ballet étroitement réglé des mouvements de la journée, entre dedans et dehors, c’est-à-dire au fond entre chez soi et chez les autres, la vie de chacun doit trouver dans l’espace habité les moyens d’être attaché à soi aussi bien que relié aux autres. Quand nous sortons, nous sommes nous-mêmes avec les autres, nous sommes nous-mêmes «n’importe qui…et [celle ou celui] que valent tous les autres » (Sartre). Le cumul de la location et de l’appartenance aux cercles emboîtés de l’appartement, de la cour et de l’îlot, du quartier et de la ville, tel est le privilège des urbains, et la liberté d’être chez soi, d’autant plus grande si l’on sait qu’on le doit pour une part à une collectivité prévoyante, avisée, à laquelle l’architecte a prêté son intelligence et sa poétique de l’habitation.
FICHE TECHNIQUE
Concours 2009 – Livraison Juin 2017
1060 m² restructuration + 1100 m² bâtiments neufs
Coût 5,2 M€
Architecte : METEK Sarah Bitter avec Christophe Demantké
Ingénieur structure : BATISERF
Thermicien, ventilation, plomberie : NICOLAS ingénieries
Economiste: EPBV
Electricien: FASEO
Maître d’Ouvrage : Elogie-Siemp
Entreprise Générale : Tempère Construction
Couvreur, meilleur ouvrier de France : Didier Glais
Certifications :
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Patrimoine Habitat & Environnement ;
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