Où est l’architecture ? Concours pour le centre aquatique olympique, Saint-Denis

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 01/07/2020

Projet 1 (lauréat) : VenhoevenCS, Ateliers 2/3/4

Article paru dans d'A n°282

Paris 2024, la stratégie se veut vertueuse : réutilisation des équipements existants et nouvelles constructions surtout conçues pour être pérennes et pour participer activement à la fabrique de la ville. Comme si l’architecture n’avait plus désormais à exprimer et à garder en mémoire un événement de ce type, un rôle qu’accompliront à sa place d’autres médias…

Loin des projets iconiques de Tange pour Tokyo, de Taillibert pour Montréal, d’Isozaki et d’autres pour Barcelone, d’Herzog & de Meuron pour Pékin, de Calatrava pour Athènes ou de Zaha Hadid pour Londres, les aménagements parisiens semblent vouloir éviter toute ostentation en pariant sur la récup, le temporaire et le long terme. 

Seuls équipements construits spécialement pour les jeux de 2024, l’Arena de la porte de la Chapelle et le centre aquatique olympique situé à l’intersection de l’A86 et de l’A1 poursuivront le projet de remplacement la voie sacrée reliant la cathédrale Notre-Dame et la basilique Saint-Denis par un axe des sports allant des arènes de Lutèce vers le Stade de France. Comme si les temples de notre nouveau paganisme devaient prendre racine sur les traces du dispositif spatial majeur de la religion et de la royauté française.

Le Stade de France est ainsi revalorisé par ces nouvelles chapelles qui scandent son accès depuis Paris. Un stade créé pour la Coupe du monde de 1998 que l’on peut voir aussi – par une cruelle ironie de l’histoire â€“ comme un péché originel. Un lourd projet Bouygues construit en lieu et place du projet lauréat de Jean Nouvel qui, avec son toit et ses tribunes coulissantes, parvenait à proposer une nouvelle typologie sportive.

Mais l’innovation ne semble pas être l’enjeu majeur de la Métropole du Grand Paris, maître d’ouvrage du centre aquatique olympique et organisatrice du dialogue compétitif qui a mis d’emblée en concurrence des grands groupes. Mandataires, Bouygues, Vinci et Opalia ont chacun présenté deux projets architecturaux distincts. Un système marquant bien la place de l’architecture dans le dispositif, le dossier de presse envoyé à la rédaction ne mentionnait d’ailleurs pas même les noms des architectes lauréats.

Les équipes de maîtrises d’œuvre auxquelles il était surtout demandé d’aller vite et de rentrer dans les prix sont issues de « mariages Â» arrangés par les mandataires. Ainsi les cirianiens des Ateliers 2/3/4 ont-ils été associés aux Hollandais de VenhoevenCS qu’ils ne connaissaient pas ; Jacques Rougerie, le « poète Â» des profondeurs, aux Chinois survoltés de MAD, ou le pragmatique Nicolas Chabanne à l’ingénieux Dietmar Feichtinger… Des castings improbables et impénétrables cherchant à accoupler des Français avec des étrangers pour « faire international Â» et des « piscinistes Â» avec des spécialistes des grandes portées pour rester dans les rails. Chaque groupe (sauf peut-être Opalia, qui a misé sur la même équipe) ayant pris soin de développer deux propositions contrastées – l’une classique, l’autre plus cool â€“ pour ratisser le plus large possible.

 

Un tour de force structurel

La consultation s’est déroulée en plusieurs étapes jusqu’à ce que les mandataires ne retiennent chacun qu’un de leurs deux poulains pour le présenter en dernière phase. Les équipes en lice ont dû répondre à des questions très contradictoires. Comment concevoir un tour de force structurel à la mesure des exploits demandés aux athlètes ? Comment anticiper la seconde vie d’un équipement dont l’offre risque de ne pas correspondre aux attentes des populations avoisinantes, pour de multiples raisons, notamment culturelles ? Comment commémorer les Jeux de 2024 face à l’anneau du Stade de France qui semble épuiser d’emblée toute autre velléité de célébration ? Comment établir des liens entre le lieu des noces du corps et de l’eau et un territoire constellé de canaux ? Comment concevoir une construction vertueuse et durable qui réponde aux attentes de notre société ?

Certains ont choisi de hiérarchiser ces questions pour en exprimer l’une plus particulièrement. C’est le cas de Marc Mimram qui a su intervenir sur le cycle de l’eau en concevant des coques réceptrices de pluie et en déployant au sol des bassins de phytoépuration permettant de suivre le processus de purification de l’eau usée des piscines. D’autres comme Chabanne et Feichtinger ont voulu exprimer la grande portée avec des poutres catènes en lamellé-collé tendues sur des poteaux obliques et couvrant toute la longueur des bassins (120 mètres). Ou Jacques Rougerie et MAD avec la stupéfiante structure à caissons de leur projet finaliste. Enfin la très déstabilisante colline plantée de MVRDV qui se creuse d’un espace ludique complètement décalé, la grotte de Vénus du château de Louis II de Bavière à Linderhof revue et corrigée par le Journal de Mickey. Quant aux lauréats, ils ont choisi prudemment la stratégie du projet qui coche un maximum de cases.

 

GÉNÉRIQUE OU DRAMATIQUE

Bouygues Bâtiment ÃŽle-de-France avec : ADL Action Développement Loisir « Espace Récréa Â» ; Fin-Partner 1 ; Inex, Schlaich Bergermann Partner, Inddigo, Peutz & Associés et Mazet & Associés ; Bouygues Travaux Publics ; Dalkia

 

Projet 1 (lauréat)

VenhoevenCS, Ateliers 2/3/4

Sûrement le projet le plus consensuel, qui répond à la demande sans jamais la réinterroger. Pourtant l’idée de rassembler les deux bassins requis en un seul pour entrer dans les prix au risque d’être mis hors concours était très porteuse. Plongée et natation sont ainsi séparées par des cloisons déplaçables. Un dispositif pertinent qui, complété par un fond mobile, permettra, après les compétitions, de créer à la demande des bassins à géométrie variable adaptables aux diverses activités : apprentissage de la nage, pratique d’activités physiques, entraînement. Mais sans chercher à s’en préoccuper, les poutres catènes en lamellé-collé se tendent imperturbablement entre les tribunes sud et nord. Le toit en partie végétalisé cherche à la fois à se dresser sur l’A86 et à dialoguer avec le Stade de France. Tandis que de lourds pare-soleil horizontaux en bois viennent masquer l’effort des poteaux obliques qui tirent la toiture concave. Même si certains espaces semblent très réussis, comme l’entre-deux de la façade sud, le tout qui veut tout dire finit par ne dire rien du tout.

 

Projet 2

Marc Mimram Architecture & Associés, Marc Mimram Ingénierie, Michel Desvigne Paysagiste

Plus radical, mais non retenu pour la seconde phase, le second projet de l’écurie Bouygues conçu par Marc Mimram travaille sur l’idée de récupération. Il épargne en bordure de l’A86 une construction industrielle rescapée du centre de recherche d’Engie qui occupait auparavant le site. Et, refusant de rejeter à l’égout les eaux usées des piscines, il met en scène leur traitement en distribuant le long d’un fin canal est/ouest des bassins de décantation. La lourde toiture convexe est chargée de récupérer les eaux pluviales en évitant la végétalisation et autres gadgets écologiques. Elle repose sur quatre piliers placés à chaque extrémité et sur les poteaux en bois des façades latérales. Subdivisée en quatre parties dans le sens de la largeur, elle laisse tomber par de grandes déchirures, qui voudraient rappeler les incisions de Lucio Fontana, une lumière zénithale qui vient napper la surface de l’eau. Un éclairage romantique qui tranche avec les choix plus hygiénistes de la plupart des autres candidats.

Le mouvement majeur de la toiture est repris en mineur par les deux arches rentrantes qui soutiennent par des câbles le tablier de la passerelle. Un ricochet clairement perceptible du parvis du Stade de France.

 

DÉCONCERTANT OU RATIONNEL

Vinci Construction France avec : Cofely Finance & Investissement ; Engie Cofely ; UCPA Sport Loisirs ; Adim Paris ÃŽle-de-France, Agence TER ; Artelia Bâtiment & Industrie, Oasiis, Bérim, Egis, Eodd Ingénieurs Conseils, Structures ÃŽle-de-France, Structure Engineering, Tractebel Engineering et Lamoureux Acoustics ; Campenon Bernard Construction, Chantiers Modernes Construction, Axima Concept et Ineo Tertiaire IDF

 

Projet 1 (finaliste)

MVRDV, BVL Architecture, Explorations Architecture

L’équipe réunie autour de Winy Maas surprend en répondant là où on ne l’attendait pas. Elle refuse de s’engager dans un projet iconique et d’éterniser l’instant olympique, un combat perdu d’avance face au gigantesque anneau du Stade de France. C’est ainsi une construction ludique et décomplexée qui est proposée, une intervention pensée d’emblée à l’échelle de la ville et rappelant par ses formes molles les constructions alternatives du peintre viennois Hundertwasser. Les façades blanches et organiques, creusées de baies arrondies, portent un toit irrégulier couvert d’une épaisse couche de végétation en liaison directe avec les espaces paysagers. L’ensemble détermine ainsi un poumon vert pour ce nouveau quartier au croisement de l’A86 et de l’A1, dans cette ville qui reste l’une des moins plantées de France. À l’intérieur règne un monde de bande dessinée pour enfants de moins de 7 ans. La résille blanche du plafond laisse entrevoir les poutres treillis qui portent le lourd toit planté et les cylindres des puits de lumière chargés de diffuser un éclairage naturel. Tandis que les constructions sous les tribunes se percent d’ouvertures circulaires comme des bulles. Les aménagements extérieurs restent très simples, notamment la passerelle d’Explorations Architecture qui, avec ses poutres inversées formant protection latérale, traverse l’autoroute sans appui intermédiaire. Comme si le sol se poursuivait naturellement pour réunir le parvis du centre aquatique à celui du Stade de France.

 

Projet 2

Chabanne + Partenaires, Dietmar Feichtinger Architectes

Le projet de Chabanne et Feichtinger se distingue par sa grande simplicité. Nous retrouvons les poutres catènes en lamellé-collé employées par les lauréats. Mais contrairement à ces derniers, elles sont tendues sur toute la longueur de l’édifice, un véritable tour de force. Ce qui leur permet à la fois d’accompagner les nageurs prisonniers de leurs couloirs de natation et de lancer la toiture vers l’anneau du Stade de France comme une immense vague. Un mouvement accompagnant l’axe piéton allant de la ville vers le grand équipement, qui sera repris par la structure de la passerelle. Cette dernière, remarquable par sa grande légèreté, s’élance sans appui intermédiaire au-dessus de l’A1. Entièrement métallique, son tablier est suspendu à des câbles tendus sur des piliers obliques. L’ensemble s’enveloppe dans une résille protectrice fonctionnant comme une ombrière, qui lui accorde de faux airs de volière du zoo de Londres, la réalisation culte de Cedric Price.

 

ROUGERIE OU ROUGERIE

Opalia avec : Jacques Rougerie Architectes Associés, MAD Office Limited, Octant Architecture et Philéas Atelier d’Architecture ; Ingérop Conseil & Ingénierie et Soja Ingénierie ; Demathieu Bard Construction et Legendre Project ; Demathieu Bard Immobilier

 

Projet 1 (finaliste)

Le projet de l’équipe très composite réunissant Jacques Rougerie, Ma Yansong, Octant Architecture et l’Atelier Philéas se présente comme un nuage flottant au-dessus des bassins, porté, comme une table, par quatre piles massives. Cette structure légère, tramée de très fins caissons de bois d’où tombe une lumière zénithale, s’incurve dans sa zone de traction pour descendre et peser très élégamment au centre de l’espace. Elle forme une nappe qui remonte et s’affine à ses extrémités pour maintenir en porte-à-faux un grand ruban translucide animé de multiples circonvolutions. Cette façade soulevée engendre de multiples entre-deux devant les parois de verre fermant l’espace central, notamment le profond parvis qui s’étend à l’est, face au Stade de France. D’étonnantes concavités qui auraient pu, après les Jeux, être avantageusement colonisées par toutes sortes d’activités annexes.

 

Projet 2

La seconde proposition, plus massive et plus expressionniste, reprend le plan de la première mais rappelle à la fois le Goetheanum de Rudolf Steiner à Dornach et le Metropol Parasol de Jürgen Hermann Mayer à Séville. Une grande coque verte percée de vastes verrières circulaires vient s’immiscer dans l’ancien site du centre de recherche d’Engie, semblable à une méduse perdue dans un milieu hostile…

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