Solano Benítez : soigner la différence

Rédigé par Natalia PETKOVA
Publié le 27/08/2024

Article paru dans d'A n°319

Nous avons rencontré Solano Benítez chez lui à Asunción. Lors d’une conversation qui s’est étalée sur plusieurs jours, nous avons essayé de dégager les principes sous-jacents qui fondent le travail de cet architecte paraguayen dont l’œuvre construite – prolifique, cohérente et reconnue internationalement1 – reste encore trop peu connue en Europe.

Le 22 octobre 1929, Le Corbusier prend place à bord d’un avion de l’Aeroposta Argentina depuis Buenos Aires en direction d’Asunción. À bord, pour ce vol inaugural de cette filiale de l’Aéropostale, Jean Mermoz et un certain Antoine de Saint-Exupéry sont aux commandes. En février de cette année, j’ai eu l’occasion de survoler moi-même le chemin sinueux du fleuve Paraguay, cours d’eau qui donne son nom indigène à ce pays enclavé entre le Brésil, l’Argentine et la Bolivie. Les rêves technologiques liés à l’aviation ne sont plus les mêmes qu’il y a cent ans mais en s’approchant de la capitale paraguayenne, le paysage, celui qui a inspiré le père du modernisme à formuler sa loi du méandre2, reste tout aussi captivant.
Je fais le voyage pour rencontrer Solano Benítez à Asunción, où l’architecte est né et où il a créé en 1987 le Gabinete de Arquitectura, son premier atelier, peu après l’obtention de son diplôme. Le fait qu’une seule monographie3 lui soit dédiée à ce jour est assez symptomatique de son relatif isolement de la scène architecturale locale, le Paraguay étant souvent décrit comme une île sans mer. En dehors de l’Amérique latine, certains ont pu avoir la chance de voir ses constructions éphémères à Paris en 2018-2019 dans l’exposition collective « Géométries Sud, du Mexique à la Terre de Feu » qui s’est tenue à la Fondation Cartier ; ou, avant cela, à Venise en 2016 où le Gabinete a reçu le Lion d’Or du meilleur participant à la quinzième exposition « Reporting From The Front » de la Biennale d’architecture sous le commissariat de Alejandro Aravena. La radicalité de l’installation proposée par le Gabinete résidait dans sa construction puisque ceci n’est pas une voûte mais une ossature en brique. Posées sur leur côté et disposées en grille triangulaire, les 1 872 briques employées pour le projet fabriquaient un espace presque huit fois plus grand que si elles avaient été superposées comme le veut la tradition. Cette structure vraisemblablement abstraite a trouvé son application raisonnée dans des constructions pérennes du Gabinete. La transformation en 2010 de la Fondation Teletón, une ONG dédiée à la rééducation d’enfants handicapés à Lambaré (voir le dossier « Amérique latine : vivant laboratoire de l’Architecture », n° 288 de d’a, avril 2021), en est un exemple. Ici, deux mailles en brique servent d’espaces intermédiaires, mi-intérieurs mi-extérieurs, entre la rue, le jardin et le foyer du centre, filtrant la lumière, la chaleur et les vues.
La volonté de Solano Benítez de repenser les protocoles de mise en œuvre n’est pourtant pas découplée d’une sensibilité pour la charge émotionnelle des espaces qu’il crée. Autrement dit, si la technique est au centre de sa pensée, ses réalisations ne doivent pas être appréhendées comme des résolutions techniques, aussi subtiles soient-elles. Les formes à géométrie épurée – très présente dans la tradition guaranie du tissage – sont pour ainsi dire « naturalisées » par l’utilisation de matériaux qui portent les traces de leur fabrication ou transformation à la main, souvent in situ. Le premier atelier du Gabinete, construit en 1995 et occupé jusqu’à 2013, sert ainsi de modèle avec son assemblage de briques et de bois de récupération laissés bruts. Le tombeau 4 Vigas, conçu par l’architecte pour son père en 2001 sur un site densément arboré près de Piribebuy, à environ 80 km de la capitale, incarne sans doute le mieux la poésie de son approche constructive. Composée de quatre poutres épaisses formant un carré ouvert, la structure du tombeau disparaît grâce à ses surfaces miroitées, pour n’offrir au regard qu’un pur espace de contemplation.
 
Un sens aigu du contexte
Avant d’aborder les principes fondamentaux qui guident le travail de Benítez en tant que praticien et enseignant, il est utile de rappeler certains éléments du contexte dans lequel il opère. La conscience pour l’architecte du défi que représente pour l’habitation le climat subtropical du Paraguay se manifeste dès mon premier échange téléphonique avec lui. Il se préoccupe tout de suite de (...)

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