Le niveau inférieur de la galerie |
Lorsqu'une très célèbre agence d'architecture demande à un collectif aussi jeune qu'inclassable de la mettre en scène, le choc des générations s'annonce prometteur. L'exposition qui se tient au Barbican Centre à Londres jusqu'au 19 février 2012 sous le titre « OMA/Progress » est de ce point de vue l'un des événements de l'hiver. Valéry Didelon y revient ici, avant de s'attarder, dans notre prochain numéro, sur une autre grande exposition consacrée dans la capitale anglaise au postmodernisme. |
Pour les architectes, la communication joue un rôle de plus en plus important. C'est à travers la publicité faite aujourd'hui à leurs réalisations qu'ils peuvent espérer susciter demain de nouvelles commandes. En ce sens, les publications comme les expositions monographiques d'architecture ne visent pas toujours en premier lieu à l'édification des visiteurs. Lorsque celles-ci sont conçues par les intéressés eux-mêmes, le propos tend naturellement à la promotion de leurs propres talents et à la justification de leurs actes. Quand elles sont confiées à des commissaires dits « indépendants », la mise en valeur du maître d'œuvre se double d'enjeux académiques souvent peu explicites. Dans les deux cas, le discours est rarement critique. Le parti pris, qui le plus souvent n'est pas exprimé comme tel, est renforcé par le fait qu'on ne montre pas les choses elles-mêmes, les bâtiments, mais leurs représentations, par nature orientées. Bref, les expositions sur les architectes sont la plupart du temps pleines d'une rhétorique – d'une propagande ? – qui s'interpose entre les visiteurs et l'architecture proprement dite, rendant la connaissance de cette dernière parfois difficile.
L'exposition « OMA/Progress » qui se tient actuellement au Barbican Centre à Londres échappe à ce travers. D'abord, parce que l'agence de Rem Koolhaas a délibérément renoncé à se présenter elle-même, comme elle a pu le faire en 2003 avec la rétrospective « Content » montrée à la Neue Nationalgalerie de Berlin. L'OMA a cette fois confié le commissariat et la scénographie du show aux Bruxellois de Rotor, à qui nous avons récemment consacré un portrait (voir d'a n° 196). Éloignés l'un de l'autre par leurs tailles, leurs renommées et leurs centres d'intérêt, ces deux collectifs ont ainsi établi une relation aussi fructueuse qu'inattendue.
Ce n'est pas la flagornerie, ou même l'admiration, qui semble avoir guidé les membres de Rotor, qui n'ont pas tous atteint la trentaine, mais plus probablement l'étonnante liberté dont ils ont apparemment joui. Il fallait en effet n'être encore personne – pardon à toute l'équipe ! – pour oser monter, en quelques mois seulement, une exposition qui rende compte de l'œuvre de l'une des plus célèbres agences d'architecture du monde, dans l'une des galeries d'art les plus renommées d'Europe.
Un peu comme la sociologue Albena Yaneva l'a fait dans un ouvrage récent1, les membres de Rotor ont relevé ici le défi en s'attachant aux choses plutôt qu'au discours. Ils ont prélevé quatre cent cinquante dessins, maquettes, échantillons de matériaux, vidéos, photos, fax, etc. sur les étagères de l'OMA à Rotterdam, New York, Hongkong et Pékin. Ces objets trouvés, ils n'ont pas cherché à les inscrire dans un récit mythique et parfois mystifiant, comme cela se fait habituellement, mais ils les ont assemblés à leur guise dans une sorte de vaste cadavre exquis.
Pris séparément dans l'exposition, chacun de ces objets célèbre moins un projet réalisé ou non dans le passé qu'il ne témoigne du rôle que celui-ci tient aujourd'hui dans le work in progress de l'OMA. C'est en effet l'une des caractéristiques de l'agence hollandaise que de recycler constamment sa propre production. De ce point de vue, les membres de Rotor et de l'OMA avaient tout pour s'entendre. Si les premiers travaillent depuis plusieurs années au réemploi des matériaux de construction – l'actuelle exposition est naturellement aménagée avec les restes de la précédente –, les seconds pratiquent en effet depuis toujours le réemploi des matériaux de conception : on connaît l'histoire de cette maquette d'une maison individuelle qui est à l'origine du projet de la magnifique salle de concerts à Porto. Ainsi, lorsque Rem Koolhaas a découvert le travail de Rotor l'année dernière à la Biennale de Venise2, il a dû comprendre immédiatement que le collectif belge ferait l'affaire.
Au niveau supérieur de la galerie du Barbican Centre, on assiste à un découpage du corps de l'OMA en huit morceaux pour autant de salles. Il y a des thèmes, des rapprochements qui sont faits, mais on ne nous raconte pas pour autant des histoires toutes faites. Les petits mots laissés par Rotor à côté des objets exposés nous disent platement de quoi il s'agit. Le visiteur est libre d'apprécier cette matière à projet, de déchiffrer ces traces laissées par des architectes au travail, d'interpréter ces indices qui annoncent les réalisations à venir. Au niveau inférieur de la galerie, Rotor a aménagé quelques pièces introductives, dont une, secrète, tapissée de fax noircis là où figurent des informations confidentielles. Et puis, à l'extérieur de l'exposition proprement dite, les Bruxellois ont prévu un espace librement accessible à tous les visiteurs du Barbican Centre. On y entend cette fois la parole officielle de l'OMA et on peut y profiter d'un centre de ressources d'une grande richesse. Celui qui s'attarde peut visionner des dizaines d'entretiens et de conférences données par Rem Koolhaas, dont certaines prononcées dès les années soixante-dix, mais aussi parcourir Lagos, cet ouvrage stupéfiant sur la métropole nigériane, jamais encore publié.
Pour la toute première fois, il est possible d'accéder à la galerie d'art du Barbican Centre par son entrée ouest, au cœur de l'ensemble résidentiel du même nom conçu par les architectes Chamberlin, Powell et Bon dans les années soixante. Célébré à son inauguration en 1982 par la reine comme l'« une des merveilles du monde moderne », le complexe a été élu en 2003 dans un sondage « bâtiment le plus laid » de tout Londres. Ce haut lieu du brutalisme sur dalle apparaît en tout cas comme l'écrin idéal pour accueillir une exposition sur l'agence qui, depuis trente ans, associe contre toute attente modernisme et travail sur la ville existante afin de produire une architecture métropolitaine. À quelques minutes de marche plus au sud, le siège de la banque Rothschild conçu par l'OMA et dont le chantier s'achève bientôt, offre à ceux qui voudraient en juger sur pièces une bonne occasion de le faire.
Notes
1. Albena Yaneva, Made by the Office for Metropolitan Architecture: An ethnography of Design, Rotterdam, 010 Publishers, 2009.
2. Voir Usus/Usures, le catalogue du pavillon belge à la Biennale de Venise 2010 réalisé par Rotor.
Lisez la suite de cet article dans :
N° 204 - Novembre 2011
La Maison de l’architecture des Pays de la Loire présente une exposition consacrée à Barto+Bart… [...] |
Nous avons rencontré Solano BenÃtez chez lui à Asunción. Lors d’une conversation qui s’est Ã… [...] |
Une chronique de la série "Malentendus sur l'architecture et abus de langage de ses disciples" par … [...] |
L’architecte Gricha Bourbouze, dont l’agence nantaise Bourbouze & Graindorge conçoit… [...] |
Une chronique de la série "Malentendus sur l'architecture et abus de langage de ses disciples" par … [...] |
Une chronique de la série "Malentendus sur l'architecture et abus de langage de ses disciples" par … [...] |
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |